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Des chefs-d’œuvre d’or, d’émail et de gemmes exposés à la Fondation Bemberg

Pendant en forme de Cupidon (détail), Pays-Bas ou Allemagne, vers 1590-1620. Or émaillé, rubis, diamants, perles, 8,6 x 4 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen.

Pendant en forme de Cupidon (détail), Pays-Bas ou Allemagne, vers 1590-1620. Or émaillé, rubis, diamants, perles, 8,6 x 4 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée national de la Renaissance – château d’Écouen) / Mathieu Rabeau

La Fondation Bemberg, en partenariat avec le musée national de la Renaissance – château d’Écouen, célèbre ses 30 ans en déployant la première grande exposition muséale française consacrée aux bijoux de la Renaissance. Longtemps délaissés par les historiens de l’art, ces derniers occupent une place singulière au sein du panorama des arts décoratifs du XVIe siècle et reflètent, en miniature, les grands enjeux artistiques et culturels d’un siècle qui a porté à son apogée l’art de l’apparat.

La Renaissance, en bijou, est avant tout stylistique et non technique. L’art des orfèvres, qui connaît au XVIe siècle un véritable âge d’or, s’inscrit dans la tradition des productions médiévales : fonte, repoussé, ciselure, gravure et émaillage sont perfectionnés sans bouleversement. Quant aux pierres précieuses, avidement recherchées pour leur grosseur et leur teinte, elles occupent une place de choix dans les cassettes mais leur taille demeure assez sommaire, pointe, table ou cabochon.

Attribué à Girolamo da Carpi (1501-1556), Portrait de dame (Renée de France ?), vers 1530-1540. Huile sur bois, 113,7 x 79 cm. Francfort-sur-le-Main, Städel Museum.

Attribué à Girolamo da Carpi (1501-1556), Portrait de dame (Renée de France ?), vers 1530-1540. Huile sur bois, 113,7 x 79 cm. Francfort-sur-le-Main, Städel Museum. Photo service de presse. © 2025 Städel Museum, Frankfurt am Main

La Renaissance du décor

Le décor, en revanche, évolue de façon radicale dès la fin du XVe siècle, nourri par un goût pour l’Antique qui inspire à la fois les matériaux, les sujets, et les motifs des bijoux arborés dans les cours européennes. Sur le modèle des pierres gravées romaines, les ateliers milanais puis français produisent des camées et des intailles d’une perfection croissante, portés en colliers, en bague ou en bracelet. Dans le même temps, certains bijoux comme les pendants ou les enseignes à chapeaux, bijoux masculins cousus sur le couvre-chef, sont ornés de scènes narratives de plus en plus complexes, inspirées d’épisodes tirés de la Bible, mais aussi de la mythologie ou de l’Histoire antique. Le décor émaillé fait enfin la part belle à l’ornement et reprend, en miniature, des motifs prisés par les peintres et les sculpteurs du temps, comme les grotesques, inspirés des fresques de la Domus Aurea de Néron, ou les moresques, rinceaux stylisés d’origine ottomane.

Diane et Actéon, Angleterre ou France (?), vers 1560-1580. Or émaillé, D. 3,5 cm. Stamford, Lincolnshire, Burghley House.

Diane et Actéon, Angleterre ou France (?), vers 1560-1580. Or émaillé, D. 3,5 cm. Stamford, Lincolnshire, Burghley House. Photo service de presse. © The Burghley House Collection

Des matériaux lointains

Si la Renaissance n’invente pas le commerce des pierres précieuses, celui-ci connaît une expansion sans précédent avec le développement des routes commerciales vers l’Orient et la découverte de mines dans les territoires nouvellement colonisés en Amérique du Sud, en particulier en Colombie. Les bijoux, dans leurs matériaux et leurs formes, reflètent ces échanges lointains. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, les silhouettes irrégulières des grosses perles baroques venues du golfe Persique donnent ainsi naissance à des créatures hybrides ou monstrueuses, comme les sirènes, les tritons et autres monstres marins que l’on pense peupler les mers lointaines.

Pendentif en forme de triton, Espagne, vers 1570-1590. Or émaillé, perle, 9 x 4 cm. Collection particulière.

