Grèce : le mystère des « femmes violons »

Évocation d'une statuette des îles Cyclades en forme de violon. © Éric Le Brun
Les statuettes des îles Cyclades en Grèce sont mondialement connues et ont inspiré les plus grands artistes modernes. Au point d’oublier que ces figures féminines stylisées ressemblant à des violons ne sont pas que des œuvres d’art… Replaçons-les dans le contexte des liens sociaux du début de l’Âge du bronze.
Une nouvelle approche cognitive travaille actuellement les sciences humaines : l’énaction. Ou comment nos pratiques interagissent avec notre environnement social et naturel.
Un contexte à prendre en compte
Le chercheur Alexander Aston a souhaité appliquer ce concept à l’étude de statuettes cycladiques particulières (les fameuses « femmes violons ») dites de la culture de Grotta-Pelos (entre 3200 et 2700 ans avant notre ère). En effet, s’extasier sur la beauté de ces figures et considérer qu’elles ne sont que des objets « symboliques » ou de prestige ne suffit pas – même si elles ont beaucoup circulé et furent façonnées dans le marbre, ce qui implique de longues heures de travail. Cette notion de « prestige », supposé être un comportement universel, est plaquée sur des sociétés anciennes très différentes, sans considérer le contexte de leur apparition.
Des objets polysémiques
Selon Alexander Aston, ces statuettes ne servaient pas à glorifier des personnes ou un clan, mais rentraient dans un circuit complexe des pratiques de parenté et des dynamiques de dons. Il fait remarquer que le marbre, extrêmement abondant sur ces îles, était aisément mobilisable ; chacun pouvait s’en servir, pour fabriquer des récipients par exemple. Exploitant les contraintes physiques du matériau, les sculpteurs ont cherché à réaliser des objets aux formes simplifiées et façonnables par tout un chacun, afin qu’ils circulent plus facilement et soient polysémiques, au sein d’une communauté qui partage des valeurs communes.
Des marqueurs d’identité
Les « femmes violons » sont en rapport avec les pratiques funéraires de l’époque. Les retrouver dans les tombes signifie certes que certaines personnes semblent avoir émergé, non comme leaders mais comme points d’ancrage familiaux ou communautaires. Les statuettes permettaient de médiatiser ces liens, renforçant un sentiment d’appartenance à un même groupe. C’est leur valeur qui importait, pas celle de leur possesseur. Il ne s’agissait pas de symbolique abstraite mais de sémiotique. Ni déesses ni proto-monnaies, les figurines schématiques, petites choses personnelles et mobiles, étaient faciles à trouver, à façonner, attrayantes, et peu impliquées dans des rapports compétitifs, mais elles unifiaient une même communauté dispersée sur plusieurs îles. Elles possédaient une grande valeur sociale comme marqueurs d’une identité, que l’on s’échangeait ou que l’on donnait. À l’image aujourd’hui des triskèles, qui marquent l’attachement de leurs possesseurs à la Bretagne et qui font que chacun d’entre eux se reconnaît dans les mêmes valeurs péninsulaires.
Pour aller plus loin
ASTON A., 2025, « Critiquing the logics of prestige in the interpretation of Cycladic Figurines: Towards an archaeological theory of value », Journal of Anthropological Archaeology, 78, 101680. Doi : 10.1016/j.jaa.2025.101680
GRAEBER D., WENGROW D., 2021, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent.





