Chronique du droit de l’art : « Intelligence artificielle et droit d’auteur : les États-Unis confirment l’absence de protection d’une œuvre d’art réalisée sans intervention humaine »

A Recent Entrance to Paradise de Creativity Machine, 2018. © Stephen Thaler / Creativity Machine
Le 18 mars 2025, la Cour d’appel du district de Columbia a confirmé qu’une œuvre exclusivement créée par une intelligence artificielle ne peut bénéficier de la protection offerte par le Copyright, système de protection du droit d’auteur aux États-Unis. Cette décision s’inscrit dans la continuité des décisions antérieures prises par les autorités américaines et reflète, dans une certaine mesure, la logique du droit français.
La machine remplace-t-elle l’homme ? Cette grande question philosophique se pose avec d’autant plus d’acuité dans le cadre de l’intelligence artificielle (IA), puisque cette technologie fait précisément appel à la capacité des machines à effectuer des tâches typiquement associées à l’intelligence humaine, comme l’apprentissage, le raisonnement, la résolution de problème, la perception ou la prise de décision. Ce remplacement se conçoit pour les tâches logiques. Va-t-il jusqu’aux activités subjectives, sensibles, comme l’art ? L’IA remplace-t-elle déjà l’artiste ? Crée-t-elle des œuvres d’art ? Ces créations sont-elles protégeables par le droit d’auteur ? Cette dernière question a été posée au juge américain.
L’homme versus la machine
Une spécificité du droit américain est la nécessité d’enregistrer les œuvres auprès d’une administration, le Copyright Office, pour bénéficier d’une protection complète par le copyright. À l’inverse, en droit français, le bénéfice du droit d’auteur naît, dès la création de l’œuvre, sans aucune formalité d’enregistrement. Par conséquent, cette exigence d’enregistrement est génératrice de contentieux tests que la France ne connaît pas encore.
En 2018, Stephen Thaler, développeur de systèmes d’intelligence artificielle, dépose auprès du Copyright Office une demande d’enregistrement pour l’œuvre A Recent Entrance to Paradise. Cette œuvre a été générée de manière autonome, sans instructions données, par une IA qu’il a lui-même développée et baptisée Creativity Machine. Le Copyright Office rejette sa demande : l’œuvre ne peut être protégée faute d’avoir été créée par un auteur humain. Malgré plusieurs demandes de réexamen, l’administration maintient sa position. Elle a été confortée par un jugement du 18 avril 2023, qui a fait l’objet d’un appel1. Le 15 mai 2025, la Cour d’appel du district de Columbia a confirmé ce refus2.
L’attribution du copyright exclue, en l’absence d’intervention humaine dans le processus créatif
À l’enregistrement, le Copyright Office vérifie la conformité d’une œuvre avec les dispositions du Copyright Act de 1976. Il ressort notamment de cette loi que seule une œuvre réalisée par un auteur « humain » peut prétendre à une protection. Par conséquent, la Cour confirme qu’une œuvre générée uniquement par une machine ne peut bénéficier de la protection du copyright.
Cela ne signifie pas pour autant que toute œuvre impliquant une IA en est exclue. Si l’intelligence artificielle n’a été qu’un outil au service d’un processus créatif, alors une protection peut être envisagée – dans certaines limites. L’office procède alors à une analyse au cas par cas. Deux exemples récents illustrent cette position. Elisa Shupe, auteur d’un livre rédigé sur la base de textes générés par une IA, s’est vu accorder un copyright sur son œuvre. Celui-ci ne couvre pas les phrases prises individuellement – produites par la machine – mais protège seulement la sélection, la coordination, l’agencement et l’arrangement du texte, fruits de son intervention3. De même, Kristina Kashtanova, auteur de la bande dessinée Zarya of the Dawn, dont les illustrations ont été générées via l’IA Midjourney, a obtenu un copyright partiel ; il ne couvre que « le texte » et « la sélection, la coordination et l’arrangement du texte créé par l’auteur et les contenus générés par l’IA4 », mais pas les visuels.
Ces décisions traduisent une position claire : l’IA peut être un outil de création au service d’un être humain, qui seul créé une œuvre protégeable. En revanche, les créations générées par l’IA de manière totalement automatique ne peuvent être protégées. Cette approche rejoint la logique du droit français.
Un refus de protection en France pour les œuvres générées exclusivement par l’intelligence artificielle
En droit français, la protection au titre du droit d’auteur ne s’applique qu’aux œuvres de l’esprit dotées d’un caractère original. Cette originalité doit traduire l’empreinte de la personnalité de son auteur, laquelle se manifeste à travers ses choix libres et créatifs, non dictés par des contraintes purement techniques. Cette condition implique nécessairement une intervention humaine. Partant de ce principe, une œuvre générée intégralement par une IA, sans contribution humaine, ne devrait bénéficier d’aucune protection, en l’état actuel du droit.
Mais qu’en est-il si un humain derrière la machine formule des instructions précises, libres et empreintes de créativité ? Pourrait-il être estimé que l’œuvre qui en découle présente une originalité suffisante ? Pour l’heure, aucune juridiction française, ou communautaire, n’a eu à se prononcer sur ce cas. Il reste que, si l’intervention humaine permet de révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur, l’intelligence artificielle devrait être considérée comme un simple outil. Dans ce cas, le droit d’auteur s’appliquerait. Le constat est donc proche du système de copyright américain.
Concernant les œuvres générées intégralement par des IA, des réflexions sont en cours pour adapter le cadre juridique à ces nouvelles formes de création. Une proposition de loi a été déposée devant l’Assemblée nationale, le 12 septembre 2023, visant à « encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur ». Elle suggérait notamment que, « lorsque l’œuvre est créée par une intelligence artificielle sans intervention humaine directe, les seuls titulaires des droits sont les auteurs ou ayants droit des œuvres qui ont permis de concevoir ladite œuvre artificielle5 ». Ce texte a suscité des critiques : il essaye de protéger les œuvres antérieures, utilisées comme sources par l’IA, mais il ne règle pas la question centrale de la protection juridique de l’œuvre nouvelle, créée grâce à l’IA. Enfin, il propose une solution approximative concernant la titularité des droits afférents. À ce jour, il n’a donné lieu à aucune suite législative.
De son côté, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique, dans un rapport du 27 janvier 2020, considère que le droit d’auteur actuel suffit. Il évoque néanmoins la possibilité de créer un droit spécial pour protéger les créations nées de l’IA, « assis sur les critères classiques d’accès à la protection, dans une lecture renouvelée6 ».
L’appréciation par le droit et les juridictions de la création d’œuvres par l’intelligence artificielle fera certainement l’objet d’autres débats, au gré de l’évolution de la technologie et des décisions de justice.
1 United States District Court for the District of Columbia, Thaler v. Perlmutter, 18 avril 2023, No. 22-CV-384-1564-BAH.
2 United States Court of Appeal for the District of Columbia, Thaler v. Perlmutter, 18 mars 2025, No. 23-5233.
3 Copyright Office, Registration record TX0009377452.
4 Copyright Office, Registration record TXU002356581.
5 Proposition de loi visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur, n° 1630 – 12 septembre 2023.
6 Rapport du CSPLA, 27 janvier 2020, p. 48.





