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L’édito de Jeanne Faton : « L’archéologie préventive victime d’une attaque en règle »

Vue de la fouille préventive de l'Inrap à Lavau en 2014-2015. Elle a notamment permis de mettre au jour la tombe d’un très riche personnage ayant vécu vers 500 avant notre ère.

Vue de la fouille préventive de l'Inrap à Lavau en 2014-2015. Elle a notamment permis de mettre au jour la tombe d’un très riche personnage ayant vécu vers 500 avant notre ère. © Inrap

Chère lectrice, cher lecteur,

En janvier 2021, Archéologia publiait un article intitulé « L’archéologie préventive en France, quel bilan en 2021 ? ». Cet article paraissait 20 ans après la loi du 17 janvier 2001, à l’origine de la création de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, le 1er février 2002, et disposant que le financement des fouilles préventives serait à la charge des aménageurs du territoire. Son auteur, Jean-Paul Demoule, ancien président de l’Inrap, y expliquait comment on était passé d’une « archéologie de sauvetage » – les archéologues interviennent après le passage des bulldozers pour sauver ce qui peut encore l’être – à une archéologie préventive : les archéologues interviennent avant les premiers coups de pelleteuse.  

Une naissance chaotique…

Il insistait sur la fragilité de cette archéologie préventive en France – née de manière chaotique, après un demi-siècle de scandales (destruction de la plus grande partie du port de Marseille en 1969, destruction des thermes romains de Bourdoule en 1977, etc.) et des tergiversations  d’un pouvoir politique, peu convaincu de son intérêt et souvent hostile à la protection du patrimoine : Alain Juppé, en 1997, déclarant que des promoteurs immobiliers pouvaient poursuivre leur travaux sur les remparts de Rodez, « sans crainte d’être poursuivis pour démolition de vestiges archéologiques »… La liste est longue et malheureusement l’actualité récente vient à nouveau de démontrer la précarité de l’archéologie préventive en France. Il y a à peine un an, Rachida Dati, à Dampierre, déclarait qu’il ne faut pas creuser un trou pour le plaisir de creuser un trou. 

Détail des différents éléments décorés du fourreau et de la poignée à antennes de l’épée de la sépulture 782 découverte lors de la fouille préventive réalisée en amont du projet d’extension de la ZAC des Ancises à Creuzier-le-Neuf (Allier)

Détail des différents éléments décorés du fourreau et de la poignée à antennes de l’épée de la sépulture 782 découverte lors de la fouille préventive réalisée en amont du projet d’extension de la ZAC des Ancises à Creuzier-le-Neuf (Allier) © Flore Giraud, Inrap

… et une existence bien fragile

Le 9 avril dernier, l’Assemblée nationale entamait l’examen du projet de loi pour la simplification de la vie économique, visant à faciliter la réalisation de projets d’aménagement du territoire en allégeant certaines procédures. Les députés du groupe Horizon saisissaient aussitôt l’occasion pour déposer un amendement prévoyant d’affranchir les projets « d’intérêt national » de toute obligation d’archéologie préventive, suscitant la vive inquiétude des archéologues dont on a pu lire les tribunes récentes dans Le Monde et Le Figaro. Parallèlement, le tribunal administratif de Montreuil annulait, le 3 mars dernier, la décision du préfet d’Île-de-France prescrivant « un diagnostic d’archéologie préventive » sur une friche à Aubervilliers, située précisément à l’emplacement du bourg médiéval. Cette décision avait été attaquée par la société civile de construction vente, SCCV, qui a le projet d’y construire un immeuble de 21 logements. Il n’est pas besoin d’avoir fait les grandes écoles pour connaître l’importance de Saint-Denis au Moyen Âge et dans l’Histoire de France. Les aménageurs ne payent jamais les diagnostics et ils peuvent répercuter le coût des fouilles ailleurs. Mais un diagnostic, suivi ou non d’une fouille, complique évidemment leur intérêt économique immédiat.

Seulement 4 à 5 % des surfaces concernées

Dans l’article d’Archéologia, Jean-Paul Demoule rappelait aussi que l’archéologie préventive concerne seulement 4 à 5 % des surfaces visées par les travaux de terrassement, qui portent eux sur 500 à 600 km2 par an, soit la surface d’un département français tous les huit ans, alors qu’en moyenne le sol français recèle un site archéologique tous les 4 hectares. Même réduite comme une peau de chagrin, l’archéologie préventive a permis et permet toujours de mettre au jour des sites majeurs. 

La fin d’une politique systématique de protection du patrimoine ?

Condamné à 2 000 euros d’amende par le tribunal de Montreuil, l’État n’a pas fait appel. Si la décision de ce tribunal devait faire jurisprudence, cela signifierait la fin d’une politique systématique de protection du patrimoine. Déjà, en 2009, l’Assemblée nationale avait approuvé la suppression de l’avis conforme des Architectes des Bâtiments de France pour la protection du patrimoine bâti – et donc de son archéologie aussi. Espérons qu’à l’avenir nos ardentes prières à Jérôme de Stridon, saint patron des archéologues, et Lucie de Syracuse, sainte patronne des aveugles, rendent la vue aux juges malvoyants, aux députés d’Horizon et à tous nos hommes et femmes politiques, qui voudraient sacrifier le temps noble de l’archéologie et son apport fondamental à la connaissance du patrimoine et de notre histoire, à celui du béton, opportunément labellisé par nos élus d’intérêt national.

Fouilles du massif occidental de la basilique, état d’avancement à l’intérieur en janvier 2023.

Fouilles du massif occidental de la basilique, état d’avancement à l’intérieur en janvier 2023. © Emmanuelle Jacquot, Département de la Seine-Saint-Denis