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L’édito de Jeanne Faton : « Chronique d’un portrait équestre de Velázquez »

Diego Velázquez (1599-1660), La Reine Isabelle de Bourbon à cheval, vers 1635. Huile sur toile, 301 x 314 cm. Madrid, musée national du Prado.

Diego Velázquez (1599-1660), La Reine Isabelle de Bourbon à cheval, vers 1635. Huile sur toile, 301 x 314 cm. Madrid, musée national du Prado. Photo service de presse. © Museo nacional del Prado

Chère lectrice, cher lecteur,

Le musée du Prado a entrepris un vaste projet de restauration des portraits équestres royaux par Velázquez. Celui d’Élisabeth de France (1602-1644), appelée de l’autre côté des Pyrénées Isabelle de Bourbon, vient d’être dévoilé au public.

Un destin extraordinaire

Voilà comment un chroniqueur de la cour d’Espagne la décrivait : « Elle possédait de profonds attraits : ses yeux étaient grands et noirs, sa bouche grande et sensuelle et tout son visage avait une grâce particulière, un mélange de charme français et d’allure espagnole »1. Son destin fut extraordinaire : fille aînée d’Henri IV et de Marie de Médicis, elle n’a que 7 ans quand son père meurt assassiné. Sa mère, descendante des Habsbourg et devenue régente, favorise alors l’alliance avec l’Espagne que refusait Henri IV, en imaginant un machiavélique échange matrimonial : celui de sa fille contre l’infante d’Espagne et du Portugal, Anne d’Autriche. La première sera l’épouse du futur Philippe IV d’Espagne, et la seconde du jeune Louis XIII. Des unions qui, à bien des égards, façonneront le visage de l’Europe. L’échange entre les deux princesses a lieu en novembre 1615, sur l’Île des Faisans, à la frontière entre l’Espagne et la France. L’événement sera immortalisé par Rubens dans Le cycle de la Vie de Marie de Médicis au palais du Luxembourg. Élisabeth n’a alors que 13 ans, et Philippe 10.

Diego Velázquez (1599-1660), La Reine Isabelle de Bourbon à cheval, vers 1635 (détail). Huile sur toile, 301 x 314 cm. Madrid, musée national du Prado.

Diego Velázquez (1599-1660), La Reine Isabelle de Bourbon à cheval, vers 1635 (détail). Huile sur toile, 301 x 314 cm. Madrid, musée national du Prado. Photo service de presse. © Museo nacional del Prado

La froideur de l’étiquette espagnole

À la mort de Philippe III en 1621, Élisabeth devient officiellement reine d’Espagne. De nature gaie et enjouée, élevée librement avec ses frères à la cour de Saint-Germain-en-Laye, elle doit se plier à la froideur de l’étiquette espagnole et surtout composer avec le redoutable comte duc d’Olivares : favori du roi, il craint de voir son influence supplantée auprès du souverain par la jeune reine, qui charme, par sa beauté et sa vivacité, Philippe IV. Olivares contrôle étroitement son entourage, lui choisit comme dame d’honneur sa propre femme pour mieux l’espionner, incite le roi à prendre des maîtresses et rabroue un jour vertement la malheureuse par ces mots : « Les religieuses sont faites pour prier et les femmes pour enfanter » !

Un portrait maltraité

En 1634-1635, Velázquez entreprit une série de portraits équestres de la famille royale pour décorer le Salon des Royaumes du palais du Buen Retiro, construit pour Philippe IV par son favori. Sur le mur nord-ouest, Élisabeth faisait face à son époux ; au-dessus, l’infant Baltasar Carlos, né en 1629, les séparait. Sur le mur sud-est, figuraient les parents du souverain, Philippe III et Marguerite d’Autriche. Des représentations des glorieuses batailles remportées par Philippe IV complétaient ce programme iconographique, ainsi que les Travaux d’Hercule, illustrés par dix toiles de Zurbarán. Dès son installation, le portrait d’Élisabeth (comme son pendant, celui de Philippe IV) fut maltraité : son emplacement initial ayant été modifié, Velázquez dut agrandir sa composition par deux bandes de 30 cm de chaque côté, puis accepter de découper sa toile et d’en coller le bord inférieur droit sur une des portes latérales du Salon pour en permettre l’ouverture ! Ces modifications initiales, devenues apparentes avec le temps, perturbaient la lecture de l’œuvre, tandis que des vernis ajoutés lors de restaurations postérieures ternissaient son éclat.

Diego Velázquez (1599-1660), La Reine Isabelle de Bourbon à cheval, vers 1635 (détail). Huile sur toile, 301 x 314 cm. Madrid, musée national du Prado.

Diego Velázquez (1599-1660), La Reine Isabelle de Bourbon à cheval, vers 1635 (détail). Huile sur toile, 301 x 314 cm. Madrid, musée national du Prado. Photo service de presse. © Museo nacional del Prado

Les victoires d’une reine

Tournée vers le spectateur, trônant en majesté sur un Lipizzan extraordinairement brossé par le génial Velázquez, Élisabeth de France sort ainsi une nouvelle fois de l’ombre : auréolée du respect que donnait aux reines la mise au monde d’un héritier, elle sut avec finesse contrer peu à peu Olivares, profiter de ses erreurs et de son impopularité croissante auprès des grands d’Espagne, pour obtenir finalement son renvoi en 1643, alors que le soulèvement du Portugal et de la Catalogne lui conférait, en l’absence du roi, la régence du royaume…

Chère lectrice, cher lecteur, l’enfantement donne parfois aux femmes une sagesse que les hommes n’ont pas toujours. Une excellente lecture de votre Objet d’Art !

1 Témoignage cité dans « Une reine entre ombres et lumières ou le pouvoir au féminin : le cas d’Isabelle Bourbon, reine d’Espagne, première femme de Philippe IV », Fréderique Sicard, 2009, OpenEditions Journals.