Giuseppe De Vito (1924-2015) constitue dès les années 1960 une remarquable collection de peintures du Seicento napolitain, aujourd’hui conservée au sein de sa Fondation. Doté d’un œil aiguisé, cet ingénieur de profession, qui a su développer une véritable démarche d’historien de l’art, est à l’honneur au musée Granet d’Aix-en-Provence, après l’avoir été au musée Magnin à Dijon au printemps. Quarante toiles mettent en lumière le creuset artistique bouillonnant que fut Naples au XVIIe siècle. Entretien avec les commissaires de l’exposition : Nadia Bastogi, directrice scientifique de la Fondazione De Vito, Paméla Grimaud, conservateur au musée Granet, et Sophie Harent, directrice du musée Magnin.
Propos recueillis par Isabelle Manca.
Quelle est la genèse de l’exposition ?
P. G. : Quand j’ai pris mes fonctions de conservateur au musée Granet en 2019, j’ai souhaité proposer des expositions qui embrassent deux axes très importants à mes yeux : tout d’abord la notion de collectionnisme privé, qui est étroitement liée à l’histoire de notre établissement. Par le passé, le musée a organisé des expositions remarquées sur le sujet, comme la présentation de la collection d’art moderne et contemporain allemand de Frieder Burda, ou encore celle des chefs-d’œuvre impressionnistes et postimpressionnistes réunis par l’homme d’affaires new-yorkais Henry Pearlman. C’est clairement une thématique que nous souhaitons renforcer ; tout comme le fait d’accentuer la résonance des expositions avec nos propres collections. Nous travaillons actuellement au catalogue raisonné des peintures italiennes et nous voulons notamment valoriser notre fonds napolitain qui est important mais qui n’était pas assez mis en avant jusqu’à présent. Quand j’ai appris par la Réunion des musées nationaux le projet du musée Magnin avec la Fondation De Vito, j’ai immédiatement saisi l’occasion de nous associer à cette exposition.
Sophie Harent, comment avez-vous découvert la Fondation De Vito, qui demeure encore assez confidentielle en France ?
S. H. : L’éminent académicien et historien de l’art Pierre Rosenberg, que je connais de longue date, a fait l’intermédiaire avec la Fondation. Il savait que je cherchais des projets en lien avec l’histoire des collections et du collectionnisme, car nous sommes nous aussi un musée de collectionneurs (les œuvres réunies par Maurice Magnin constituent l’intégralité de notre fonds). Ce partenariat avec la Fondation De Vito, qui souhaitait justement valoriser les œuvres réunies par son créateur, avait d’autant plus de sens que nous conservons un ensemble italien important qui comprend notamment des tableaux napolitains assez rares. Nous possédons par exemple des peintures de Nicola Maria Rossi et de Giacomo Del Po, deux artistes napolitains peu présents dans les autres musées français. Il y a donc eu un alignement de planètes entre les désirs des différents acteurs, et sans la pandémie l’exposition aurait été programmée bien plus tôt. Ce délai nous a toutefois permis de mûrir davantage le sujet.
Vous présentez les deux tiers des tableaux appartenant à la Fondation, comment avez-vous choisi les œuvres ? Quelles ont été vos contraintes ?
S. H. : Nous ne pouvions pas présenter les soixante-quatre œuvres de la Fondation pour des raisons de place. Nous avons donc envisagé d’emblée de réaliser une sélection représentative des différents courants du Seicento, que Giuseppe De Vito a embrassé de façon très judicieuse, du caravagisme aux inflexions baroques de la seconde moitié du siècle. Le fonds qu’il a réuni nous permet de présenter un panorama relativement exhaustif de la peinture napolitaine. Cela nous tenait d’autant plus à cœur que cette école est assez mal connue en France. Pour des questions de cohérence et de lisibilité, nous avons opté pour un parcours en neuf sections abordant les thèmes emblématiques de ce foyer : le naturalisme, les échanges culturels, la grande peinture religieuse, les scènes de bataille, ou encore la nature morte. Nous avons aussi souhaité proposer des focus sur des personnalités incontournables, telles que Luca Giordano et Mattia Preti. Il nous semblait également essentiel de raconter l’histoire singulière de cette ville, qui fascinait déjà l’Europe au XVIIe siècle. À Dijon, le public a été séduit par la qualité et la diversité des quarante œuvres réunies. La sélection est restreinte, mais le public comprend tout de suite qu’il s’agit d’un ensemble de premier plan.
