
Installé provisoirement dans les somptueux locaux de la Sauvegarde de l’Art français, le World Monuments Fund ouvre à nouveau une antenne française à Paris, après cinq années d’absence. Sa nouvelle directrice, Mathilde Augé, s’explique sur les projets en cours et ceux à venir. Un retour de bon augure pour le patrimoine français.
Propos recueillis par Nathalie d’Alincourt et Jeanne Faton.
Le World Monuments Fund a eu un bureau en France entre 1989 et 2017. Pourquoi le rouvrir aujourd’hui ?
À côté des grandes actions développées à travers le monde, notamment au Cambodge à Angkor ou en Irak avec la réhabilitation du musée culturel de Mossoul, le WMF attache une importance toute particulière à l’ouverture d’antennes locales. La fermeture du bureau français était liée à un contexte politique et économique particulier. Deux projets importants sont actuellement en cours en France et nous avons aujourd’hui la volonté d’en entreprendre d’autres, en nous rapprochant également des institutions internationales basées en France (UNESCO, ICOMOS). Un conseil d’administration présidé par son altesse le prince Amyn Aga Khan, entouré de personnalités éminentes et une généreuse donation de la Florence Gould Foundation de 1 500 000 dollars, ont aussi permis de mettre en place cette réouverture. Un comité scientifique sera prochainement constitué afin de soutenir les projets du WMF-France.
Quels sont les deux grands projets en cours dans l’hexagone ?
Ce sont deux projets au long cours. La restauration de la chapelle Saint-Joseph, située dans le bas-côté nord de l’église Saint-Eustache, s’est achevée en septembre 2023, mais elle s’inscrit dans un programme plus vaste conduit par la ville de Paris : la mise en place d’un dispositif de médiation pour que les Parisiens se réapproprient ce patrimoine magnifique au cœur du quartier des Halles, où depuis toujours Saint-Eustache a joué un vrai rôle social. L’objectif de la mairie de Paris est que tout soit en place pour les Jeux Olympiques de 2024… Le second projet est celui du potager du Roi à Versailles.

Qu’a dévoilé la restauration de la chapelle ?
Son décor peint présentait un état très préoccupant : dans ses parties hautes, les peintures, masquées par du papier Japon afin de les protéger d’une éventuelle chute d’écailles, ont révélé après restauration des scènes de la vie du Christ datant du XVIIe siècle, sans que l’on puisse les attribuer à un artiste précis.
Qu’en est-il de ce que vous appelez le « chantier du siècle », le potager du Roi à Versailles ?
Ce projet s’inscrit dans notre programme consacré aux jardins historiques. Il a pris forme au début des années 1990, notamment avec le soutien du WMF pour la restauration de la grille et celle de la fontaine du grand carré. Puis en 2008, le WMF a inscrit le potager sur la Watch List, qui répertorie, tous les deux ans, vingt-cinq sites patrimoniaux à travers le monde à protéger de toute urgence. La mission historique du potager du Roi – produire, expérimenter et enseigner – est toujours actuelle, et ce projet se fait en collaboration avec l’École nationale supérieure de paysage de Versailles (ENSP). Nous allons annoncer prochainement une nouvelle phase de travaux. La réfection des murs d’enceinte menaçant ruine a été engagée, ce qui permettra de remplacer les arbres fruitiers qui s’y adossent. La restauration du bâtiment de la forge, inoccupé, situé près de la grille d’entrée du potager, est aussi engagée.
La réouverture d’une filiale en France va susciter de nouveaux projets de restauration. Allez-vous lancer des appels à candidature ?
Nous entrons là dans le cœur de la mission du WMF. Cela se passe de deux manières différentes. La Watch List permet d’une part un grand appel à candidature auprès des institutions, suivi d’une sélection de sites par des experts indépendants. Les filiales locales du WMF apportent d’autre part des projets locaux : c’est le centre de ma mission en France. Trois critères principaux président à nos projets : le premier est le développement durable et le réchauffement climatique (nous travaillons, par exemple, sur le site d’Hurst castle en Angleterre menacé par l’érosion des falaises, ou la rénovation du système historique des eaux en Inde) ; le second est l’élaboration de modes de tourisme durable et la promotion d’une vision inclusive du patrimoine, et enfin le troisième, répond aux situations de crises (catastrophes naturelles et conflits). Le WMF a ainsi recruté à temps plein une employée en Ukraine.
Mathilde Augé
« À côté des grandes actions développées à travers le monde, notamment au Cambodge à Angkor ou en Irak avec la réhabilitation du musée culturel de Mossoul, le WMF attache une importance toute particulière à l’ouverture d’antennes locales. »
Quels sont vos modes de financement ?
À l’origine, un grand amateur, le général Gray, passionné par le patrimoine, a rassemblé des financements autour de lui et fondé le WMF. Nous bénéficions aujourd’hui de donations de fonctionnement diverses et, pour chaque projet, nous allons chercher des fonds sous la forme de mécénat individuel.
Dans ces différents critères, réchauffement climatique, surtourisme, patrimoine inclusif, y en a-t-il un qui vous touche plus particulièrement ?
Personnellement, je suis plus sensible aux questions du patrimoine inclusif et du réchauffement climatique, auxquelles j’ai été confrontée dans mon propre parcours. J’ai une formation initiale d’historienne de l’art. Mes recherches ont porté sur les relations artistiques entre Paris et Istanbul, les artistes turques installés à Paris avant et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, complètement oubliés aujourd’hui, à part quelques exceptions.
Vous rentrez d’un séjour de plusieurs années à l’étranger. Quel regard portez-vous sur le patrimoine en France ? Est-ce que vous vous dites que la France a de grands moyens pour protéger son patrimoine ? Ou considérez-vous qu’il y a beaucoup à faire ?
Une sorte de mélange des deux. Je redécouvre le patrimoine français avec un œil différent et je m’aperçois qu’il y a beaucoup à faire en termes de restauration et de protection : c’est en particulier le cas des églises parisiennes. Cependant au niveau mondial, la France est un pays privilégié – l’État et ses différentes structures agissent beaucoup – mais il ne peut pas faire face à tout, car le patrimoine français est colossal. Pour ses missions à venir, le WMF n’aura que l’embarras du choix !
Quand allez-vous annoncer les prochains projets ?
L’appel à projet officiel de la Watch List aura lieu dans le courant de l’hiver. Pour la France, nous n’avons pas encore établi de calendrier – il se fera un peu au fil de l’eau en fonction des dossiers proposés… L’ouverture officielle du bureau aura lieu les 16 et 17 septembre à l’occasion des Journées européennes du Patrimoine, avec un concert à Saint-Eustache le samedi. Nous devrions être en mesure d’annoncer de nouveaux projets d’ici janvier 2024.
