La restauration du grand salon du château de Vaux-le-Vicomte vient de s’achever avec la mise en place d’un système de vidéoprojection donnant pour la première fois vie au spectaculaire plafond peint qu’avait imaginé Charles Le Brun pour Nicolas Fouquet, avant que l’ambitieux surintendant ne se brûle les ailes au contact du Soleil.
« Le 17 août, à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France ; à 2 heures du matin, il n’était plus rien. » Même si l’on sait aujourd’hui que la trop fastueuse réception donnée en son domaine de Vaux par le puissant surintendant des Finances ne fit que confirmer la décision déjà prise par Louis XIV de procéder à son arrestation, le mot fameux de Voltaire traduit l’ampleur de la chute du ministre, qui sera arrêté à Nantes le 5 septembre et finira ses jours entre quatre murs. Sorti de terre entre 1656 et 1658, le somptueux château de Vaux-le-Vicomte imaginé par Louis le Vau (1612-1670) mettait tout particulièrement en scène par son parti pris novateur les grandes ambitions de l’imprudent Fouquet. Structurant par sa puissante silhouette convexe la façade sur le jardin, le grand salon de plan ovale préfigure ainsi, en étant placé par l’architecte au centre de l’édifice, une évolution majeure de la distribution intérieure à la française, déjà esquissée, avec moins d’ampleur, au château du Raincy.
Un décor inachevé
Conduite à partir de 1658 par Charles Le Brun (1619-1690), la campagne de décoration intérieure demeure inachevée lors de la fête du 17 août 1661, en prévision de laquelle il fallut démonter les échafaudages encombrant le grand salon. Les convives purent tout de même admirer le riche répertoire décoratif déployé par le décor sculpté : au premier niveau, seize pilastres composites à fût lisse rythment les travées, une organisation complétée à l’attique par seize baies encadrées de termes sculptés évoquant les Signes du zodiaque et les Saisons. Le sculpteur Jacques Houzeau (1624-1691), que l’on retrouvera bientôt à Versailles, en réalisa quinze ; représentant l’Hiver, le seizième est l’œuvre de François Girardon (1628-1715). Les carreaux de marbre noir et blanc que l’on retrouvera dans les sous-sols du château avant leur acquisition par le roi nous laissent par ailleurs imaginer la nature du sol prévu par Le Vau. Le blanc domine dans ce décor minéral, surmonté d’une vaste coupole de 380 m2 prête à peindre.
Un aigle noir perdu au milieu des nuages
Cet état d’inachèvement provisoire allait pourtant s’éterniser cent-quatre-vingts ans, avant que le domaine, devenu la propriété des Choiseul-Praslin, ne soit restauré à partir de 1841 par l’architecte Louis Visconti (1791-1853). Les portes-fenêtres du grand salon sont alors dotées de grilles en fer forgé, tandis que la coupole reçoit enfin un décor peint réalisé par l’artiste Jean-Charles Duttenhofer (1795-1884) figurant un aigle noir voltigeant au milieu d’un ciel nuageux. Ironie du sort : il s’agit de la copie incomplète du plafond du château allemand de Ludwigsburg… dont le décor sculpté s’inspire directement du grand salon de Vaux-le-Vicomte.
Se rapprocher de l’état historique de 1661
En 2021, la restauration du décor du salon a entraîné le nettoyage de la voûte très encrassée. Ce dernier a permis de déterminer l’identité du peintre et de découvrir les « fantômes » de deux des cinq aigles ornant en Allemagne la composition originale. La faible qualité des parties basses du ciel assurant la jonction avec le décor sculpté a par ailleurs été mise en évidence. Déplorant le manque de lisibilité du grand salon, chef-d’œuvre de l’architecture du Grand Siècle couronné d’une coupole peinte assez médiocre, les propriétaires des lieux ont pris la décision, en accord avec l’architecte en chef des Monuments historiques Didier Repellin et la DRAC Île-de-France, de recouvrir le plafond d’un badigeon blanc. « Plutôt que de maintenir l’état historique sans intérêt et peu harmonieux de 1847, il nous a paru judicieux de montrer au public l’état historique de 1661, plus équilibré et plus émouvant historiquement : Fouquet, ses artistes, le roi et la cour ont vu le grand salon dans cette même configuration », confie Ascanio de Vogüé, qui préside avec ses frères aux destinées du domaine.
Renaissance d’une composition jamais exécutée
En parallèle de cette opération, une réflexion a été conduite afin de livrer au regard du visiteur d’aujourd’hui une vision de ce qu’auraient pu admirer ceux du Grand Siècle si la chute de Fouquet n’avait mis un terme à ses projets. Le Brun avait en effet prévu de déployer sur la coupole du grand salon une très importante composition peuplée de 180 personnages que Madame de Scudéry immortalisa dans son roman Clélie sous le nom de Palais du Soleil. Jamais réalisé, ce projet grandiose nous est parvenu grâce à un dessin d’ensemble de l’artiste conservé au Louvre qui fut gravé à l’eau-forte et au burin par Gérard Audran (1640-1703) en 1681. Sept feuilles d’études à la sanguine ainsi que plusieurs copies d’après Le Brun complètent notre connaissance de cette peinture qui aurait été la plus importante jamais réalisée par l’artiste et dont le projet avait suscité l’admiration du Bernin : « C’est beau ! Il y a de la richesse sans confusion ».
Projection lumineuse et hypothèse de colorisation
S’appuyant sur une étude conduite par Alexandre et Bénédicte Gady, un projet de projection lumineuse de cette œuvre sur la coupole blanche a donc été lancé. Se fondant sur les sources citées plus haut, il permet désormais grâce à vingt-et-un vidéoprojecteurs discrètement installés sur la corniche de donner à voir ce fastueux décor en noir et blanc. Très précise, l’estampe de 1681 ne livre en effet aucune indication sur la palette envisagée par le peintre. Des investigations complémentaires ont donc été menées afin de proposer, par rapprochements et comparaisons, une hypothèse de colorisation, dont le résultat fait également l’objet d’une projection. Afin de compléter cette évocation, une proposition de restitution de la polychromie de l’attique sculpté est également assurée par le mapping vidéo.
Olivier Paze-Mazzi