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Portraitiste de Giacometti, Picasso, de Staël, mais pas que : Denise Colomb, une photographe de l’âme révélée à Gif-sur-Yvette

Denise Colomb (1902-2004), J’ai deux ans ! Paris, 1962. Fonds familial Denise Colomb. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Denise Colomb (1902-2004), J’ai deux ans ! Paris, 1962. Fonds familial Denise Colomb. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Photo service de presse. © Donation Denise Colomb, ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion Grand Palais RMN Photo 2025

Dans le cadre enchanteur du château du Val Fleury (Gif-sur-Yvette), cette émouvante rétrospective nous invite à poser un regard neuf sur Denise Colomb (1902-2004), qui sut saisir l’âme de ses contemporains avec autant de discrétion que d’humanité. Les portraits d’artistes illustres (De Staël, Picasso, Soulages, Miró…) qui ont fait sa notoriété dialoguent ici avec des photographies de voyages, des scènes de rue et des archives familiales. Sélectionnée avec soin, une centaine de tirages offre une fascinante immersion dans la vie et l’œuvre de cette grande dame de la photographie.

Denise Colomb s’est éteinte à l’âge de 101 ans, le 1er janvier 2004, après avoir traversé une grande partie du XXe siècle l’appareil photo à la main. « C’était une petite dame très impressionnante, dotée d’un fort tempérament », se souvient Antoine Cahen, l’un de ses petits-enfants. « Elle a continué à prendre des photographies de sa famille jusqu’à un âge très avancé ». Les descendants de l’artiste, qui pour certains ont grandi à Gif-sur-Yvette, ont accepté d’ouvrir « la malle aux trésors » à l’occasion de cette exposition. En effet, si la plupart des tirages, donnés à l’État en 1991, sont aujourd’hui conservés par la Médiathèque du patrimoine et de la photographie, quelques œuvres inédites proviennent du fonds familial.

« Denise Colomb est un sphinx »

La prolifique artiste a réalisé plus de 50 000 prises de vues ! Il y a donc forcément une part d’arbitraire dans la sélection, mais chaque cliché, chaque visage, happe le regard et révèle l’affection profonde que l’artiste vouait à ses modèles, célèbres ou anonymes. Une humanité tempérée par une certaine distance, un paradoxe que la commissaire de l’exposition, Anne Le Diberder, résume en une formule : « Denise Colomb est un sphinx ». Car si la photographe s’efface, c’est pour mieux saisir ceux qui passent devant son objectif et les révéler en une seule image, mûrement réfléchie.

Denise Colomb (1902-2004), Caroline, Fonds familial Denise Colomb. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Denise Colomb (1902-2004), Caroline, Fonds familial Denise Colomb. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Photo service de presse. © Donation Denise Colomb

De l’Asie…  

Ne parvenant pas à surmonter son trac, la jeune Denise Loeb renonce à une carrière de violoncelliste et accompagne son époux, le polytechnicien Gilbert Cahen, dans ses différentes affectations. En 1935, alors qu’ils résident à Saigon, celui-ci lui offre son premier appareil photo ; un geste en apparence anodin qui scelle sa vocation… Dès les premières pages de son journal de voyage, comme dans ses premières images de l’Indochine française (Vietnam, Cambodge, Chine), l’artiste affirme une sensibilité vibrante. Elle semble transposer dans le domaine de la photographie la justesse et l’exigence acquises dans sa formation de musicienne.

Denise Colomb (1902-2004), Femme Radhé, Indochine (1936) Portrait d'une femme portant la coiffe traditionnelle. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Denise Colomb (1902-2004), Femme Radhé, Indochine (1936) Portrait d'une femme portant la coiffe traditionnelle. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Photo service de presse. © Donation Denise Colomb, ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion Grand Palais RMN Photo 2025

… aux Antilles

D’un continent l’autre, Denise Colomb exerce son regard attentif et curieux aux Antilles, où elle réalise deux reportages. On la découvre d’abord rayonnante aux côtés d’Aimé Césaire, qui l’invite en 1948 à prendre part à une mission dirigée par Michel Leiris dans le cadre du Centenaire de l’abolition de l’esclavage. Dix ans plus tard, une autre commande la ramène dans ces territoires contrastés, où la misère se mêle aux rires. On la suit à travers les marchés, les écoles et les rues animées, à la rencontre des habitants.

Denise Colomb, Les Antilles, 1948. Denise Colomb à gauche, Aimé Césaire à droite. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Denise Colomb, Les Antilles, 1948. Denise Colomb à gauche, Aimé Césaire à droite. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Photo service de presse. © Donation Denise Colomb, ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion Grand Palais RMN Photo 2025

Une histoire de famille

Née dans une famille cultivée et unie, Denise a bien sûr baigné dans un milieu favorable à l’éclosion de son talent, mais « elle n’aurait pas pu être photographe sans ses frères », comme le souligne la commissaire de l’exposition qui a réuni dans une « section-cocon » quelques clichés révélant ces liens précieux. Ses frères jumeaux, Pierre et Édouard Loeb, y apparaissent entourés de certains des artistes qu’ils ont défendus dans leurs galeries, tels Jean-Paul Riopelle, Maria Helena Vieira da Silva, Georges Mathieu ou Zao Wou-Ki.

