L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

BRAFA 2024 : les œuvres qui ont séduit la rédaction

BRAFA 2024, vue générale. © Olivier Pirard
BRAFA 2024, vue générale. © Olivier Pirard

Un œil inlassablement démultiplié, une jeune fille mystérieuse immobile sur sa balançoire, de blancs nuages flottant dans les airs sur fond bleu autour d’architectures à l’antique : non, vous ne vous êtes pas égaré au cœur d’une toile de Paul Delvaux (1897-1994), mais bel et bien à Brussels Expo, où la scénographie de la 69e édition de la BRAFA propose aux amateurs de s’immerger dans l’art du peintre surréaliste belge, disparu il y a tout juste trente ans. Une commémoration qui permet également aux exposants de célébrer le centenaire de la publication du premier Manifeste du surréalisme d’André Breton, dont la librairie Lardanchet dévoile sur son stand l’un des 19 premiers exemplaires. Spectaculaires ou intimes, amusantes ou envoûtantes, historiques ou anecdotiques : découvrez en images notre éclectique sélection d’œuvres au sein de cette édition surréaliste.

Une future reine d’Espagne au berceau

Pour son retour à la BRAFA après plusieurs années d’absence, Franck Baulme expose un charmant portrait d’enfant par Jean Nocret (1615-1672), immortalisant vraisemblablement la petite Marie-Louise d’Orléans (1662-1689), fille aînée de Philippe d’Orléans et donc nièce du Roi-Soleil. Elle figure en bonne place à la gauche de son père au sein de La Famille royale dans l’Olympe, chef-d’œuvre de l’artiste que Versailles vient de restaurer. Le faste de sa représentation ne lui épargnera pas un destin tragique : mariée au malheureux Charles II de Habsbourg dit « l’Ensorcelé », roi d’Espagne que des générations de consanguinité avaient rendu physiquement et intellectuellement inapte à l’exercice du pouvoir, elle s’éteindra à l’âge de vingt-six ans, empoisonnée ou bien plus vraisemblablement victime d’une intoxication alimentaire.

Jean Nocret (1615-1672), Portrait présumé de Marie-Louise d’Orléans (1662-1689), vers 1665. Huile sur toile, 56 x 80 cm. Paris, F. Baulme Fine Arts. © F. Baulme Fine Arts
Jean Nocret (1615-1672), Portrait présumé de Marie-Louise d’Orléans (1662-1689), vers 1665. Huile sur toile, 56 x 80 cm. Paris, F. Baulme Fine Arts. © F. Baulme Fine Arts

In vino veritas

Confortablement installé sur son nuage, un juvénile Bacchus attend le visiteur, son bâton de thyrse en main, sur le stand de la galerie De Wit, levant sa coupe de vin à son attention. Cette tapisserie aux couleurs d’une grande fraîcheur fait partie de la célèbre série des Portières des Dieux qui, au XVIIIe siècle, constitua l’un des plus beaux succès de la Manufacture royale des Gobelins. Tissée d’après les cartons de Claude III Audran (1658-1734), elle met en scène différentes divinités mythologiques associées aux saisons et aux éléments, ici Bacchus et l’Automne.

Tapisserie de la Manufacture royale des Gobelins, d’après Claude III Audran (1658-1734), Bacchus ou L’Automne de la suite Portières des Dieux, Paris, 1700-1736 et 1771-1789. Laine, soie et fils d’argent, 228 x 204 cm. Malines, De Wit Fine Tapestries. © De Wit Fine Tapestries
Tapisserie de la Manufacture royale des Gobelins, d’après Claude III Audran (1658-1734), Bacchus ou L’Automne de la suite Portières des Dieux, Paris, 1700-1736 et 1771-1789. Laine, soie et fils d’argent, 228 x 204 cm. Malines, De Wit Fine Tapestries. © De Wit Fine Tapestries

Fascinantes Kachinas

En passant devant le stand de la galerie Flak, vous ne manquerez pas d’être happés par « l’appel des Kachinas » ! Une trentaine de ces poupées anciennes en bois polychrome, figures rituelles Hopi d’Arizona, vous accueilleront. Découvertes il y a plus d’un siècle, ces véritables œuvres d’art n’ont cessé depuis de susciter la curiosité et l’intérêt des collectionneurs. Autour d’André Breton, les surréalistes furent les premiers à se passionner pour ces objets de mémoire témoignant des croyances ancestrales véhiculées par les peuples amérindiens. Spécialisée dans les arts extra-européens, la galerie Flak a mis une vingtaine d’années à réunir cette collection insigne de poupées datant des années 1880 à 1930, au sein de laquelle vous pourrez trouver votre bonheur entre 5 000 et 60 000 €, ou bien vous satisfaire de l’ouvrage spécialement publié pour l’occasion.

