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Le marbre dans l’Antiquité grecque (2/7). Qui sont les artisans du marbre en Grèce ancienne ?

Exemple d’opus sectile provenant d’une domus romaine de la région lyonnaise.

Exemple d’opus sectile provenant d’une domus romaine de la région lyonnaise. © T. Vettor

Que serait la Grèce sans son marbre ? Ce matériau éclatant semble avoir été de tous les monuments antiques. Or de nouvelles études et découvertes aident à appréhender sa diversité, sa provenance, ses usages, aussi bien dans la sculpture que dans l’architecture, ou encore son commerce et sa diffusion en pays hellène et autour de la Méditerranée. Un voyage au cœur de la matière qui nous transporte, de chef‑d’œuvre en chef‑d’œuvre, loin du mythe de la Grèce immaculée

Les auteurs de ce dossier sont : Philippe Jockey, professeur d’histoire de l’art et d’archéologie du monde grec à l’université Paris Nanterre, UMR 7041 ArScAn – Archéologies et Sciences de l’Antiquité, et coordinateur du dossier ; Éléonore Favier, docteure en archéologie et histoire grecque, membre scientifique de l’École française d’Athènes et chercheuse associée au laboratoire HiSoMA (UMR 5189) ; Ludovic Laugier, conservateur en chef, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre ; Jean-Luc Martinez, ancien membre de l’École française d’Athènes et président directeur honoraire du musée du Louvre ; Virginie Mathé, maîtresse de conférences en histoire grecque, université Paris Est Créteil, Centre de recherche en histoire européenne comparée ; Jean-Charles Moretti, directeur de la mission archéologique française de Délos, CNRS, IRAA, MOM ; Tommy Vettor, géologue, post-doctorant en archéométrie du marbre, École suisse d’archéologie en Grèce

Exercices d’apprentis trouvés dans l’atelier de sculpteur d’Aphrodisias.

Exercices d’apprentis trouvés dans l’atelier de sculpteur d’Aphrodisias. Tiré de VAN VOORHIS J. A., 1998, « Apprentices pieces and the training of sculptors at Aphrodisias », Journal of Roman Archaeology, 11, p. 176, fig. 1.

Pendant longtemps, les artisans de l’Antiquité grecque sont restés à l’ombre de l’histoire, peu considérés par les chercheurs, comme ils l’étaient déjà par certains auteurs anciens. Aujourd’hui, une nouvelle attention leur est portée. Loin d’être marginaux, ces hommes et ces femmes formaient une population active, mobile, circulant au gré des offres et des contrats. En diffusant les savoir-faire techniques, ils occupaient une place fondamentale dans la vie économique, sociale et politique des cités.

C’est grâce à un dialogue entre les sources littéraires et les documents de différentes natures que nous pouvons approcher au plus près les réalités antiques.

Une nécessaire approche transdisciplinaire

Les premières offrent une vision marquée par l’idéologie aristocratique. Là, le travail artisanal, exigeant, accaparant, est perçu comme dégradant car il détourne l’homme libre de la politique et de la vie civique. Mais ces textes ne correspondent que peu à la réalité quotidienne. L’épigraphie nous livre une image bien plus concrète mais concentrée sur quelques aspects précis de leur vie. Ces inscriptions de différentes natures – dédicaces, noms sur des stèles funéraires ou comptes liés à des chantiers de construction – permettent d’avoir une vision plus personnelle des individus. L’iconographie complète ces données, bien que son interprétation soit plus délicate. Les scènes de labeur représentées sur les vases ou les reliefs montrent des gestes et des postures, contribuant à reconstituer les métiers et les environnements de travail. Enfin, l’archéologie offre un accès direct aux lieux de production. Les ateliers révèlent une organisation rationnelle et une activité très hiérarchisée, parfois selon les principes de spécialisation et de division du travail, à la recherche de l’efficacité. Si ces vestiges disent peu des individus eux-mêmes, ils éclairent un monde du travail dynamique, structuré et technique.

Un artisan omniprésent, protéiforme et mobile

L’artisan est omniprésent et se caractérise par sa nature insaisissable, sans profil unique. Ce sont des hommes, des femmes et des enfants. La transmission du savoir technique par l’apprentissage est bien connue. Loin d’être fragmenté, le monde du travail voit des individus de tous les statuts juridiques (individus libres, esclaves, affranchis ou métèques) se côtoyer et œuvrer ensemble dans les ateliers ou sur les chantiers. Lors de la construction de l’Érechthéion, sur l’Acropole d’Athènes, esclaves et hommes libres œuvraient côte à côte. Les métèques exclus de la propriété foncière sont fréquemment artisans. La mobilité est un trait fondamental de ces travailleurs. Si certains sont attachés à un atelier, beaucoup se déplacent. Les grands sanctuaires, comme Delphes ou Délos, proposent de l’ouvrage qui attire des artisans, venant parfois de loin. D’autres voyagent en réponse à des commandes privées ou publiques. Cette circulation favorise la diffusion et l’évolution des techniques et des styles, créant un monde interconnecté où le savoir-faire se transmet bien au-delà des frontières de chaque cité.