Lorsqu’elle arrive à la Cour, son goût est déjà affirmé. Comment s’est-il formé ?
Bien avant sa faveur, elle a vécu pendant plusieurs années dans un milieu de mécènes, de collectionneurs, au sein duquel son goût s’est façonné. Elle fréquente différents cercles : celui de la haute finance parisienne, des fermiers généraux, des commissaires de la Marine du roi, des receveurs des rentes de l’Hôtel de Ville… Il lui manque cependant les moyens financiers pour assouvir ses passions ; Louis XV les lui offrira. À la différence de Madame de Pompadour, il ne la titre pas, ni ne la dote en terres et en châteaux. En compensation, elle bénéficie des très grandes largesses de son royal amant, qui met à sa disposition, par l’intermédiaire du financier Nicolas Beaujon, presque six millions de livres en l’espace de six ans.
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Madame Du Barry s’installe en 1769 à Versailles au cœur même des Petits appartements. De quelle manière ces espaces, restaurés en 2022, vont-ils refléter son goût ?
Elle est la première à avoir ce privilège : un appartement de quinze pièces situé au deuxième étage sur la cour de marbre, pour une surface totale de 350 m2. C’est un élément fondamental car cela traduit la proximité nouvelle qui existe entre le roi et sa maîtresse. Deux pièces témoignent tout particulièrement de son goût : sa bibliothèque, à laquelle on accède depuis l’antichambre par trois marches et deux portes qui disent assez l’intimité de l’endroit, et sa chambre. Sculpté par Nicolas Guichard et aujourd’hui disparu, son lit triomphal à colonnes et à dôme, orné d’amours, de guirlandes de myrtes et de roses, constitue l’apothéose de ce décor. La délicate maquette en cire au 1/7 préparatoire à celui livré, sans doute par Poirier, pour son appartement de Fontainebleau (musée du Louvre), donne une idée de sa magnificence. C’est aussi pour Versailles qu’est passée en 1769 à Louis Delanois la première grande commande d’un mobilier à forme droite. Jeanne lance véritablement la carrière de ce menuisier en sièges, son artisan préféré.
Un goût immodéré pour les meubles habillés de Sèvres
Si les premiers meubles ornés de porcelaine de Sèvres datent de 1758, année marquant le début de la collaboration entre le marchand mercier Poirier et la manufacture, on peut néanmoins considérer que nul n’en assura autant la promotion que Jeanne Du Barry. Cultivant un goût immodéré pour ces meubles précieux, elle n’eut de cesse de s’offrir toutes les formes disponibles, collectionnant avec ferveur de coûteuses pièces uniques dont la blancheur des fonds et l’intense polychromie soulignée d’or étaient essentiellement destinées à sublimer son intérieur versaillais. En août 1772, sa chambre accueille un meuble d’exception : l’exquise commode de Carlin parée de « scènes champêtres et galantes » peintes par Dodin d’après Pater, Van Loo et Lancret.
Le salon de compagnie de Madame Du Barry à Fontainebleau : « une déclaration d’amour »
En 1771, Jeanne obtient, malgré les réticences de Gabriel, l’aménagement à Fontainebleau d’un salon hors d’œuvre sur le jardin de Diane. Baigné de lumière, cet espace intime achevé l’année suivante déploie un opulent décor néoclassique que scandent quatre colonnes corinthiennes. Rien n’est trop beau pour la favorite : des boiseries blanc et or sculptées par Guibert habillent les murs que démultiplient des glaces immenses, une paire de girandoles figurant des groupes de femmes portant des corbeilles de fleurs éclairent la pièce à la nuit tombée, tandis que deux précieux chenets en bronze doré au cerf et au sanglier par Pitoin traduisent le goût du monarque pour la chasse. Ils gardent un véritable chef-d’œuvre : l’extraordinaire cheminée livrée par Boizot et Gouthière dont les jambages sculptés prennent la forme de deux jeunes enfants en marbre blanc parés de bronze doré. Jeanne ne recevra Louis XV dans son salon de compagnie que deux fois, dont une six mois avant sa disparition. Pour Emmanuel de Waresquiel, cet écrin merveilleux mêlant les roses aux lys constituait « une déclaration d’amour, la manifestation éclatante de leur bonheur ». Malgré son coût faramineux de 24 000 livres, ce salon sera pourtant détruit dès 1774, vraisemblablement avec l’approbation de Marie- Antoinette et de Mesdames, dont les appartements se trouvaient juste en face. Il ne subsiste aujourd’hui que de rares reliques de cet éphémère salon. Sa somptueuse cheminée trône désormais à Versailles dans la bibliothèque de Louis XVI, accompagnée de ses chenets. Une partie de ses délicates boiseries a, de son côté, trouvé refuge dans la sacristie de la chapelle de l’hôpital de Fontainebleau.
Retrouvez les épisodes précédents de notre série « Jeanne Du Barry » :
Épisode I : « la faute est aux dieux qui la firent si belle »
Entretien à retrouver en intégralité dans :
L’Objet d’Art n° 610
1874, la naissance de l’impressionnisme
98 p., 11 €.
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À lire :
Emmanuel de Waresquiel
Jeanne Du Barry. Une ambition au féminin
Tallandier
592 p., 27,90 €.