P. G. : Le choix des œuvres s’est fait rapidement et de manière assez évidente lorsque nous avons visité la Fondation fin 2019. Outre la découverte des tableaux, ce court séjour nous a permis d’échanger avec Nadia Bastogi, qui en assure la direction scientifique depuis plusieurs années. Elle nous a guidées dans notre sélection en nous expliquant l’histoire et l’importance des ensembles que Giuseppe De Vito a constitués. L’idée était de réunir les toiles majeures pour valoriser les choix très éclairés du collectionneur, mais aussi de mettre en lumière son travail d’historien de l’art, qui relève d’une démarche vraiment remarquable. De Vito a en effet réuni des ensembles très cohérents autour de plusieurs artistes tels que Preti, Giordano et le Maître de l’Annonce aux bergers, encore assez mystérieux.
Les recherches menées dans le cadre de la préparation de cette exposition ont-elles permis de faire des découvertes ?
N. B. : Oui, bien sûr, car de nombreux tableaux avaient été étudiés uniquement par De Vito. Nous avons donc cherché autant que possible à retrouver la provenance des œuvres, à établir leur historique, à les étudier à la lumière de l’historiographie récente. Ce projet nous a permis d’approfondir nos connaissances et de les actualiser. Nous avons par exemple pu préciser certaines datations et attributions, comme celle de la Bataille entre les Turcs et les chrétiens à Aniello Falcone. Même si, dans l’ensemble, De Vito avait un œil très aguerri et qu’il ne s’est pratiquement jamais trompé. Se pencher à nouveau sur les sujets des œuvres et leur interprétation nous a également permis de mieux comprendre certains tableaux comme la Scène de charité avec trois enfants mendiants de Preti ou encore le Vase de fleur historié de Luca Forte.
En quoi la démarche de De Vito est-elle singulière ? Et pourquoi est-elle si intéressante pour un musée ?
N.B. : Ses activités de collectionneur et d’historien de l’art sont étroitement liées. « Tantôt il achetait pour étudier, tantôt il étudiait pour acheter », ainsi que le résume le président de la Fondation, Giancarlo Lo Schiavo. Ce qui est très intéressant, c’est la cohérence de sa démarche, la qualité de ses choix et le fait qu’il n’avait pas une approche spéculative. De fait, il n’a jamais revendu un tableau alors même qu’il en a réattribué plusieurs et qu’il aurait pu en tirer un bénéfice certain. Comme dans le cas du Saint Antoine abbé de Ribera, qui était donné à son école car il était très sale, et dont personne n’avait repéré la signature et la date avant lui. Il se fiait à son œil et il n’écoutait pas l’avis des marchands, d’ailleurs il n’avait pas de marchand attitré. Il décidait seul de ses acquisitions, même si au début il s’est appuyé sur les conseils de grands spécialistes comme Raffaello Causa, qui pouvaient lui signaler des œuvres intéressantes sur le marché ou en mains privées. Chacune de ses acquisitions devait lui permettre de recomposer la scène artistique napolitaine qu’il étudiait. C’est pourquoi il a consacré beaucoup de temps à la reconstitution de corpus de personnalités qui n’étaient plus connues à l’époque, à l’instar d’Antonio De Bellis, Nunzio Rossi ou encore d’Andrea Vaccaro, qu’il a contribué à sortir de l’ombre. C’est encore plus flagrant pour le Maître de l’Annonce aux bergers sur lequel il a beaucoup travaillé et dont il a rassemblé quatre toiles, soit le plus grand ensemble en mains privées.
À retrouver dans :
L’Objet d’Art hors-série n° 170
Naples pour passion
48 p., 11 €.
À commander sur : www.lobjet-dart-hors-serie.com
« Naples pour Passion. Chefs-d’œuvre de la collection De Vito »
Jusqu’au 29 octobre 2023 au musée Granet
Place Saint-Jean-de-Malte, 13100 Aix-en-Provence
Tél. 04 42 52 88 32
www.museegranet-aixenprovence.fr
Catalogue, coédition RMN-Grand Palais / musée Magnin / musée Granet / Fondazione De Vito, 160 p., 30 €.