
Le château de Versailles vient de s’offrir pour 53 320 € un splendide portrait du premier valet de chambre de Louis XV par Carmontelle qui immortalise en arrière-plan la célèbre pendule astronomique de Passemant.
Voilà une acquisition qui résonne comme un exquis préambule à la très attendue exposition « Louis XV, passions d’un roi » qui le 18 octobre ouvrira ses portes à Versailles. Proposée par Ivoire Troyes entre 8 000 et 12 000 €, cette délicate feuille aquarellée a quintuplé son estimation sous le feu des enchères jusqu’à atteindre 53 320 €, prix auquel le château de Versailles a exercé son droit de préemption.
Un intime du « Bien-Aimé »
Le personnage dont elle conserve le souvenir est en effet un familier du château. Fils de financier, Jean-Benjamin de La Borde (1734-1794) aurait vraisemblablement baigné sa vie entière dans cet univers si sa lointaine parenté avec Madame de Pompadour n’avait fait basculer son destin dans une tout autre direction. Introduit à la Cour par la marquise, il devient en 1762 premier valet de chambre du Roi et s’impose rapidement comme un intime du monarque. Il sera également nommé gouverneur du Louvre, comme le rappelle vraisemblablement dans son portrait la clé qu’il arbore négligemment dans sa main gauche. Véritable épicurien, cet homme raffiné mène grand train depuis le pavillon des Tuileries où le roi l’a installé. Musicien passionné, il sera notamment l’un des amants de la Guimard, célèbre danseuse de l’Opéra. Disgracié au décès de Louis XV, il renoue à l’âge de quarante ans avec le monde de la finance : en 1780, il devient, comme son père avant lui, fermier général. Ruiné par la Révolution, il se retire en Normandie où la Terreur finira par le retrouver. Sûr de pouvoir prouver son innocence il sera pourtant exécuté au terme d’un rapide procès, cinq jours seulement avant la chute de Robespierre.
Témoin de la « douceur de vivre »
Grand témoin de son siècle, Louis Carrogis dit Carmontelle (1717-1806) captura sous son crayon une douceur de vivre bientôt vouée à l’échafaud. À la fois architecte-paysagiste et auteur dramatique, dessinateur et graveur, ce brillant amateur avait mis ses talents au service du duc d’Orléans dont il orchestra les divertissements. Grand ordonnateur de ses fêtes, il fit partie de l’entourage cultivé et raffiné du prince du sang qu’il immortalisa en près de 750 portraits. Princes et princesses, compositeurs et musiciens, salonniers et hommes de lettres, cantatrices et acteurs, Mozart, Rameau, Buffon, le baron Grimm… Tous eurent droit, seuls ou en groupe, à un portrait aquarellé les mettant en scène de profil – une caractéristique de l’art de cet artiste amateur qui dissimule ainsi habilement ses lacunes techniques. Carmontelle était en 2020 à l’honneur au cabinet d’arts graphiques du château de Chantilly qui grâce au duc d’Aumale conserve la plus importante collection au monde d’œuvres de l’artiste, réunissant 484 portraits dessinés et un transparent (voir EOA n° 570, pp. 26-29).
Le chef-d’œuvre de Passemant
Les amateurs reconnaîtront à l’arrière-plan du dessin la silhouette familière de la plus extraordinaire création horlogère du siècle des Grâces : la pendule astronomique conçue par Claude-Siméon Passemant (1702-1769). Il fallut à ce génial horloger, qui fut un temps marchand-mercier, douze ans pour la concevoir et huit pour en réaliser la sphère planétaire ; acquise par Louis XV en 1750, elle sera confiée au sculpteur Caffieri qui imaginera un écrin de bronze doré à sa mesure. Trônant à Versailles sur son socle de marbre depuis 1754, elle constituait chaque 31 décembre une attraction pour la famille royale qui ne manquait pas de se réunir autour d’elle afin d’assister à l’avènement de la nouvelle année. Soigneusement restaurée par le C2RMF, la pendule de Passemant accueillera somptueusement le visiteur dans l’exposition Louis XV.

Olivier Paze-Mazzi

Pour aller plus loin :
Carmontelle
Les Carnets de Chantilly
82 p., 9,90 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.com