Si le ministère de la Culture mentionne un musée « dédié » à Notre-Dame, l’appellation de « musée de l’Œuvre » semble remporter une large adhésion. En France, une seule institution de ce type existe, à Strasbourg. Peut-elle servir de modèle au projet parisien ? Qu’en est-il ailleurs en France et dans le reste de l’Europe ?
L’appellation « musée de l’Œuvre » ne fait en France l’objet d’aucun label ni d’aucune définition officielle1. Conservatrice du musée strasbourgeois inauguré en 1931 dans la Maison de l’Œuvre Notre-Dame, Cécile Dupeux se souvient de la visite du général Georgelin qui avait parcouru avec intérêt la quarantaine de salles que compte le parcours.
Strasbourg pour modèle ?
Mais elle rappelle d’emblée : « l’institution porte le nom des bâtiments qui l’abritent, nous ne présentons pas une collection d’objets d’art provenant exclusivement de la cathédrale ou retraçant sa longue histoire. Cela peut surprendre certains visiteurs qui s’attendent à trouver un centre d’interprétation de Notre-Dame de Strasbourg ». Chargée de construire puis de restaurer l’édifice, la fondation de l’Œuvre est la seule en France à être restée active depuis presque 800 ans, malgré les suppressions révolutionnaires puis la séparation de l’Église et de l’État (en 1905, la ville se trouve en territoire allemand). Les sculptures, plans et élévations liés à la cathédrale forment le noyau initial des collections et sont sans conteste les éléments les plus insignes du parcours, mais « ils représentent environ 10 % des collections2 ». Dédié aux arts du Moyen Âge et de la Renaissance à Strasbourg et dans le Haut Rhin, ce remarquable musée « d’ambiance » réunit en outre un millier de peintures, sculptures, meubles et pièces d’orfèvrerie parmi lesquels des chefs-d’œuvre de Konrad Witz, Nicolas de Leyde, Hans Baldung Grien ou Sébastien Stoskopff.
Difficiles mises en œuvre
De nombreuses voix se sont régulièrement élevées depuis un siècle pour créer des musées mettant en valeur l’histoire et le patrimoine des cathédrales. Les projets peinent pourtant à voir le jour, à l’instar du Centre médiéval lancé en 1988 par le maire de Chartres, repensé par son successeur et qui fait aujourd’hui l’objet de vives polémiques. Promue cathédrale en 1966, la basilique Saint-Denis, insigne nécropole des rois de France souvent qualifiée de « grand musée de monuments funéraires », a elle aussi suscité d’ambitieux projets. « Viollet-le-Duc voulait créer in situ un musée de la sculpture française », précise Anne-Sophie Destrumelle, directrice du patrimoine, des musées et des archives de Saint-Quentin qui s’est lancée dans une thèse intitulée Du monumental au muséal : quel musée (de l’Œuvre) pour et à la basilique Saint-Denis. « Depuis les années 1930 émerge périodiquement la volonté de créer un véritable musée qui aurait pour noyau le dépôt lapidaire. En 1979, le recensement des dépôts lapidaires des cathédrales a ravivé ou fait naître divers projets, à Saint-Denis comme à Chartres, Sens, Tours ou Nevers, mais les tentatives se sont essoufflées. »
Une dynamique nouvelle
Les centres d’interprétation récemment ouverts au pied des cathédrales du Puy-en-Velay et d’Amiens n’accordent aux édifices qu’une place modeste. En revanche, à Metz, l’association de l’Œuvre de la cathédrale fondée en 1885 envisage actuellement de créer un centre d’accueil et d’information à l’intérieur même de l’église, de réaménager la crypte et le trésor, et de « collecter et conserver tous les objets, dessins, illustrations, photographies, plans, écrits3 ». À Marseille, ce n’est pas la cathédrale de La Major mais l’emblématique Notre-Dame- de-la-Garde qui bénéficie d’un musée dédié, rouvert l’an dernier et faisant dialoguer sur 300 m2 archives, maquettes et ex-voto. D’une ampleur tout autre, le Palais du Tau à Reims se prépare à ouvrir l’an prochain, sous la houlette du CMN, un spectaculaire « musée des sacres » autour du trésor et du dépôt lapidaire de la cathédrale, de textiles et d’objets liés aux sacres, de tapisseries et de broderies liturgiques.
Musei dell’Opera del Duomo : l’exemple italien ?
Quelques institutions mettent en lumière le patrimoine des cathédrales à travers l’Europe (Allemagne, Belgique, Espagne), mais la quête de véritables « musées de l’Œuvre » nous entraîne en Italie. À Florence, Milan, Sienne, Pérouse, Pise ou Prato, ces prestigieux musées sont presque toujours abrités dans les locaux des fabriques (opera del Duomo) dont ils conservent les fonds. Leurs extraordinaires collections abondent en sculptures, peintures, tapisseries, maquettes, pièces d’orfèvrerie et autres joyaux, tels que les quelque 700 modelli conservés par le musée milanais ou les originaux des célèbres portes du baptistère de Florence réalisées par Andrea Pisano et Lorenzo Ghiberti. L’histoire de la péninsule explique l’importance de ces fonds, car malgré les vagues de nationalisation des biens des congrégations au XIXe siècle, les cathédrales sont restées la propriété du clergé.
1 Mentionnons le musée de l’Œuvre Viollet-le-Duc de la basilique de Vézelay, d’ampleur modeste, qui pourrait être prochainement transformé en centre d’interprétation par la municipalité.
2 Cécile Dupeux, Le musée de l’Œuvre Notre-Dame. Arts du Moyen Âge et de la Renaissance, Strasbourg, musées de Strasbourg, 2013.
3 Philippe Hiegel, Metz, La grâce d’une cathédrale, éditions La nuée bleue, 2022.
Myriam Escard-Bugat
Retrouvez les épisodes précédents de notre série « La renaissance de Notre-Dame de Paris » :
Épisode I : une année riche en événements
Épisode II : cinq ans de polémiques
Dossier à retrouver dans :
L’Objet d’Art n° 608
Notre-Dame, vers un musée de l’Œuvre ?
98 p., 11 €.
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Retrouvez toutes les informations sur : www.rebatirnotredamedeparis.fr