La TEFAF de Maastricht vient d’ouvrir ses portes et a de nouveau affirmé sa suprématie, notamment dans le domaine de la peinture ancienne. Dans les couloirs de la foire, conservateurs français et nord-américains étaient au rendez-vous et se mêlaient aux collectionneurs accourus en nombre. Dès les deux premiers jours, lors de la très sélect preview orchestrée les 9 et 10 mars, les points rouges se multipliaient sur les quelque 270 stands, tandis que les prix annoncés se révélaient à la hauteur de la réputation de la manifestation néerlandaise. L’Objet d’Art vous propose aujourd’hui une première sélection dédiée à la peinture ancienne, entre fleurons et redécouvertes.
Un chef-d’œuvre d’Alonso Cano
Surnommé « le Michel-Ange espagnol », Alonso Cano (1601-1667) fut l’un des grands maîtres de l’art baroque du Siècle d’or. À la fois architecte, peintre et sculpteur, il œuvra d’abord à Séville, avant d’être appelé en 1638 à Madrid par le comte-duc d’Olivares. Vraisemblablement exécutée dans ses jeunes années, vers 1628, pour le retable central de l’église San Alberto de Séville, cette éblouissante représentation de l’Immaculée Conception – un sujet qu’il traitera à de multiples reprises – gagna plus tard l’Alcazar de Séville où elle fut inventoriée en 1810. Elle trôna ensuite dans une collection aristocratique française entre 1840 et 2020. Très admirée sur le stand de la Rob Smeets Gallery de Genève, elle a sans surprise trouvé preneur dès les premières heures du vernissage.
Saint Augustin dans la lumière de Philippe de Champaigne
Cette œuvre, décrite dans la vente de la collection Chauvelin en 1762, avant de reprendre le chemin des enchères en 1779, n’était pas ensuite réapparue sur le marché. Son sujet, érudit, montre saint Augustin foulant aux pieds Pélagius, chantre du pélagianisme, entouré de deux disciples. Le malheureux Pélagius, un moine du Ve siècle, avait osé affirmer que le salut de l’homme ne dépendait que de lui et s’était attiré les foudres augustines. Une composition identique du maître est conservée au LACMA de Los Angeles, mais sans les têtes des hérétiques au sol ; sa datation est controversée, 1630 ou le début des années 1640. La composition de la galerie Coatalem reprend celle du frontispice de l’Augustinus publié par Jansénius en 1640 : les hérétiques foulés au pied, un cœur enflammé tenu par le saint. On y admire tout le raffinement et la maîtrise de l’art de Champaigne.
Cupidon au tombeau
Le sujet est inhabituel : il tire sa source d’un poème anonyme paru en 1546 : Les obsèques d’Amour, défendant les vertus des Parisiennes après l’affaire des « Dames de Paris », accusées dans plusieurs autres écrits poétiques de l’époque d’allégrement cocufier leurs maris parlementaires et détenteurs de charges royales. Le mystérieux poète les imagine enterrant vertueusement le petit dieu Cupidon dont les flèches pourraient mettre à mal l’honneur de leurs maris. Ce poème, passé inaperçu, inspira pourtant le tableau attribué à Antoine Caron, puis à Henri Lerambert, conservé au Louvre, Les funérailles de l’Amour (qui sera prochainement exposé à Écouen lors de la rétrospective Antoine Caron) ainsi que celui de la galerie Descours : donné à Eustache Le Sueur, peut-être l’une des dernières œuvres de l’artiste, il illustre à merveille le raffinement de sa palette et l’épure de ses compositions architecturales.
Un Couronnement d’épines inédit de Manfredi
La version de référence est celle du génial Caravage, que l’on peut admirer aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne ; le Christ, tête courbée et épaules dénudées éclairées par une lumière oblique et violente, subit les brutalités d’un soldat et de deux bourreaux. Bartolomeo Manfredi, né à Ostiano en 1582, se forma à Mantoue, puis à Rome où il fut l’un des premiers et des plus puissants disciples du Caravage. Huit versions du sujet du Couronnement d’épines étaient jusqu’à présent connues de sa main ; les plus complexes et proches de la version du Caravage sont celle du musée des Beaux-Arts du Mans et celle de la collection Van Pallandt aux Pays-Bas (aujourd’hui perdue) ; les autres jouent sur un nombre réduit de personnages, limités à un ou deux tourmenteurs du Christ (collection particulière, couvent de San Silvestro de Montecompatri, Schlossmuseum de Schleissheim, Museum of Fine Arts de Springfield et la Saibene Collection de Milan) ou trois (Offices de Florence). Une neuvième version a été dévoilée par la galerie Benappi, que son style rattache à la production du peintre dans les années 1610. Prix demandé : 4 000 000 euros.
