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Grandes questions de l’archéologie : « Comment reconstituer le passé »

Proposition de restitution d’un village de l’Âge du fer à Butser Farm (Angleterre) en 2020.

Proposition de restitution d’un village de l’Âge du fer à Butser Farm (Angleterre) en 2020. Photo CC BY-SA 4.0

Par définition, le passé est passé. Mais au-delà de cette banalité, nous pouvons l’approcher de diverses manières, soit parce qu’il en existe des textes et récits divers, soit, également, qu’il en existe des vestiges matériels, encore visibles ou désormais enfouis. Ressortir ces derniers de sous la terre est précisément la tâche de l’archéologie. L’une de ses autres tâches est cependant d’en restituer les résultats auprès du public sous une forme accessible, voire attrayante.

En effet, archéologues et historiens sont financés, leurs salaires comme leurs recherches, avec l’argent des citoyens, lesquels sont friands d’en apprendre plus sur le passé, comme le démontrent chaque année les Journées européennes de l’archéologie et leurs plus de 200 000 spectateurs et auditeurs. Cette restitution a eu longtemps mauvaise presse auprès de la profession, puisque l’on parlait de « vulgarisation », un mot dont on ne peut guère nier la connotation péjorative, avant que l’on se tourne vers les termes de « diffusion », de « médiation », de « restitution », voire de « reconstitution ». C’est à des réflexions sur de telles reconstitutions que sera consacré les 27 et 28 novembre prochains, le Symposium international des professionnels du patrimoine à Arles (SIPPA), avec le thème : « restituer le patrimoine ? »

« La recréation concrète d’objets, de bâtiments, voire de scènes d’un passé plus ou moins lointain, est le gage d’une pédagogie réussie lors des visites »

Susciter l’intérêt et l’émotion

Au fil du temps, les formes de pédagogie de la restitution n’ont cessé de s’enrichir. Les musées archéologiques ont longtemps été vus comme un alignement de vitrines poussiéreuses remplies d’objets morts, à peine décrits par des étiquettes aux explications indigentes sinon cabalistiques. Ce n’est plus vrai depuis longtemps, et la pédagogie muséale s’est beaucoup diversifiée au fil des années. Présenter des objets réels venus du passé, avec les émotions éventuelles qu’ils peuvent susciter, reste incontournable et les copies, même très bien faites, ne portent évidemment pas la même charge émotionnelle auprès des visiteurs, souvent déçus de découvrir leur peu d’ancienneté. Les ouvrages et les documentaires destinés au grand public sont évidemment irremplaçables, mais peuvent paraître parfois un peu abstraits.

Expérimentations et reconstitutions

Aussi la recréation concrète d’objets, de bâtiments, voire de scènes d’un passé plus ou moins lointain, est le gage d’une pédagogie réussie lors des visites, à condition que ces réalisations ne prennent pas trop de liberté avec l’état actuel de la recherche. Il convient cependant d’en distinguer plusieurs formes. La plus simple est la restauration, plus ou moins poussée, de monuments en partie ruinés. On évoquera par exemple celle du palais crétois de Cnossos, où l’archéologue Arthur John Evans a multiplié murs et colonnes en béton peint qui, un siècle plus tard, ont dû, à leur tour, être restaurés, car témoignant désormais de l’histoire de l’archéologie ; ou les lourdes restaurations de Viollet-le-Duc, en cours de réhabilitation, depuis le château de Pierrefonds, presque entièrement reconstruit, sinon inventé, jusqu’à la flèche de Notre-Dame, qui vient d’être à nouveau refaite. Il existe, à l’autre extrémité du spectre des restitutions, ce que l’on appelle l’archéologie expérimentale, qui consiste à retrouver par l’expérience les techniques du passé, de la taille du silex à la fonte du fer, des pirogues néolithiques aux constructions médiévales.

La flèche de Notre-Dame après sa reconstruction, avril 2024.

La flèche de Notre-Dame après sa reconstruction, avril 2024. Photo CC BY-SA 4.0 / Mariordo

Des réalisations vivantes

Les réalisations expérimentales peuvent ne pas sortir d’un laboratoire, car pour être probantes de telles recherches doivent parvenir à contrôler l’ensemble des paramètres en jeu, ce qui risque d’être peu spectaculaire et de longue durée. Mais les archéologues ont, à juste titre, estimé que le public devait pouvoir en être également partie prenante, et se sont ainsi créés de par le monde, ces dernières décennies, de nombreux parcs archéologiques. L’idée n’était pas complètement nouvelle, car dès la fin du XIXe siècle existaient dans plusieurs pays des parcs de regroupement des habitations vernaculaires, transportées, après démontage, depuis leur emplacement originel. Ainsi peut-on voir aujourd’hui les 340 bâtiments du Museum Satului en Roumanie ou les 75 maisons traditionnelles du Gamle By au Danemark. C’est encore au Danemark, à Lejre, qu’a été reconstitué, à partir des données archéologiques, un village entier de l’Âge du fer.

