
Particulièrement malmené dans la capitale qui ne conserve plus de lui que l’hôtel d’Hallwyll et quelques propylées, l’art de Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806) rayonne toujours dans le Doubs où l’architecte érigea son chef-d’œuvre : la saline royale d’Arc-et-Senans. Une offre de médiation entièrement revue et l’inauguration d’un spectaculaire jardin paysager proposent désormais de porter un nouveau regard sur ce site pensé pour transcrire dans la pierre la philosophie des Lumières.
Produit de première nécessité indispensable à la conservation des aliments riches en protéines, le sel occupe au XVIIIe siècle une place prépondérante dans la vie des Français. Véritable « or blanc », il constitue pour la monarchie une inépuisable source de revenus grâce à la gabelle prélevée par les fermiers généraux. Particulièrement riche en eaux salées, la Franche-Comté est choisie au soir de son règne par Louis XV afin d’accueillir une manufacture royale destinée à extraire par évaporation la précieuse denrée de l’eau saumurée, acheminée au moyen d’une double canalisation faite de troncs d’épicéas évidés et emboîtés (le « saumoduc »). Architecte en vue, proche du pouvoir depuis le récent achèvement du pavillon de Louveciennes pour Madame du Barry (1771), Claude-Nicolas Ledoux s’en voit bientôt confier la réalisation. Entre 1775 et 1779, il érigera au cœur du val d’Amour, au pied de l’immense forêt de Chaux, une architecture visionnaire et rationnelle, véritable usine intégrée pensée pour constituer le cadre de vie du directeur et de la centaine d’employés. Conçue comme un théâtre entièrement dédié à l’industrie, la saline se déploie en demi-cercle, une forme qui pour l’architecte est « aussi pure que celle du soleil dans sa course ». Devenue obsolète après une centaine d’années d’activité, elle ferme ses portes en 1895 ; elle sera sauvée in extremis de la ruine par le département du Doubs qui en 1927 s’en porte acquéreur.

Aux manettes de l’Histoire
Devenue en 2009 un établissement public, la saline royale souffrait jusqu’à présent d’un cruel manque de lisibilité. Difficile en effet pour un public non averti de décrypter la grammaire et le fonctionnement de cet ancien site industriel pensé par son architecte pour ne surtout pas ressembler à une usine. Afin de développer son attractivité, sa médiation vient donc d’être entièrement renouvelée. Guidé par une tablette tactile à travers le site, le visiteur peut désormais revivre les heures de gloire de la manufacture au XVIIIe siècle et partir à la rencontre des ouvriers du sel. Présentant depuis 1991 les maquettes des projets réalisés par Ledoux ou seulement imaginés, le musée portant son nom intègre désormais trois nouveaux parcours de visite via une table tactile explorant les différentes facettes de son œuvre. Rendant hommage à la grande tradition horlogère de la région, l’installation pérenne d’une dizaine de caissons imaginés par la manufacture bisontine Utinam invite par ailleurs à une découverte du destin de l’usine après sa fermeture en 1895. Placé aux manettes de l’Histoire, le visiteur peut y faire défiler les années grâce à un système mécanique original lui permettant d’explorer les heures sombres du site et le temps de sa renaissance. Inscrit depuis 1982 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, la saline royale s’est par ailleurs associée à la start-up ICONEM afin de proposer dans l’un des anciens ateliers de cuisson appelés « bernes » un voyage immersif à travers les plus beaux sites du patrimoine mondial.

Le Cercle immense
Ledoux avait imaginé dès 1773 de faire de la saline le cœur à partir duquel rayonnerait la ville nouvelle de Chaux. Qualifié dans son traité d’architecture de « cercle immense », l’espace central autour duquel la cité s’articulait était composé de la manufacture effectivement construite et de son symétrique. Ce dernier devait accueillir une vaste place distribuant l’hôtel de ville ainsi que quatre casernes destinées aux logements des ouvriers. Afin de donner à voir cette utopie de papier, la saline a inauguré en juin dernier un aménagement paysager bouclant, 243 ans après sa construction, la boucle tracée par Ledoux. Imaginé par l’agence dijonnaise Mayot & Toussaint et le paysagiste concepteur Gilles Clément, ce « Cercle immense » qui sur près de quinze hectares fait la part belle à la biodiversité positionne désormais la saline royale comme un véritable laboratoire des métiers du paysage.

Olivier Paze-Mazzi
Saline royale
25610 Arc-et-Senans
Tél. 03 81 54 45 00
www.salineroyale.com