Jamais Notre-Dame n’avait autant fait parler d’elle. Depuis l’incendie, pas un jour ou presque sans que la presse et les réseaux sociaux ne se fassent l’écho de l’avancement des travaux, des projets et des débats plus ou moins feutrés qui entourent la cathédrale. Après le bilan de santé complet que nous dressions dans nos pages en janvier 2021, retour sur les étapes clefs de ses cinq dernières années.
Un drame et des miracles
Le 15 avril 2019, il est 19h03 lorsque les flammes apparaissent sur le toit de la cathédrale, bientôt dévorée par l’incendie. Les yeux rivés sur les écrans, des millions de spectateurs suivent le drame en direct, médusés. Le lendemain, le bilan est lourd, bien sûr, l’extraordinaire charpente médiévale (la « Forêt ») n’est plus que cendres et la flèche de Viollet-le-Duc s’est effondrée ; pourtant, le maître-autel et sa croix ont été épargnés, le grand orgue n’a été touché que par la poussière de plomb, les peintures et les vitraux sont saufs… Les monumentales statues de la flèche venaient heureusement de partir en restauration, tandis que l’emblématique coq qui se trouvait à son sommet est miraculeusement retrouvé, cabossé mais entier. « Nous n’avons pas perdu d’œuvre majeure », peut ainsi annoncer Laurent Prades au micro d’Europe 1 dès le 17 avril. Régisseur du patrimoine de Notre-Dame depuis l’an 2000, il a lui-même multiplié les allers-retours dans la cathédrale en feu pour contribuer à en extirper des toiles majeures et les précieuses reliques. Si le millier d’œuvres et d’objets d’art de la cathédrale, placé par la suite sous la responsabilité du Louvre, ne peut être montré au public dans son intégralité, des expositions temporaires qui se poursuivent tout au long de l’année 2024 permettent de dévoiler une partie de ces trésors.
Une course contre la montre
L’incendie n’est pas encore totalement éteint lorsque le président Emmanuel Macron annonce sa volonté de restaurer Notre-Dame « en cinq ans », des délais peu raisonnables pour beaucoup, et qui pourraient porter préjudice à l’avancement d’autres chantiers. Qu’importe, la course contre la montre est lancée, aidée en cela par l’exceptionnel élan de générosité qu’a suscité l’incendie à travers le monde (846 millions d’euros). Pour atteindre l’objectif, l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale est créé le 1er décembre 2019. Sous la présidence de l’énergique général Georgelin (décédé en août dernier et remplacé par son bras droit Philippe Jost), les travaux de sécurisation et de consolidation puis les restaurations s’enchaînent à un rythme effréné, en concertation avec l’État, le clergé et les entreprises, bien sûr, mais également en lien avec le ministère de la Culture, la Ville de Paris, la Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France, le Centre des monuments nationaux (gestionnaire des tours), la Société des Amis de Notre-Dame ou encore les huit groupes de travail du chantier scientifique.
130 000 voix contre un « geste contemporain »
S’il ne s’agit pas ici de détailler dans toute leur complexité les prérogatives et actions des nombreux acteurs dont les champs de compétences s’entremêlent, soulignons que la mission s’avère inévitablement périlleuse. En témoigne, par exemple, la querelle médiatique qui entoure le projet du nouveau mobilier liturgique voulu par l’archevêque Michel Aupetit – remplacé après sa démission par Monseigneur Laurent Ulrich : le 8 décembre prochain, on pourra donc découvrir l’autel, le tabernacle, le baptistère, l’ambon et la cathèdre en bronze conçus par Guillaume Bardet, ainsi que les 1 500 chaises imaginées par Ionna Vautrin et la châsse-reliquaire dessinée par Sylvain Dubuisson. C’est contre un autre « geste contemporain » que de nombreuses voix s’élèvent à présent : plus de 130 000 personnes ont déjà signé la pétition lancée par le fondateur du site internet La Tribune de l’Art, Didier Rykner, et remise à l’Élysée ; une pétition qui dénonce le projet de commande de six vitraux destinés à remplacer des verrières pourtant intactes de Viollet-le-Duc.