L'une des maisons du Museum Statului en Roumanie.

L'une des maisons du Museum Statului en Roumanie. © MCM / stock.adobe.com

La multiplication des parcs archéologiques

À Butser Farm, en Angleterre, on trouve un autre village de l’Âge du fer, associé à des expériences de pratiques agricoles. En effet, ces réalisations pionnières montrent aussi les activités qui y étaient liées, artisanats et autres, réalisées par des personnes en costume d’époque. La chose est d’ailleurs classique aux États-Unis et au Canada, où ne sont cependant restituées que des scènes d’il y a deux ou trois siècles, et où les personnages s’adressent à vous comme si l’on était dans l’époque évoquée. Depuis, ces parcs archéologiques, assortis de démonstrateurs ou démonstratrices en costume exposant les techniques anciennes, se sont multipliés, comme en France à Samara dans la Somme ou à Marle dans l’Aisne, ce dernier dédié à la période mérovingienne. Le château de Guédelon en Bourgogne, en cours de construction depuis plusieurs années selon les techniques médiévales (chaussures de sécurité en sus), est une expérience bien connue. On y découvre aussi la reconstitution d’un moulin à eau médiéval, tel qu’il a été fouillé peu de temps auparavant par l’Inrap.

Le chantier du château de Guédelon, en Bourgogne, mai 2023.

Le chantier du château de Guédelon, en Bourgogne, mai 2023. © Jérome Aufort / stock.adobe.com

Des documentaires aux reconstitutions immersives

Outre les parcs archéologiques, ces expérimentations ont fait l’objet de films documentaires, comme ceux tournés au début des années 1980 par le réalisateur Jacques Audoir, à l’époque où de tels films, chacun d’une durée d’une heure, étaient diffusés sur la chaîne alors publique TF1 à 20 h 30. Deux avaient été conçus en étroite collaboration avec mon équipe du CNRS : celui sur le Néolithique, L’argile et le grain, avait été l’occasion de reconstruire une maison de l’époque du Rubané en vraie grandeur et de montrer taille de silex ou cuisson des poteries, tandis que celui portant sur la période gauloise était illustré par des bâtiments, la reconstitution d’un char de guerre attelé de deux chevaux ainsi que celle de la fameuse moissonneuse gauloise. Dans celui portant sur le mégalithisme, une centaine de personnes avait tiré, grâce à des cordes et des rouleaux, un énorme bloc de béton imitant la dalle d’un dolmen. Mais désormais, les possibilités infinies de la 3D permettent des reconstitutions de plus en plus immersives et de plus en plus réalistes, même si elles n’ont plus le côté concret et matériel de celles qui viennent d’être évoquées.

Inventer de nouvelles formes de pédagogie

On ne confondra évidemment pas de telles expériences et démonstrations étroitement encadrées par des scientifiques, avec de nombreux spectacles touristiques, tels les « sons et lumières », nés dès les années 1950 et souvent attachés à des châteaux ou à des cathédrales, sans compter certains parcs à thème qui relèvent parfois d’une conception aussi désuète qu’orientée de l’histoire, quelle que soient leurs qualités techniques. On saluera au contraire les efforts des archéologues qui ont su sortir de leurs fouilles et de leurs publications spécialisées – néanmoins indispensables – pour inventer de nouvelles formes pédagogiques, en constante évolution.

 

Pour aller plus loin
COLLECTIF, 1991, Archéologie expérimentale, Arles, Errance (2 volumes).
BESSON F. et al., 2022, Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Paris, Les Arènes.
COLLIN F., DE BEUCKELEER N. (dir.), 2005, « Archéologie et publics, Actes de colloque de Ramioul », Bulletin des chercheurs de la Wallonie, XLIV.
DEMOULE J.-P., SIMMAT L. & LANDAIS L., 2025, L’incroyable histoire de la préhistoire, Paris, Les Arènes.
« La médiation en archéologie », numéro spécial des Nouvelles de l’Archéologie, n° 122, 2010 (en ligne).
MARQUET J.-C., PATHY-BARKER C. & COHEN C. (dir), 2006, L’archéologie et l’éducation. De l’école primaire à l’université, Oxford, Archaeopress.
MARRIMAN N. (dir.), 2004, Public Archaeology, Routledge.
STONE P. & PLANEL Ph., 1999, The Constructed past. Experimental archaeology, education and the public, Routledge.