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Grandes questions de l’archéologie : « L’archéologie face à l’intelligence artificielle »

Bibracte imaginée par une intelligence artificielle.

Bibracte imaginée par une intelligence artificielle. © Dall-E

Comme toute autre technique, l’intelligence artificielle (IA) a et aura fatalement de mauvais mais aussi de bons côtés. Les bénéfices en matière d’archéologie s’annoncent très importants tant dans la recherche que dans la diffusion des connaissances, à condition d’être efficacement contrôlés.

En quoi l’intelligence artificielle peut-elle contribuer à la recherche archéologique ? 

La réponse de ChatGPT

« 1. Analyse de données : l’IA peut traiter et analyser de grandes quantités de données archéologiques, comme des images, des cartes et des relevés, permettant ainsi de découvrir des motifs ou des tendances qui pourraient échapper à l’œil humain.
2. Reconnaissance d’images : grâce à des algorithmes de vision par ordinateur, l’IA peut identifier et classer des artefacts, des structures ou des sites archéologiques à partir de photographies aériennes ou de scans 3D.
3. Prédiction de sites : en utilisant des modèles prédictifs, l’IA peut aider à localiser des sites archéologiques potentiels en analysant des facteurs environnementaux, historiques et géographiques.
4. Restaurations virtuelles : l’IA peut également être utilisée pour créer des reconstructions virtuelles d’artefacts ou de sites, offrant ainsi une meilleure compréhension de leur apparence et de leur contexte d’origine.
5. Traitement du langage naturel : les outils d’IA peuvent analyser des textes anciens ou des inscriptions, facilitant ainsi la traduction et l’interprétation de documents historiques.
6. Collaboration interdisciplinaire : l’IA favorise la collaboration entre archéologues, informaticiens et autres spécialistes, ce qui peut enrichir les méthodes de recherche et les résultats.
En somme, l’intelligence artificielle offre des outils puissants qui peuvent améliorer l’efficacité et la précision des recherches archéologiques, tout en ouvrant de nouvelles avenues d’exploration et de compréhension du passé. »

​​​Telle est la réponse que m’a donnée ChatGPT, dans sa version française et gratuite, à la question posée en tête d’article. Chargé personnellement de tenir cette chronique, j’ai souhaité en outre connaître quelle pouvait être alors ma contribution dans ce domaine, et la machine m’a imperturbablement répondu : « Jean-Paul Demoule est un archéologue français reconnu pour ses travaux sur la Préhistoire et l’archéologie du Néolithique. Il a également été un fervent défenseur de l’archéologie publique et de la diffusion des connaissances archéologiques. Jean-Paul Demoule pourrait soutenir l’intégration de l’IA dans l’archéologie, car cela permettrait d’améliorer la compréhension des sites et des artefacts, tout en rendant la recherche plus accessible et collaborative. En somme, l’IA représente une opportunité pour l’archéologie moderne, et des figures comme Jean-Paul Demoule pourraient jouer un rôle dans l’adoption de ces nouvelles technologies pour enrichir la discipline. »

L'objectif principal du projet RePAIR (Reconstructing the Past: Artificial Intelligence and Robotics meet Cultural Heritage) est de développer une technologie révolutionnaire pour aider à la reconstruction physique d'œuvres d'art brisées.

L'objectif principal du projet RePAIR (Reconstructing the Past: Artificial Intelligence and Robotics meet Cultural Heritage) est de développer une technologie révolutionnaire pour aider à la reconstruction physique d'œuvres d'art brisées. © RePAIR

Un sujet d’actualité

Nul n’ignore que l’IA est devenue non seulement un sujet à la mode, mais surtout une perspective incontournable pour les décennies à venir, et dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la recherche scientifique, du contrôle des populations, des opérations militaires – et de la vie quotidienne en général. Les enseignants ont de plus en plus de mal à distinguer les copies originales de leurs élèves de celles produites par l’IA, si ce n’est lorsque ces dernières ne présentent aucune faute d’orthographe ou de français – mais on peut également lui en faire créer. Les journalistes, les écrivains et les scénaristes sont à juste titre de plus en plus inquiets pour l’avenir de leur métier, et rares sont parmi nous celles et ceux qui n’ont pas fait l’expérience de demandes diverses, sérieuses ou non, à ChatGPT ou autre équivalent.

