
En 2007, le prince Hamad bin Abdullah Al Thani prenait ses quartiers parisiens sur l’île Saint-Louis, succédant au baron Guy de Rothschild comme seigneur du fastueux hôtel Lambert. Sa quête d’excellence le conduira à y réunir d’insignes trésors, emblématiques du grand goût français des XVIIe et XVIIIe siècles : marqueteries Boulle, précieuses céramiques montées, vases en pierres dures, objets de curiosité, cabinet d’émaux peints de Limoges, rares pièces d’orfèvrerie, joyaux de Schatzkammer… Alors que cette demeure historique change aujourd’hui de main, la maison Sotheby’s disperse du 11 au 14 octobre, les quelque 1 300 pièces aux provenances prestigieuses dont elle fut l’écrin durant plus d’une décennie. L’Objet d’Art vous propose de découvrir en plusieurs épisodes les différentes facettes de cette remarquable collection.
Trônant à la proue de l’île Saint-Louis, l’hôtel Lambert est incontestablement l’une des demeures parisiennes les plus majestueuses du Grand Siècle, édifiée à partir de 1639 par le jeune architecte Louis Le Vau (1612-1670) pour le financier Jean-Baptiste Lambert (1608-1644) ; il n’y vivra hélas que quelques mois, avant de s’éteindre prématurément en décembre 1644 alors que l’hôtel est à peine achevé. Héritier de l’ensemble de ses biens, son frère Nicolas Lambert de Thorigny (mort en 1680) lui succède ; on lui doit le fastueux décor intérieur commandé aux peintres Eustache Le Sueur (1616-1655) et Charles Le Brun (1619-1690). Ce dernier livre avec la galerie d’Hercule son chef-d’œuvre de jeunesse, insigne préfiguration de la galerie des Glaces de Versailles.

En 1732, l’hôtel est cédé au fermier général Claude Dupin (1686-1769) ; sa fille Louise y tient salon, conviant, de Marivaux à Montesquieu, les plus brillantes figures des Lumières. Quelques années plus tard, Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet (1706-1749), fait opportunément acquérir la demeure par son mari, pour le plus grand bonheur de son amant, Voltaire.
À l’heure polonaise
Après les affres de la Révolution et le tumulte de l’Empire, l’hôtel Lambert change de fonction en abritant un temps une entreprise de confection de matelas. Au milieu du XIXe siècle, il retrouve en partie son lustre grâce à ses nouveaux propriétaires, les princes polonais Czartoryski. Rassemblant l’ensemble du gotha de l’époque, les réceptions qu’ils y organisent font de la vénérable demeure l’épicentre de la vie mondaine de la capitale : Balzac, Lamartine, George Sand, Liszt ou encore Chopin prennent bientôt leurs habitudes sur l’île Saint-Louis. Les lourdes charges d’entretien finiront cependant par nécessiter la mise en location d’une partie de l’hôtel, qui se retrouve divisée en appartements. Il y gagne alors un brillant occupant : en 1946, Alexis von Rosenberg, baron de Redé (1922- 2004), s’y installe pour ne plus jamais en partir ; grâce à la générosité de son amant, le milliardaire chilien Arturo Lòpez-Willshaw, il entreprend d’importants travaux conduits avec le concours du décorateur Georges Geffroy. Véritable pape des nuits parisiennes, le baron de Redé multipliera dîners et soirées mémorables où se pressent la reine du Danemark, Brigitte Bardot, Salvador Dalí, Liza Minnelli ou encore le prince von Thurn und Taxis. En juin 1957, le « bal des têtes » sera le premier d’une longue série qui culminera avec l’époustouflant « bal oriental », une bagatelle à un million de dollars ! Au fil des années, les autres espaces de l’édifice voient se succéder divers locataires aux patronymes prestigieux : Mona Bismarck, la duchesse de Sutherland, ou encore Michèle Morgan.

Joyau des collections Rothschild
Un nouveau chapitre s’ouvre en 1975 lorsque Guy et Marie-Hélène de Rothschild se portent acquéreurs des lieux. Tout en laissant à leur ami le baron de Redé la jouissance de son appartement, ils lancent, sous la houlette du décorateur Renzo Mongiardino, un vaste chantier de rafraîchissement. En 2007, alors que Guy de Rothschild est veuf depuis une dizaine d’années, il cède pour 60 millions d’euros l’hôtel Lambert à la famille princière du Qatar. De gigantesques travaux démarrent sous l’égide du décorateur Alberto Pinto, chargé de renouer avec le passé de l’édifice en convoquant le grand goût français des XVIIe et XVIIIe siècles. Le 10 juillet 2013, sa renaissance est sur le point d’être achevée lorsqu’un violent incendie se déclare dans les combles. Le prince prend alors la décision de tout recommencer : cinq longues années d’un fastidieux chantier seront nécessaires afin de restituer les lieux à l’identique. En mars 2022, l’achat de l’hôtel Lambert par Xavier Niel vient inaugurer une nouvelle page de son histoire…

Six panneaux de Le Sueur, vestiges du cabinet de l’Amour
« Par son double caractère de musée et de « galanterie », le cabinet de l’Amour se désignait à la fois comme ostentatoire et comme secret. », écrivait l’historien de l’art Alain Mérot. Au premier étage de l’hôtel Lambert, dans l’appartement d’apparat donnant sur la cour, ce petit salon venait conclure une suite de somptueuses pièces en enfilade. Il tenait son nom du thème choisi pour son décor, réalisé sous la direction du jeune Eustache Le Sueur, élève de Simon Vouet. L’ensemble est alors immédiatement loué par ses contemporains. Un siècle plus tard, il sera pourtant démantelé ; en 1776, les propriétaires de l’hôtel cèdent au roi Louis XVI les morceaux du plafond et les tableaux encastrés dans les lambris. Montés en paravents, ces six panneaux sur fond or proviennent de cet insigne décor. Ils furent déposés en 1843 par le prince Adam Jerzy Czartoryski, alors maître des lieux, et passèrent ensuite dans différentes mains privées (50 000/70 000 €).

Nathalie d’Alincourt et Olivier Paze-Mazzi
« Hôtel Lambert, une collection princière »
Vente Sotheby’s Paris
Ventes physiques
Chefs-d’œuvre – 11 octobre 2022 à 16h
Kunstkammer – 12 octobre 2022 à 14h
À travers l’hôtel Lambert – 13 octobre 2022 à 11h
Les arts de la table – 14 octobre 2022 à 11h
L’écrin – 14 octobre 2022 à 14h30
Vente en ligne
5-17 octobre 2022