25 octobre 1722. La vénérable cathédrale de Reims accueille le sacre d’un jeune et timide garçon de douze ans, alors unanimement célébré comme le plus bel enfant du royaume. Afin de fêter en grande pompe ce tricentenaire, qui coïncide avec celui du retour de la cour à Versailles, le château déploie une importante exposition, un demi-siècle après la mémorable démonstration organisée à la Monnaie de Paris. Il ne s’agit pas, cette fois, de dresser un panorama des cinquante ans de règne de Louis XV, mais plutôt d’esquisser, au fil de près de 400 œuvres souvent méconnues ou inédites en France, le portrait intime de l’homme complexe et mélancolique caché derrière le monarque. Avant que le rideau ne tombe ce dimanche, Versailles vous propose de réserver dès maintenant un créneau de visite pour l’une des cinq nocturnes exceptionnelles désormais accessibles.
Un bien curieux portrait de Louis XV accueille le visiteur en ouverture de l’exposition. Étrangement anthropomorphe, la prodigieuse pendule de Claude-Siméon Passemant (1702-1769), dévoilée ici pour la première fois depuis sa restauration, nous apparaît en effet comme le double de bronze doré du monarque : elle est à la fois caractéristique du triomphe de l’exubérant art rocaille qui marqua son règne et de son insatiable passion pour les sciences. Objet intime qui dans ses Petits Appartements rythmait son quotidien, elle égrène ici, de sa naissance à sa disparition, les riches heures du « Bien-Aimé ».
Une « enfance de cimetière »
Lorsque vient au monde à Versailles, le 15 février 1710, le petit Louis, d’abord titré duc d’Anjou par le duc de Bourgogne, son père, petit-fils de Louis XIV, trois générations le séparent du trône. L’épouvantable hécatombe qui bientôt frappe la descendance pourtant nombreuse du Roi-Soleil précipitera son destin en le plaçant brutalement sur le devant de la scène. Cette accélération de l’Histoire est particulièrement lisible au sein d’un imposant tableau attribué à Nicolas de Largillière et à son atelier : vraisemblablement commandé par Madame de Ventadour, gouvernante du futur roi qui l’aima comme une mère et le protégea de la mortelle épidémie de rougeole qui décima sa famille, il met en scène Louis XIV et ses héritiers : le Grand Dauphin, le duc de Bourgogne et le futur Louis XV ; au moment de la création de l’œuvre vers 1715, seul subsiste pourtant l’arrière-petit-fils du grand roi, qui sera son successeur. Ayant bénéficié pour l’exposition d’une restauration fondamentale, cette huile sur toile qui n’avait pas revu la France depuis le XIXe siècle est l’une des deux œuvres ayant fait l’objet d’un prêt exceptionnel de la Wallace Collection (Londres).
Le temps des apprentissages
À la mort de Louis XIV, alors que débute la régence de Philippe d’Orléans, s’ouvre pour l’enfant-roi le temps des apprentissages. Confiée au bienveillant cardinal de Fleury, l’éducation de Louis XV sera soignée et complète. On découvre ainsi le roi grandir à travers un étonnant tableau mécanique conservé en collection particulière détaillant les différentes leçons de danse, d’escrime et de chasse qui rythment son quotidien. La préparation de l’exposition a permis d’identifier au musée Carnavalet une petite huile figurant une leçon de science qui se trouve être la quatrième scène qui jusqu’alors manquait à ce pittoresque théâtre miniature.
À l’heure espagnole
Afin d’assurer la pérennité de la dynastie et de sceller l’alliance entre les Bourbons de France et ceux qui depuis le début du siècle occupent désormais le trône d’Espagne, le Régent échafaude un ambitieux projet diplomatique : marier Louis XV à sa cousine germaine, l’infante d’Espagne, fille du roi Philippe V, et offrir la sienne comme future épouse au prince des Asturies, son successeur. Le projet fera long feu : les huit années séparant l’adorable « infante-reine » du taciturne et maladif roi de France font bientôt craindre au duc de Bourbon, successeur du Régent au poste de Premier ministre, un mariage trop longtemps stérile. On décide donc de renvoyer la petite princesse afin de lui en préférer une autre, d’un rang pourtant inférieur mais déjà nubile : Marie Leszczynska. Plusieurs portraits témoignent du séjour français de l’éphémère fiancée venue de l’autre côté des Pyrénées : Versailles a notamment obtenu du Palazzo Pitti le séduisant double portrait par Jean-François de Troy mettant en scène les futurs époux dans un décor palatial. Prêté plus loin par le Prado, le portrait officiel destiné à Philippe V que livre en 1724 Nicolas de Largillière de la jeune infante désormais âgée de six ans restitue l’espiègle majesté de cette enfant qui enchanta un temps la cour de France.