Le mystérieux Pensionnaire de Saraceni
Cet artiste actif à Rome entre 1610 et 1620, dont Roberto Longhi a identifié le corpus en 1943, demeure un autre mystère de la peinture baroque. Aux quatre tableaux répertoriés par Longhi, se sont ajoutées ensuite une dizaine d’œuvres, dont ce Saint Jérôme proposé par la galerie Canesso et la nature morte qui passera prochainement en vente chez Artcurial. Le peintre tire son nom de sa proximité avec l’artiste vénitien Carlo Saraceni (1579-1620), qui séjourna à Rome de 1598 à 1619 et entretenait un atelier florissant, logeant sous son toit plusieurs collaborateurs ou « pensionnaires ». Parmi ces derniers, figurait Jean Le Clerc (1586-1633) : Longhi avait souligné la parenté entre le peintre lorrain et ce mystérieux pensionnaire de l’artiste vénitien. Les commentateurs de l’artiste, après Longhi, ont également tous insisté sur le caractère français du pensionnaire anonyme – sans que le mystère de sa nationalité et de son identité ait pu être levé. Ce Saint Jérôme aux tonalités rouge orangé et au clair-obscur atténué par l’influence vénitienne de Saraceni, offre un bel exemple de son art. Prix demandé : 650 000 euros.
Un fastueux mais fragile prince de Saxe
Raphaël Mengs (1728-1779) fut au XVIIIe siècle l’un des peintres et théoriciens les plus influents ; il s’imposa comme le chef de file du mouvement néoclassique allemand. Sa carrière se partagea principalement entre Dresde, où il fut premier peintre de l’électeur de Saxe et roi de Pologne, Frédéric-Auguste III, et Rome, où il termina sa vie, après avoir travaillé pour Charles III à Madrid. Ce fastueux portrait princier est celui du jeune héritier du trône de Saxe, Friedrich Christian (1722-1763). Le cadrage choisi par Mengs, un portrait en pied mais coupé aux trois-quarts, presque en contre-plongée, force le spectateur à lever les yeux vers son modèle princier et à admirer la virtuosité avec laquelle l’artiste traite le jeu des étoffes et les reflets de la cuirasse, dans la droite lignée de l’art de Largillière. En dépit de son apparence poupine et radieuse, le jeune prince était en fait infirme et de santé très fragile. Ce portrait passé dans la descendance de la famille de Saxe n’était, jusqu’en 2022, pas apparu sur le marché de l’art.
Une star des Lumières
Principal interprète masculin des opéras de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), le contre-ténor Pierre de Jélyotte (1713-1797) fut une véritable vedette du siècle des Lumières. Lorsqu’il tire sa révérence en 1755, après une carrière triomphale au cours de laquelle il n’incarna pas moins de 46 personnages différents dans 41 opéras, il passe vraisemblablement commande de son portrait au peintre Louis Tocqué (1696-1772), qui l’exposera au Salon la même année. L’artiste est ici figuré sous les traits d’Apollon, un rôle qu’il avait joué avec succès quelques années plus tôt, en 1749, dans Le Carnaval du Parnasse, ballet-héroïque de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772), compositeur favori de la cour et protégé de Madame de Pompadour. Signée et datée, cette splendide effigie, demeurée par descendance dans la famille du modèle jusqu’en 1921, est proposée aujourd’hui par la galerie Wildenstein. Une copie d’atelier de cette toile est conservée depuis 1923 à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ; on en connaît également une copie anonyme et un pastiche.
Jeanne Faton et Olivier Paze-Mazzi
36e édition de la TEFAF Maastricht
Jusqu’au 19 mars 2023 au MECC
Forum 100, 6229 GV Maastricht, Pays-Bas
www.tefaf.com