Pendentif en forme de triton, Espagne, vers 1570-1590. Or émaillé, perle, 9 x 4 cm. Collection particulière. © Suzanne Nagy

Des objets voyageurs

Les bijoux eux-mêmes sont des objets voyageurs qui circulent entre les cours européennes et parfois même à travers les océans ou les continents. Un petit pendentif conservé au musée du Louvre, orné sur une face d’une Crucifixion et sur l’autre d’une descente de Croix, témoigne de ces échanges nourris avec les nouveaux mondes. Par son iconographie et sa technique, la micro-sculpture en buis, il s’inscrit dans la tradition flamande de la fin du Moyen Âge ; son arrière-plan, décoré d’une mosaïque de plume, est quant à lui caractéristique de l’art aztèque. Ce bijou, fabriqué au Mexique par des artisans locaux au sein d’ateliers créés par les franciscains, était destiné à être envoyé en Europe pour témoigner de l’habileté et de la piété des populations nouvellement conquises.

Pendentif : La Crucifixion et la Descente de Croix, Mexique et Espagne, seconde moitié du XVIe siècle. Bois, plumes de colibri, cristal de roche, or émaillé, perle, 7,6 x 3,2 x 1,7 cm. Paris, muséedu Louvre, départementdes Objets d’art.

Pendentif : La Crucifixion et la Descente de Croix, Mexique et Espagne, seconde moitié du XVIe siècle. Bois, plumes de colibri, cristal de roche, or émaillé, perle, 7,6 x 3,2 x 1,7 cm. Paris, muséedu Louvre, départementdes Objets d’art. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Rien ne se perd, rien ne se crée

À l’opposé de ces bijoux créés ex-nihilo, de multiples parures de la Renaissance sont des objets « recyclés ». Lors d’une commande, certains clients fournissent eux-mêmes les matières premières aux orfèvres, sous forme de bijoux plus anciens, démodés ou endommagés. Il appartient alors à ces derniers d’en fondre le métal et d’en ressertir les pierres en fonction des désirs du commanditaire. Cet usage n’est pas réservé aux milieux les plus modestes : en France, les Joyaux de la Couronne, trésor inaliénable de bijoux créé par François Ier, sont ainsi régulièrement remontés pour suivre les évolutions de la mode. La possibilité de réutiliser à l’infini le métal et les pierres précieuses explique pourquoi si peu de bijoux de la Renaissance sont conservés aujourd’hui : détruites pour suivre les évolutions de la mode ou pour répondre à une situation économique difficile, l’immense majorité de ces parures ne nous sont plus connues qu’à travers les archives ou les portraits. Certains bijoux, comme deux éléments de colliers conservés au musée des Arts décoratifs de Budapest, portent la trace de ce passé difficile : ils ont perdu toutes leurs pierres précieuses mais leur monture a été conservée, sans doute à cause de la valeur ornementale et symbolique de son décor.

Éléments de collier à décor matrimonial, Allemagne du Sud ou Hongrie, vers 1580-1600. Or, émail, 6,7 x 5,1 cm. Budapest, Iparmuvészeti Múzeum.

Éléments de collier à décor matrimonial, Allemagne du Sud ou Hongrie, vers 1580-1600. Or, émail, 6,7 x 5,1 cm. Budapest, Iparmuvészeti Múzeum. © Iparművészeti Múzeum Budapest / GEL

Du modèle à l’objet

Les sources d’inspiration des orfèvres sont nombreuses et variées : modèles en bois ou en plomb, dessins et autres estampes garnissent les fonds d’atelier et permettent la satisfaction des demandes les plus courantes. Pas toujours inventeur, l’orfèvre n’est pour autant jamais un simple exécutant. Partant d’une vignette en noir et blanc issue d’une Bible illustrée, le fabricant d’une enseigne à chapeau représentant le héros biblique Samson conservée au Rijksmuseum d’Amsterdam a su traduire en trois dimensions et en couleur une composition à l’origine dénuée de tout relief. Il a renforcé l’effet de profondeur par un traitement différent des surfaces, tantôt amaties, tantôt brillantes, renforçant le caractère tridimensionnel de l’ensemble. Combinant fonte, ciselure et émaillage, ce bijou à l’origine destiné à être cousu sur un couvre-chef témoigne de la virtuosité technique des orfèvres du XVIe siècle.