La galerie Flak dévoile à la BRAFA une trentaine de Kachinas créées entre 1880 et 1930. © Olivier Pirard
La galerie Flak dévoile à la BRAFA une trentaine de Kachinas créées entre 1880 et 1930. © Olivier Pirard

Délicates grues de Mandchourie

Parmi les pièces éclectiques composant le véritable cabinet de curiosités réuni par la galerie Finch & Co, une œuvre dominait toutes les autres. Large de plus de cinq mètres, ce spectaculaire paravent Byobu à huit feuilles nous convie au festin d’un groupe de grues de Mandchourie, rejoint par deux congénères s’apprêtant à se poser délicatement à leurs côtés. Signifiant « murs de vent », ce type de pièce était initialement utilisé comme coupe-vent au sein des résidences japonaises de l’Antiquité. Offerte aux amateurs pour 36 000 €, cette création raffinée conjuguant l’or à la soie a été exécutée d’après l’œuvre de Sakai Hoitsu (1761-1828), qui s’inspirait de l’illustre peintre Ogata Kōrin (1658-1716), maître de l’école Rinpa honorée il y a quelques années au musée Cernuschi.

Paravent Byobu à huit feuilles ornées de neuf grues de Mandchourie, Japon, ère Meiji, XIXe siècle. Papier, feuille d’or, soie, encre, bois et métal, 179 x 533 cm. Londres/Bruxelles, Finch & Co. © Finch & Co
Paravent Byobu à huit feuilles ornées de neuf grues de Mandchourie, Japon, ère Meiji, XIXe siècle. Papier, feuille d’or, soie, encre, bois et métal, 179 x 533 cm. Londres/Bruxelles, Finch & Co. © Finch & Co

Vaporeuse Fleur de Neige

Qui est donc cette jeune beauté dardant sur nous un regard ardent ? Guettant le visiteur sur le stand de la galerie Segoura, parée de bijoux et d’un extravagant costume de perles et de plumes, cette mystérieuse créature s’inspire du personnage de Fleur de Neige, héroïne du conte russe éponyme. L’œuvre est dédicacée par l’artiste Jan Van Beers (1852-1927), d’abord peintre d’histoire puis de scènes de genre, à Madame G. A. Godillot : peut-être s’agit-il de Pauline Renard (1852-1938), épouse de Georges Alexis Godillot, dont le père fut le fondateur de la société générale de fournitures militaires qui donna son nom aux « godillots ». Réalisé en juillet 1880, ce petit panneau octogonal fit longtemps partie des collections Rothschild.

Jan Van Beers (1852-1927), Fleur de Neige, Paris, juillet 1880. Huile sur panneau octogonal, 27 x 20,5 cm (sans cadre) ; 43,5 x 37,5 cm (avec cadre). Paris, Segoura Fine Art. © Segoura Fine Art / Inu Studio
Jan Van Beers (1852-1927), Fleur de Neige, Paris, juillet 1880. Huile sur panneau octogonal, 27 x 20,5 cm (sans cadre) ; 43,5 x 37,5 cm (avec cadre). Paris, Segoura Fine Art. © Segoura Fine Art / Inu Studio

Un spectaculaire décor par Horta

Pour sa toute première participation au salon, la galerie Marc Maison frappe fort en livrant incontestablement le stand le plus spectaculaire de cette BRAFA 2024 : l’antiquaire installé aux Puces de Saint-Ouen donne à voir les trois pièces en enfilade du rez-de-chaussée d’un immeuble situé au numéro 22 de la Voorstraat à Courtrai. Leur point commun ? Un décor Art nouveau tout à fait caractéristique de l’œuvre de Victor Horta (1861-1947). Malgré la destruction par l’architecte de ses propres archives, il est possible de dater très précisément l’ensemble de l’année 1903, qui coïncide avec l’apogée de sa carrière : un permis de construire associé à la façade de l’immeuble date précisément de décembre 1902, des statuettes exécutées par le sculpteur Pierre Braecke (1858-1938) et intégrées au décor ne sont documentées qu’à l’Exposition des Arts décoratifs de Turin de 1902, tandis que l’un des miroirs associés aux boiseries arbore un tampon mentionnant la date de 1903. Scruté dès l’ouverture de la foire par des musées américains, hollandais et allemands, cet ensemble insigne ne devrait cependant pas être cédé pour une somme insignifiante : comptez 12 millions d’euros pour cette merveille Art nouveau.

