Le Petit Palais consacre à Théodore Rousseau (1812-1867) sa première grande exposition parisienne depuis 1967. Il renouvelle l’image de ce peintre, en mettant en valeur la modernité de son art, mais aussi l’importance de son rôle dans l’émergence d’une conscience écologiste.
« Sans Théodore Rousseau, il n’y aurait pas eu les impressionnistes », déclare Annick Lemoine, directrice du Petit Palais. L’exposition dont elle assure le commissariat avec Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice au musée d’Orsay, tend à rendre à l’artiste toute sa place dans l’histoire de l’art, et en particulier dans ce moment décisif où la peinture de paysage, longtemps considérée comme mineure, devint le genre qui permit les recherches esthétiques les plus novatrices.
Le « grand refusé »
Renonçant à la formation académique, Théodore Rousseau trouve son inspiration devant le spectacle de la nature. Il parcourt la France, de la Normandie aux Alpes et aux Pyrénées où il multiplie les esquisses de paysages, mais aussi les études de troncs, de racines ou de rochers. Le peintre met parfois plusieurs années avant d’achever un tableau, retouchant sans cesse ses compositions. Il développe ainsi une technique très personnelle, donnant souvent une impression d’inachèvement, qui lui est reprochée par le jury du Salon. Théodore Rousseau y gagne le surnom de « grand refusé » qui lui vaut en contrepartie le soutien de certains critiques, comme Théophile Thoré, et un succès croissant auprès des collectionneurs. Mais surtout, des artistes de plus en plus nombreux (Millet, Díaz de la Peña, Bodmer, Jacque…) suivent son exemple, et s’installent à Barbizon pour peindre en plein air.
Sous les frondaisons
La forêt de Fontainebleau devient alors le sujet de prédilection de Théodore Rousseau qui s’emploie à rendre toute la diversité de ses paysages : les sous-bois du Bas-Bréau, la clairière de la Haute Futaie, la Mare aux fées, le désert d’Apremont… Ses tons vibrants célèbrent la profusion du monde végétal. Les silhouettes des rares personnages, qui apparaissent dans l’ombre des feuillages, semblent en parfaite harmonie avec cet univers organique. Cette vision de la nature transparaît aussi dans les « portraits d’arbres » consacrés aux chênes et aux hêtres séculaires, comme le Chêne de roche, le Charlemagne ou le Rageur. L’artiste multiplie les techniques pour rendre de la manière la plus sensible les écorces, le lichen sur les troncs, les branches noueuses, les jeunes feuilles… Mais, à l’ère de la révolution industrielle, la forêt de Fontainebleau commence à être mise en péril par des coupes d’arbres massives que le peintre dénonce en 1847 dans une œuvre saisissante intitulée Le Massacre des innocents. Quelques années plus tard, il s’adresse au duc de Morny, ministre de l’Intérieur, pour demander la préservation de la forêt. Grâce à son initiative, le gouvernement impérial crée la première réserve naturelle au monde qui comprend 624 hectares en 1853, et s’étend à plus de 1 000 en 1861. Ce fut sans aucun doute la plus belle œuvre de celui que Baudelaire considérait comme « un naturaliste entraîné sans cesse vers l’idéal ».
Mathilde Dillmann
« Théodore Rousseau. La Voix de la forêt »
Jusqu’au 7 juillet 2024 au Petit Palais
Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Tél. 01 53 43 40 00
www.petitpalais.paris.fr
Catalogue, éditions Paris Musées, 208 p., 35 €.