Hans Sebald Beham, Biblicae Historia, Francfort-sur-le-Main, 1537. Imprimé, In-4°. Paris, Bibliothèque nationale de France, Arsenal.

Hans Sebald Beham, Biblicae Historia, Francfort-sur-le-Main, 1537. Imprimé, In-4°. Paris, Bibliothèque nationale de France, Arsenal. Photo BnF

Enseigne à chapeau : Samson, Flandres ou Pays-Bas, vers 1534-1550. Or émaillé, D. 5 cm. Amsterdam, Rijksmuseum.

Enseigne à chapeau : Samson, Flandres ou Pays-Bas, vers 1534-1550. Or émaillé, D. 5 cm. Amsterdam, Rijksmuseum. Photo CC0 Rijksmuseum, Amsterdam

Être et Paraître

Quel que soit le rang de celui qui le porte, l’ornement du corps est un miroir qui reflète tant la personnalité d’un individu que ses liens familiaux, amicaux ou sentimentaux, voire son appartenance à un groupe donné, communauté de métier, de dévotion ou ordre de chevalerie.

Giambattista Moroni (1521/1524-1578), Portrait de jeune femme, vers 1570-1578. Huile sur toile, 73,5 x 65 cm. Amsterdam, Rijksmuseum.

Giambattista Moroni (1521/1524-1578), Portrait de jeune femme, vers 1570-1578. Huile sur toile, 73,5 x 65 cm. Amsterdam, Rijksmuseum. Photo service de presse. Photo CC0 Rijksmuseum, Amsterdam

Offert en cadeau à l’occasion de fiançailles ou d’un mariage, le bijou représente ainsi tant un gage sentimental qu’une valeur monétaire non-négligeable, mobilisable immédiatement en cas de difficultés financières. Son décor reflète souvent l’amour et la constance souhaitée aux futurs époux : on conserve ainsi une dizaine de pendentifs en forme de Cupidon offerts en contexte matrimonial et datant des années 1600, dont trois sont réunis pour la première fois au sein de l’exposition. À travers ces exemplaires survivants se dessine, en filigrane, une production que l’on imagine quasi sérielle au sein de plusieurs ateliers d’une même région, voire de plusieurs pays, des bijoux de ce type étant attestés en Allemagne du Sud et en Hongrie.

Pendant en forme de Cupidon, Pays-Bas ou Allemagne, vers 1590-1620. Or émaillé, rubis, diamants, perles, 8,6 x 4 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen.

Pendant en forme de Cupidon, Pays-Bas ou Allemagne, vers 1590-1620. Or émaillé, rubis, diamants, perles, 8,6 x 4 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée national de la Renaissance – château d’Écouen) / Mathieu Rabeau

Des fonctions surprenantes

Objet de l’intime et de l’apparat, le bijou de la Renaissance se dote parfois de fonctions plus surprenantes pour un regard contemporain : cure-dents cure-oreilles et pommes de senteur garantissent ainsi l’hygiène de leur porteur tout en attestant du soin qu’il prend de sa personne. Dents de sangliers, perles de corail et talismans en tous genres garantissent quant à eux sa protection contre le mal et la maladie.

Cure-dent cure-oreilles, Allemagne, dernier tiers du XVIe siècle. Or, perle, 5,5 x 8 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen.

Cure-dent cure-oreilles, Allemagne, dernier tiers du XVIe siècle. Or, perle, 5,5 x 8 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen. © GrandPalaisRmn (musée national de la Renaissance – château d’Écouen) / René-Gabriel Ojéda

Valeurs chrétiennes

Dans un tout autre registre, le bijou peut aussi se faire l’écho des valeurs chrétiennes, qu’il accompagne la dévotion quotidienne ou soit investi d’une fonction de Memento Mori. Portés au plus près de soi, visibles à toute heure par leur propriétaire, bagues et pendentifs décorés de crânes, de squelettes et autres motifs mortuaires rappellent ainsi aux vivants la finitude de toute chose et la nécessité de préparer leur âme à l’au-delà.

Pendant en forme de cercueil (dit Torre Abbey Jewel), Angleterre, 1540-1550. Or émaillé, 8 x 2,3 x 1,3 cm. Londres, Victoria and Albert Museum.