Le temps de l’intimité
La cour se réinstalle à Versailles à partir de juin 1722. D’un naturel réservé, Louis XV transforme le château afin d’y ménager ses Petits Appartements, espaces intimes conçus pour n’accueillir qu’une compagnie restreinte. Plusieurs fois par semaine, ce roi qui, selon le mot du duc de Croÿ, « n’aimait pas les nouveaux visages », y donne pour ses familiers ses fameux petits soupers qui malgré une étiquette plus souple n’en demeuraient pas moins fastueux. Afin d’évoquer les agapes royales, les commissaires de l’exposition ont notamment choisi de présenter un rarissime service d’orfèvrerie parisienne exceptionnellement complet : conservées en mains privées, ses 141 pièces en argent ont vraisemblablement été commandées par le comte de Berkeley à Jacques Roëttiers, devenu orfèvre du roi en 1737.
Un roi Très-Chrétien
L’exploration de l’intimité du souverain conduit à s’interroger sur son rapport à la religion. Roi Très-Chrétien, Louis XV est, malgré l’image voluptueuse que nous en avons, sincèrement croyant. Ses innombrables liaisons ne laissent donc pas de le tourmenter, le conduisant à renoncer durant près de trente ans à la communion afin de rester fidèle à ses convictions. Si l’on admirera dans cette section la gracieuse Lumière du monde de François Boucher commandée par la marquise de Pompadour pour la chapelle de son château de Bellevue – une œuvre conservée au musée des Beaux-Arts de Lyon et estampillée M. N. R. – on s’arrêtera tout particulièrement devant un opulent calice d’or : il s’agit d’une commande de la dauphine Marie-Josèphe de Saxe, belle-fille du roi, passée auprès de l’orfèvre Robert-Joseph Auguste afin d’être offerte au sanctuaire de Saint-François-Xavier de Radmirje (Slovénie) où cet objet se trouve encore aujourd’hui.
Dames de cœur
Marié le 5 septembre 1725, le roi demeurera huit années durant fidèle à son épouse avant que celle-ci, épuisée par ses neuf grossesses, ne lui ferme sa porte. Il prend alors successivement pour maîtresses les quatre sœurs de Nesle, immortalisées – et parfois enjolivées – par le pinceau de Jean-Marc Nattier. En 1745, le bal des Ifs organisé afin de célébrer l’union du Dauphin et de sa première épouse inaugure le règne de celle qui n’est pas encore marquise de Pompadour. Après quelques années, la favorite se mue en une indispensable amie, une transition que traduit dans la pierre le délicat marbre de Jean-Baptiste Pigalle donnant à une allégorie de l’Amitié les traits de la marquise. Disparue à l’âge de 42 ans, usée par sa mauvaise santé, elle sera remplacée quelques années plus tard par la voluptueuse comtesse Du Barry : c’est sous son empire que prendra fin le règne de Louis XV. Dames de cœur devenues mécènes des arts, les deux grandes favorites dialoguent par-delà les siècles au sein de l’exposition versaillaise. Alors qu’une section fait se rencontrer L’Amour essayant une de ses flèches de Jacques Saly, provenant du château de la marquise de Pompadour à Bellevue, et L’Amour assis sur le bord de la mer, rassemblant les colombes du char de Vénus de Louis-Claude Vassé, anciennement installé dans son pavillon de Louveciennes par la comtesse Du Barry, la dernière salle de l’exposition orchestre un duel au sommet en présentant exceptionnellement réunis côte-à-côte les deux splendides portraits que François-Hubert Drouais avait, sans le savoir, donné d’elles au soir de leurs règnes.
La dernière heure
Peint à l’huile sur textile puis collé au revers d’une glace, le portrait royal réalisé en mars 1774 par Arnaud Vincent de Montpetit applique un procédé novateur de son invention offrant au modèle représenté une singulière présence. Cette dernière représentation officielle de celui qui n’est plus depuis longtemps le « Bien-Aimé » sera vite oubliée : devenu dramatiquement impopulaire, Louis XV s’éteint quelques semaines plus tard à l’âge de 64 ans, emporté par la variole. Une ultime et singulière effigie du monarque attend le visiteur en conclusion de l’exposition : le dessin glaçant des restes mortels du feu roi, rapidement exécuté par Alexandre-Marie Lenoir lors du sac des tombeaux de Saint-Denis ordonné par la Convention nationale. Sic transit gloria mundi.
Olivier Paze-Mazzi
Article à retrouver dans :
L’Objet d’Art n° 594
Louis XV, les passions d’un roi à Versailles
96 p., 11 €.
À commander sur : www.estampille-objetdart.com
« Louis XV. Passions d’un roi »
Jusqu’au 19 février 2023 au château de Versailles
Place d’Armes 78000 Versailles
Tél. 01 30 83 75 05
www.chateauversailles.fr
Visitez l’exposition « Louis XV. Passions d’un roi » en nocturne du 15 au 19 février 2023, 17h30 à 22 heures. Réservation ici.
Catalogue sous la direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, In Fine / Château de Versailles, 496 p., 49 €.
À lire :
Dossiers de l’Art n° 303
Louis XV. Passions d’un roi
82 p., 11 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com