Victor Horta (1861-1947), ensemble des boiseries du rez-de-chaussée d’un immeuble de Courtrai, 1903. Acajou du Congo, 493 x 488 cm. Saint-Ouen, Marc Maison. © Olivier Pirard
Victor Horta (1861-1947), ensemble des boiseries du rez-de-chaussée d’un immeuble de Courtrai, 1903. Acajou du Congo, 493 x 488 cm. Saint-Ouen, Marc Maison. © Olivier Pirard

Dans l’intimité de Boni de Castellane

Elle n’est assurément ni l’œuvre la plus importante du salon, ni la plus spectaculaire. Peut-être est-elle la plus insolite ? La galerie Univers du Bronze propose au visiteur une étonnante plongée dans l’intimité de Boni de Castellane (1867-1932), incontournable figure du dandy inséparable des fastes de son Palais Rose. La scène figée en terre cuite blanche nous le montre ici en 1923, bien après l’évanouissement de sa fortune, emportée par sa riche épouse son rocambolesque divorce. Confortablement installé entre les bras d’un fauteuil Louis XV, le marquis est surpris alors qu’il offre sa main droite à un « manucure » affairé à sa tâche. Au mur de son cabinet de toilette, la présence ostensible d’un crucifix rappelle la foi ardente de l’aristocrate, qui n’hésita pas à faire casser son mariage afin d’effacer l’infamie du divorce. L’œuvre porte l’estampille du sculpteur Maurice Charpentier-Mio (1881-1976) qui, fasciné par les ballets russes, fit de la danse le thème central de son travail. On ignore le lien qui s’était noué entre l’artiste et son modèle, mais celui-ci devait être suffisamment proche pour avoir pu assister à une scène si intime. Prix demandé : 4 800 €.

Maurice Charpentier-Mip (1881-1976), Scène chez le marquis Boni de Castellane, 1923. Terre cuite blanche, 10 x 12,9 x 0,5 cm. Paris, Univers du Bronze. © OPM
Maurice Charpentier-Mio (1881-1976), Scène chez le marquis Boni de Castellane, 1923. Terre cuite blanche, 10 x 12,9 x 0,5 cm. Paris, Univers du Bronze. © OPM

Dufy ouvre le bal des épreuves équestres olympiques

Happant l’œil du curieux à l’entrée du stand de la Stern Pissarro Gallery de Londres, cette lumineuse toile de Raoul Dufy (1877-1953) peinte en 1934 constitue un hymne à la couleur pure. Directement commandé à l’artiste par le pédiatre et bibliophile d’origine roumaine Alexandre Roudinesco (1883-1974), ce vigoureux Cirque a ensuite traversé l’Atlantique pour une tournée new-yorkaise avant de profiter du soleil de la Californie. La fringante monture qui trotte au premier plan sur la piste semble déjà annoncer la riche programmation olympique dédiée au cheval qui en France attend les amateurs au musée Cernuschi, au château de Versailles ou encore à Chantilly.

Raoul Dufy (1877-1953), Le Cirque, 1934. Huile sur toile, 60 x 81 cm. Londres, Stern Pissarro Gallery. © Stern Pissarro Gallery
Raoul Dufy (1877-1953), Le Cirque, 1934. Huile sur toile, 60 x 81 cm. Londres, Stern Pissarro Gallery. © Stern Pissarro Gallery

Paul Delvaux en majesté

Disparu il y a tout juste trente ans, le peintre surréaliste belge, qui se reconnaissait d’ailleurs plutôt dans le « réalisme magique », peuple les allées du salon de ses figures féminines, aussi bien mystérieuses et mélancoliques qu’étranges et poétiques. Installé à Knokke-le-Zoute, le galeriste Guy Pieters a bien connu l’artiste : il propose sur son stand une mini-rétrospective en quelques œuvres caractéristiques des différents moments de sa carrière. Datant de la fin des années 1940, cette admirable aquarelle unissant par le geste au sein d’un wagon de train une jeune fille pensive et un squelette n’a pas manqué d’attirer les regards des amateurs dès le vernissage. Prix demandé : 450 000 €.

Paul Delvaux (1897-1994), Femme et squelette, 1949. Aquarelle et encre sur papier, 56 x 74 cm. Knokke-le-Zoute, Guy Pieters Gallery. © Guy Pieters Gallery
Paul Delvaux (1897-1994), Femme et squelette, 1949. Aquarelle et encre sur papier, 56 x 74 cm. Knokke-le-Zoute, Guy Pieters Gallery. © Guy Pieters Gallery

Olivier Paze-Mazzi


« BRAFA ART FAIR »
Jusqu’au 4 février 2024 à Brussels Expo I Heysel, Palais 3 & 4
Place de Belgique 1, 1020 Bruxelles

www.brafa.art

Partager :

Share on facebook
Facebook
Share on twitter
Twitter
Share on email
Email