Et si la Préhistoire était bleue ?

© Éric Le Brun
Voici 34 000 ans, en Géorgie, des hommes préhistoriques ont manipulé des tiges d’Isatis tinctoria, appelé aussi le pastel des teinturiers, en raison de la couleur bleue que cette plante produit. Son usage au Paléolithique récent a-t-il été symbolique ou utilitaire ?
Une fois écrasées, les feuilles de cette plante étrange produisent une pâte contenant une molécule qui, au contact de l’air, devient bleue : l’indigotine. Jusqu’à présent, la plus ancienne trace confirmée de l’utilisation de ce pigment provenait d’un tissu teinté découvert au Pérou et daté d’environ 6 000 ans. Des fibres de chanvre teintées ont également été signalées sur un gisement néolithique (environ 9 000 ans) dans la grotte de l’Adaouste (Bouches-du-Rhône) ; mais la fouille est ancienne et les observations sujettes à caution. Dans la grotte de Dzudzuana (Imereti, Ouest de la Géorgie), c’est l’analyse microscopique d’outils en pierre qui a révélé la présence de résidus d’Isatis et d’indigotine. Des reconstitutions expérimentales ont confirmé que ces traces n’avaient pu être produites que par l’action directe des outils sur la plante et qu’elles ne résultaient pas du frottement des jeans des fouilleurs ! Les Paléolithiques les ont donc utilisés pour écraser les fibres végétales. Pour quel usage ? C’est la question à mille silex !
« Bien sûr, il est beaucoup plus piquant d’imaginer les Préhistoriques se peindre la peau en bleu ou dessiner des figures de cette couleur. »
Voir le monde en bleu
Sachant que l’Isatis n’est pas comestible, il y a donc deux possibilités : soit un usage médicinal, soit un usage symbolique. Le pastel des teinturiers est réputé de longue date pour ses vertus antiseptiques, antibactériennes et anti-inflammatoires. Il ne serait guère étonnant que les hommes et femmes préhistoriques s’en soient servis : il existe de nombreuses preuves d’usages médicinaux de plantes par Néandertal et les premiers Homo sapiens ; les éthologues nous apprennent que les chimpanzés savent se soigner en mâchant ou ingérant des plantes. Bien sûr, il est beaucoup plus piquant d’imaginer les Préhistoriques se peindre la peau en bleu ou dessiner des figures de cette couleur. Hélas, même si les études des « blasons » de Lascaux démontrent que les artistes étaient capables d’obtenir des teintes variées de rouge, de violet et de jaune, jamais aucune nuance bleutée n’a été relevée dans toutes les productions de l’art paléolithique. Est-ce parce que le pigment, d’origine biologique contrairement aux ocres et hématites, d’origine minérale, ne s’est pas conservé au fil des millénaires ? Il faudrait analyser précisément la composition des tracés pour éventuellement déceler d’infimes traces d’indigotine.
Une couleur longtemps dénigrée
Mais n’oublions pas non plus que la couleur bleue, aujourd’hui si populaire, a mis très longtemps à plaire aux humains ; elle fut de longs siècles durant dénigrée, même si les Égyptiens et les Celtes en ont fait un grand usage. Ne projetons donc pas sur les hommes préhistoriques un intérêt anachronique pour certaines couleurs. Il est tout à fait possible qu’ils ne se soient guère souciés de la couleur de leurs médicaments !