Un enthousiasme parfois excessif

De fait, il y a à peine un an, des collègues roumains, organisateurs d’un colloque d’archéologie à Bucarest et un peu trop enthousiastes, s’étaient fait approcher par des agents de Microsoft qui leur avaient proposé leurs services. Les résumés de nos communications avaient donc été évalués, avant acceptation, par une IA et, à titre de démonstration, des images sur les villages néolithiques avaient été générées en illustration du colloque. Néanmoins, unanimes, les participants refusèrent que les présentations et débats soient accessibles à l’IA, qui aurait ainsi considérablement (et gratuitement) enrichi sa base de données. Rappelons-le en effet, les IA n’ont rien de magique : ce sont juste d’immenses bases de données, en majeure partie états-uniennes, qui répondent aux questions posées en fonction des informations qu’elles contiennent. C’est pourquoi les villages néolithiques générés par notre IA contenaient aussi, faute d’informations suffisantes à ce stade, des kangourous, et que les femmes néolithiques étaient, contrairement aux clichés d’antan, soigneusement vêtues de pied en cap, les bases de données états-uniennes excluant toute image jugée inappropriée. De même, dans la réponse qui m’a été faite plus haut, le terme d’« archéologie publique » (public archaeology) est un simple ­anglicisme. De fait, à des demandes bibliographiques, la machine répond en grande majorité par des titres d’ouvrages anglo-saxons, du moins quand ses réponses ne sont pas fantaisistes.

À gauche, Bibracte imaginée par une intelligence artificielle. À droite, la maquette du village gaulois.

À gauche, Bibracte imaginée par une intelligence artificielle. À droite, la maquette du village gaulois. © Images Dall-E/Bibracte

Des bénéfices très importants

Ceci posé, tout en se gardant des scénarios de cauchemar où les humains seraient à terme remplacés par des machines, et sans espérer non plus freiner une évolution inéluctable, il est évident que, comme toute autre technique, l’IA a et aura fatalement de mauvais mais aussi de bons côtés. Et pour en revenir à l’archéologie, combinée aux images en 3D, les bénéfices seront très importants, tant dans la recherche que dans la diffusion des connaissances, à condition d’être efficacement contrôlés. La réponse détaillée de ChatGPT ci-dessus illustre bien ces divers aspects, en l’état actuel.
Ainsi, face aux destructions dues aux guerres, la reconstitution de monuments définitivement disparus est d’une grande aide, comme l’a montré récemment la société Iconem pour les sites syriens. Ces restitutions, dont le réalisme ne fait que progresser, permettront de visiter depuis chez soi ces sites ou d’autres en réalité augmentée, mais également de rendre de plus en plus réalistes les documentaires archéologiques, quelles que soient les périodes.

Le site de Palmyre en Syrie photographié par un drone.

Le site de Palmyre en Syrie photographié par un drone. © DGAM et Iconem

Des perspectives vertigineuses

Plus concrets pour les scientifiques eux-mêmes sont les logiciels qui aident à recoller les fragments – de poteries ou d’architecture –, ce qui devait se faire jusque-là à la main, fastidieux et coûteux en temps pour les poteries, réclamant des engins de chantier pour l’architecture. Ainsi existe par exemple l’application ArchAIDE. Ces recollages peuvent associer analyse des formes et robotique. Comme le suggérait également la machine au début de cet article, les traitements d’images sont fort utiles pour la détection des sites sur les clichés aériens ou par LiDAR et pour prédire les sites à découvrir. Dans le domaine du trafic illicite d’objets archéologiques, des applications comme Arte-Fact installent une veille permanente sur le marché de l’art, du moins dans sa face visible. La lecture des rouleaux brûlés d’Herculanum sans avoir dû les dérouler, ce qui aurait risqué de les détruire, a été récemment médiatisée. Et dans le domaine plus général de la traduction d’écritures ou de langues indéchiffrées, les perspectives sont prometteuses. L’archéologie fut dans les années 1960, grâce en particulier au Centre d’analyse documentaire pour l’archéologie (CADA), laboratoire du CNRS créé à Marseille par Jean-Claude Gardin, l’une des premières sciences humaines à avoir eu recours à l’informatique. La nature de ses données, souvent très fragmentées, très abondantes et répétitives (tessons de céramique), rendait son utilisation particulièrement pertinente. Désormais, et malgré tous ses dangers potentiels pour les libertés publiques, l’IA fera passer la recherche archéologique à une vitesse bien supérieure.

Pour aller plus loin 
Actes des colloques annuels Computer Applications and Quantitative Methods in Archaeology
Office de Coopération et d’Information Muséale (OCIM), 2024, « L’archéologie face aux défis de l’intelligence artificielle (IA) » [en ligne].
Recherche et intelligence artificielle – numéro spécial 147 de la revue Culture et Recherche, ministère de la Culture, 2024 [en ligne].
RUKH Sh., 2023, Artificial Intelligence in Archaeology: Revealing the Secrets of Ancient Civilizations, Édition indépendante.
VAN DER MAATEN L. J. P. et al., 2007, « Computer Vision and Machine Learning for Archaeology », in CLARK J. T. & HAGEMEISTER M. (dir.), Digital Discovery. Exploring New Frontiers in Human Heritage, Archaeolingua, Budapest.