Un musée très attendu
« Notre-Dame n’est pas un musée », confiait Monseigneur Aupetit à Libération (19 avril 2019). Si la cathédrale s’est considérablement enrichie en peintures, sculptures, tapisseries et objets d’art, en particulier durant les XVIIe et XVIIIe siècles, avant d’être vidée à la Révolution, d’aucuns ont en effet souligné le risque de muséification. Inspecteur des Monuments historiques chargé de Notre-Dame à partir de 1943, Pierre-Marie Auzas, qui a pourtant activement œuvré à faire revenir les Mays dans l’édifice (ces grands tableaux offerts à Notre-Dame par la confrérie des orfèvres2), affirme ainsi : « on ne saurait trop accueillir d’œuvres d’art et transformer la cathédrale en musée » (1951). Comme d’autres avant lui, il défendait donc la nécessité de créer un musée, projet que nombre d’historiens de l’art et amoureux du patrimoine n’ont cessé d’appeler de leurs vœux, en particulier depuis 2019.
Un projet enfin sur les rails
On oublie bien souvent que la Société des Amis de Notre-Dame de Paris avait créé en 1951 un petit musée Notre-Dame, fermé en 2008 dans l’indifférence générale. Il est toutefois évident que les ambitions sont, plus que jamais, d’une tout autre ampleur. La Cour des Comptes elle-même recommande dans son deuxième bilan d’octobre 2022 d’« étudier les possibilités d’implantation d’un musée de l’Œuvre », projet en faveur duquel le ministère de la Culture, pour des raisons financières entre autres, montre peu d’empressement. En avril dernier, c’est encore du chef de l’État, manifestement désireux de laisser sa marque, que vient l’impulsion décisive, et le 7 juillet, Charles Personnaz, directeur de l’Institut national du Patrimoine, se voit confier la délicate mission de préfiguration de l’établissement. Le projet est enfin sur les rails.
La problématique de l’implantation
À l’issue d’une vaste consultation, celui qui avait déjà œuvré à la préfiguration de la très contestée Maison de l’Histoire de France voulue par Nicolas Sarkozy devra remettre en avril un rapport comprenant l’ébauche du projet scientifique et culturel du musée de Notre-Dame, des propositions d’implantation, de programmation architecturale et muséographique, un budget et un modèle de financement. Autant d’épineuses questions dont la presse se fait régulièrement l’écho et autour desquelles le consensus semble impossible. La problématique de l’implantation nourrit déjà des débats houleux. Seules certitudes pour l’heure, le musée doit être spacieux et situé au plus près de la cathédrale. Faut-il construire sur le parvis ou aménager en sous-sol ? Investir des espaces appartenant à la RATP ou au Palais de Justice ? Ce sont plutôt les vastes locaux partiellement désaffectés de l’Hôtel-Dieu (en tout 55 000 m2 au sol) qui attirent tous les regards et ont été mentionnés par Emmanuel Macron. Mais ils appartiennent à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris qui avait de tout autres projets pour ces locaux, en particulier pour la partie sud donnant sur le parvis2… Affaire à suivre…
1 Voir l’ouvrage de référence de Delphine Bastet, Les Mays de Notre-Dame de Paris (1630-1707), Arthena, 2021 ; et son article publié dans L’Objet d’Art n° 575.
2 On peut notamment lire l’article d’Agnès Laurent paru dans L’Express du 23 novembre 2023, « La folle histoire du musée de Notre-Dame ».
Myriam Escard-Bugat
Retrouvez les épisodes précédents de notre série « La renaissance de Notre-Dame de Paris » :
Épisode I : une année riche en événements
Dossier à retrouver dans :
L’Objet d’Art n° 608
Notre-Dame, vers un musée de l’Œuvre ?
98 p., 11 €.
À commander sur : www.estampille-objetdart.com
Retrouvez toutes les informations sur : www.rebatirnotredamedeparis.fr