
L’institution des Hauts-de-France retrace au cœur du Bassin minier l’histoire du lien qui au fil des siècles s’est noué entre les artistes et l’art du paysage.
Qu’est-ce qu’une peinture de paysage ? Telle est la vaste question que pose, pour quelques jours encore, le Louvre-Lens à travers un parcours réunissant plus de 170 œuvres fameuses, méconnues ou insolites, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, de l’Europe jusqu’au Japon.
Un dispositif innovant
L’exposition est construite par l’artiste Laurent Pernot comme un paysage à traverser, découpé en différents plans colorés. L’expérience de visite est ainsi conçue à la manière d’une promenade à travers plusieurs espaces parfois soumis à des variations lumineuses : six œuvres, parmi lesquelles le séduisant Printemps peint par Jean-François Millet (1814-1875) dans les dernières années de sa vie, bénéficient en effet d’un dispositif donnant à voir l’évolution du jour au fil des heures ; ces « cimaises lumineuses » viennent animer les toiles, suscitant en fonction de l’éclairage diverses émotions chez le spectateur.

Gloire et misère du paysage
L’idée de nature est probablement apparue au Néolithique (entre 8 000 et 3 000 av. J.-C.), lorsque l’homme a commencé à se sédentariser. On la dote plus tard d’une dimension religieuse : elle est la création de Dieu. C’est au cours des XIVe et XVe siècles qu’une innovation majeure va bouleverser la représentation du paysage : l’apparition de la perspective. Une vision nouvelle se fait jour avec la Renaissance : en peignant un paysage, l’artiste imite le Créateur, donnant naissance depuis le chaos de son imagination à son propre nouveau monde. Quelques siècles plus tard, lorsque s’impose la hiérarchie des genres formalisée au XVIIe siècle par Félibien, le paysage se retrouve assimilé à un simple décor ; il doit servir d’écrin à la scène principale qui se déroule au premier plan. Nicolas Poussin parlait de « parergues » afin d’évoquer cette partie ornementale de la composition offrant un contexte à son sujet. Certaines voix s’élèvent cependant contre cette vision : le peintre et théoricien de l’art Roger de Piles, opposé à Félibien, valorise notamment le paysage champêtre, propice à des approches plus sensuelles qu’érudites ; au XVIIIe siècle, François Boucher (1703-1770) en fera l’une de ses spécialités, comme en témoigne dans l’exposition la délicieuse composition des Charmes de la vie champêtre.

Paysage mental
En 1841, l’invention du tube de peinture lance la vogue de la peinture en extérieur. Le paysage prend une importance nouvelle. Dès la fin du siècle, l’émergence de la photographie et du cinéma conduisent les artistes à repenser la peinture. Dans Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier (1910) Vassily Kandinsky (1866-1944) appelle ainsi à dépasser le réalisme et donc à se libérer de l’imitation de la nature. Le paysage doit désormais être envisagé comme une projection de la sensibilité de l’artiste et de son esprit. D’autres lui emboîteront le pas. Les paysages de l’Américaine Joan Mitchell (1925-1992), récemment honorée à la Fondation Vuitton, doivent ainsi être vus comme le reflet de ses propres émotions. Progressivement, le genre se fait l’écho des préoccupations les plus contemporaines : les dérives du capitalisme, l’impact de l’industrie sur la nature, la croissance démographique, ou encore les enjeux écologiques.

Maylis de Cacqueray
« Paysage. Fenêtre sur la nature »
Jusqu’au 24 juillet 2023 au Louvre-Lens
99 rue Paul Bert, 62300 Lens
Tél. 03 21 18 62 62
www.louvrelens.fr
Catalogue, sous la direction de Marie Lavandier, Vincent Pomarède et Marie Gord, coédition Louvre-Lens / Lienart éditions, 392 p., 39 €.