« Pierre a été mon grand frère, mon initiateur, mon ami. »

Denise Colomb

Denise Colomb, Galerie Pierre, 1953. Pierre Loeb à la Galerie Pierre, de gauche à droite : Jean-Paul Riopelle (1923-2002), Jacques Germain (1915-2001), Maria Helena Viera da Silva (1908-1992), Georges Mathieu (1921-2012), Zao Wou-Ki (1920-2013). Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Denise Colomb, Galerie Pierre, 1953. Pierre Loeb à la Galerie Pierre, de gauche à droite : Jean-Paul Riopelle (1923-2002), Jacques Germain (1915-2001), Maria Helena Viera da Silva (1908-1992), Georges Mathieu (1921-2012), Zao Wou-Ki (1920-2013). Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Photo service de presse. © Donation Denise Colomb, ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion Grand Palais RMN Photo 2025

Et Denise devint Colomb

En 1947, Pierre, qui vient de reprendre possession de sa galerie après avoir survécu à la guerre, confie à sa sœur sa toute première commande, et non des moindres : il s’agit de faire le portrait d’Antonin Artaud, qui « déteste les photographes ! » C’est ainsi que Denise commence sa carrière et adopte le pseudonyme de « Colomb », qu’elle avait utilisé durant la Seconde Guerre mondiale afin d’échapper aux rafles. Cette professionnalisation ne changera toutefois rien à ses méthodes de travail qui resteront très artisanales.

« Ses mains étaient aussi tragiques que son visage ; on aurait dit qu’il portait des menottes. J’étais bouleversée. »

Denise Colomb

Denise Colomb (1902-2004), Antonin Artaud, 1947. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Denise Colomb (1902-2004), Antonin Artaud, 1947. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Photo service de presse. © Donation Denise Colomb, ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion Grand Palais RMN Photo 2025

Un brin d’insouciance

À l’étage du château du Val Fleury, on traverse avec bonheur la section dédiée à l’enfance. Denise Colomb capture avec tendresse la joie pure des enfants gambadant dans les rues ou s’adonnant à leurs jeux, à l’instar de la pétillante fillette aux bras grands ouverts, heureuse de fêter ses deux ans. Non loin, l’artiste elle-même semble nous observer dans un autoportrait au miroir, qui nous invite dans son intimité. Là encore, l’instantanéité et la simplicité du moment priment : derrière son appareil photo, l’artiste ne prend pas la pose et l’on aperçoit à ses côtés son époux, qui « passe » furtivement la tête.

Denise Colomb (1902-2004), Frère et sœur. Fonds familial Denise Colomb.

Denise Colomb (1902-2004), Frère et sœur. Fonds familial Denise Colomb. Photo service de presse. © Donation Denise Colomb, ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion Grand Palais RMN Photo 2025

Dans l’antre des artistes

Le parcours s’achève sur une belle sélection de portraits de peintres et sculpteurs illustres dont Denise Colomb a su tout à la fois saisir la gestuelle et l’esprit. Sélectionnés avec attention, les mots mêmes de la photographe complètent ces portraits d’une déconcertante justesse. Le visiteur traverse ainsi le modeste atelier d’Alberto Giacometti, grimpe sur les toits de Paris avec Max Ernst, pénètre dans l’usine désaffectée où César travaille la ferraille, observe le grand Nicolas de Staël, et rencontre plusieurs fois Picasso, que Denise aime « comme un membre de [s]a famille ».

« C’est la rencontre choc de ma carrière, ce fut à la fois un affrontement et une complicité. Je fis cette photo de Nicolas, debout, devant le fond blanc de l’atelier, des traces de tableaux formant une sorte de balcon bas, les bras croisés, me défiant, défiant le monde. »

Denise Colomb

Denise Colomb (1902-2004), Nicolas de Staël dans son atelier, rue Gauguet, Paris, 1952. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Denise Colomb (1902-2004), Nicolas de Staël dans son atelier, rue Gauguet, Paris, 1952. Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Photo service de presse. © Donation Denise Colomb, ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion Grand Palais RMN Photo 2025

« Denise Colomb, portraits intimes », jusqu’au 14 décembre 2025 au Val Fleury, allée du Val Fleury, 91190 Gif-sur-Yvette. Tél. 01 70 56 52 60. www.villedegif.fr

Entrée libre

Catalogue, Ville de Gif-sur-Yvette, 72 p., 10 €.