L’édito de Jeanne Faton : « Où est passé le bon docteur Gachet ? »

La maison du docteur Gachet à Auvers-sur-Oise. Photo service de presse. © Arthenon
Chère lectrice, cher lecteur,
Inscrite à l’inventaire des Monuments historiques en 1991 et labellisée Maison des illustres en 2012, la maison du docteur Gachet à Auvers-sur-Oise vient de rouvrir au public, restaurée.
Le bon docteur s’y était installé en 1872 afin de soigner son épouse malade. Hélas, l’humidité de l’air, retenue par les carrières de calcaire adjacentes, n’apporta pas à Madame Gachet la rémission souhaitée, mais l’acheva trois ans plus tard.
Ami des artistes et artiste lui-même, Gachet y pratiquait la gravure et y accueillit, entre autres, Pissarro, Cezanne, Guillaumin et Van Gogh. La maison a été restaurée et remeublée sous la direction de l’historien de l’art hollandais Wouter van der Veen, spécialiste de Van Gogh, qui a redécouvert dans le petit village le motif de l’ultime tableau de l’artiste, des racines d’arbres tourmentées.
Le salon. Photo service de presse. © Arthenon
Une reconstitution minutieuse
Si peu d’exemples du mobilier du docteur Gachet subsistaient, Wouter van der Veen a pu reconstituer, au rez-de-chaussée, l’ambiance de la maison par des équivalents, dans le salon en particulier, grâce à une photographie d’époque. Dans les chambres, une exposition « Empreintes gravées : l’atelier du docteur Gachet » rend hommage à la passion du docteur pour la pratique de l’estampe. Des peintures de son fils, Paul Louis, artiste aussi, y figurent également. Et au grenier, qui malheureusement ne se visite qu’exceptionnellement, où se trouvait la presse du docteur, on peut voir encore la verrière au nord, percée sur les conseils de Cezanne, ou des inscriptions au crayon laissées par les artistes impressionnistes.
Presse utilisée par le docteur Gachet. Photo service de presse. © Arthenon
À l’arrière du jardin, à l’aplomb des carrières, une basse-cour et une tortue prénommée Henriette tenaient compagnie aux artistes. C’est là que se trouvait la table en bois rouge, où Van Gogh peignit le docteur accoudé dans une posture mélancolique, une fleur de digitale à la main. La table a été reconstituée à l’identique, mais le bon docteur a disparu.
À l'arrière de la maison, la table en bois rouge où Van Gogh peignit le portrait du docteur Gachet a été reconstituée. © J.F.
Le praticien le plus cher du monde
La dernière fois qu’on l’a aperçu, c’était le 15 mai 1990 à New York. Il était devenu le praticien le plus cher du monde : son portrait avait été adjugé 90 M$ (une enchère encore jamais atteinte pour un tableau) à l’homme d’affaires japonais Ryoei Saito. Rattrapé trois ans plus tard par un scandale de corruption, condamné à la prison, ce dernier avait annoncé sa volonté d’être, à sa mort, incinéré avec le bon docteur et les autres œuvres de sa collection.
Heureusement, au pays du Soleil-Levant, l’apprenti Dupont de Ligonnès des œuvres d’art n’a jamais mis son funeste souhait à exécution. Il aurait revendu le portrait du docteur à un investisseur new-yorkais d’origine autrichienne, Wolfgang Flöttl, qui aurait été lui-même forcé de le céder, après avoir été aussi impliqué dans un scandale financier.
Le bon docteur, ami des artistes sans le sou, porterait-il malheur à ses acquéreurs fortunés ?
Vincent van Gogh (1853-1890), Portrait du docteur Gachet, juin 1890. Huile sur toile, 66 x 57 cm. Vente Christie’s, New York, 15 mai 1990. © DR
De mains en mains
Son premier propriétaire a été le marchand Ambroise Vollard qui l’acheta à Johanna van Gogh (la femme de Theo) 300 francs en 1897. Après un passage entre différentes mains, la toile entra dans les collections du Städel Museum de Francfort. Considérée comme une œuvre d’art dégénéré, elle fut confisquée par les nazis en 1933, vendue par Hermann Goering sur le marché parisien et se retrouva dans les collections du Hollandais Siegfried Kramarsky, qui l’emporta à New York, la prêta au Metropolitan Museum of Art pour une exposition temporaire, jusqu’à ce que ses héritiers décidassent de la vendre en 1990.
Chère lectrice, cher lecteur, une rumeur circule aujourd’hui, mentionnant la présence de l’énigmatique docteur Gachet dans une collection italo-suisse.
Car, en aucun cas, son suicide ne peut être envisagé : ce n’était pas un mélancolique, comme Van Gogh l’a dépeint, mais un bon vivant, joyeux luron et plutôt libertaire. Et sa maison restaurée, peinte par un Cezanne encore impressionniste, et son jardin très joliment fleuri, où Van Gogh planta aussi son chevalet, méritent le détour…
Une excellente lecture de votre nouvel Objet d’Art !
Le jardin de la maison Gachet. Photo service de presse. © Corentin Cagnard
Maison du docteur Gachet, 78 rue Gachet, 95430 Auvers-sur-Oise, tél. 01 30 36 81 27. Site Internet