Pendant en forme de cercueil (dit Torre Abbey Jewel), Angleterre, 1540-1550. Or émaillé, 8 x 2,3 x 1,3 cm. Londres, Victoria and Albert Museum. © Victoria and Albert Museum, London

La Renaissance du XIXe siècle

Dès les années 1820, amateurs et collectionneurs commencent à s’intéresser aux bijoux des XVIe et XVIIe siècles, séduits par leurs formes spectaculaires, leur perfection technique et leur valeur emblématique. Cet intérêt soutenu pour les pièces d’exception est nourri par la concurrence amicale entre certains collectionneurs, notamment entre les différentes branches de la famille Rothschild. Tous se heurtent pourtant à un écueil de taille : hors trésors historiques appartenant à des collections muséales, comme au Kunsthistorisches Museum de Vienne ou à la Grünes Gewolbe de Dresde, très peu de bijoux de la Renaissance sont encore conservés.

Pendant en forme de perroquet, Hongrie ou Paris, vers 1850-1880. Or émaillé, rubis, diamants, perles, 8 x 5,2 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen.

Pendant en forme de perroquet, Hongrie ou Paris, vers 1850-1880. Or émaillé, rubis, diamants, perles, 8 x 5,2 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen. © GrandPalaisRmn (musée national de la Renaissance –château d’Écouen) / Mathieu Rabeau

Des restaurations essentielles

Plus fâcheux encore, ceux qui sont disponibles sur le marché sont souvent endommagés ou fragmentaires, réclamant des interventions extensives. Marchands, restaurateurs et orfèvres s’emploient donc à restaurer, voir recréer en partie colliers, bracelets et autres pendants, souvent à la demande des clients eux-mêmes. En parallèle, une abondante production de faux se développe autour de plusieurs foyers européens, Vienne, Paris ou Budapest : des bijoux somptueux et convaincants sont fabriqués en copiant les techniques et les formes du XVIe siècle. Mal connus et souvent peu étudiés, ces bijoux composites ou faux sont mis à l’honneur en conclusion de l’exposition, formant un nouveau jalon dans un champ d’étude encore largement inexploré.

Pomme de senteur, Allemagne, vers 1600. Argent doré, 6 x 3,3 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen.

Pomme de senteur, Allemagne, vers 1600. Argent doré, 6 x 3,3 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée national de la Renaissance – château d’Écouen) / Mathieu Rabeau

Trésors de bijoux, trouvailles françaises

Quoiqu’une infime minorité seulement des bijoux fabriqués tout au long du XVIe siècle soit parvenue jusqu’à nous, le corpus des pièces conservées en France s’est enrichi tout au long des XIXe et XXe siècles au gré de découvertes plus ou moins fortuites. Sous Napoléon III, le réaménagement des berges de la Seine a ainsi permis de faire ressurgir de nombreuses bagues datant des XVIe et XVIIe siècles, jetées ou perdues par leurs propriétaires. Une bague ornée de deux mains jointes en foi, symbole d’engagement et de respect de la parole donnée, est conservée par le musée national de la Renaissance – château d’Écouen. Ce type d’anneau populaire de la fin du Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle conserve une forme relativement constante pendant plusieurs siècles, sa valeur symbolique le rendant assez insensible aux évolutions du goût. Sur cet exemplaire, les restes d’émaux blancs et noirs ainsi que les deux têtes en mascaron de part et d’autre des mains nous renvoient toutefois à une date de production dans les années 1560-1600.

Bague foi, Paris, vers 1560-1600. Or émaillé, 2,3 x 0,6 x 2 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen.

Bague foi, Paris, vers 1560-1600. Or émaillé, 2,3 x 0,6 x 2 cm. Écouen, musée national de la Renaissance – château d’Écouen. Photo service de presse. GrandP

« D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance », jusqu’au 27 juillet 2025 à la Fondation Bemberg, Hôtel d’Assézat, place d’Assézat, 31000 Toulouse. Tél. 05 61 12 06 89. www.fondation-bemberg.fr

Catalogue, coédition Fondation Bemberg Toulouse / In Fine éditions d’art, 240 p., 45 €.