Fruit de trente années de passion, la sélection d’œuvres mise à l’encan chez Ader les 21 et 23 mars derniers par les galeristes Talabardon et Gautier n’a pas manqué de séduire les amateurs : 91 % des lots proposés ont ainsi été adjugés pour un montant global de près de 5,8 millions d’euros, soit le double de l’estimation initiale. « L’ambiance des grands jours ! », confie l’expert Éric Turquin. Une ambiance rendue plus festive encore par l’intérêt marqué du monde des musées français qui exercèrent à 14 reprises leur droit de préemption. Tour d’horizon.
Un 45e Ingres pour Montauban
En culminant à 198 400 € (frais inclus), le très remarqué Condottiere peint par Ingres, anciennement présent dans la collection Wildenstein, s’est imposé comme la plus belle enchère de la première vacation. Il s’agit d’une étude préparatoire pour l’un des personnages de L’Entrée à Paris du Dauphin, futur Charles V (Hartford, Wadsworth Atheneum), composition caractéristique du style troubadour que le peintre exécute à l’aube des années 1820, durant son séjour toscan, pour le comte Amédée-David de Pastoret. Ce portrait viril prendra désormais la route de Montauban, à la faveur de sa préemption par le musée Ingres Bourdelle, où il rejoint une série de toiles et dessins réalisés dans la péninsule. Il devient la 45e peinture de l’artiste à intégrer ses collections, 33 ans après la dernière acquisition d’une œuvre du maître.
Préemptions royales et impériales
Pour 40 960 €, le musée de Pau s’est judicieusement porté acquéreur d’une belle esquisse peinte par le Baron Gérard, toile inachevée d’une fougue admirable représentant le cheval situé au centre de sa monumentale Entrée d’Henri IV à Paris le 22 mars 1594, commandée par Louis XVIII en 1814 et aujourd’hui exposée dans la galerie des Batailles à Versailles. Le château de Versailles a de son côté fixé son choix sur le buste en marbre d’Étienne Vincent de Margnolas (44 800 €), l’un des plus hauts magistrats de l’Empire ; cette œuvre résolument néoclassique de Giacomo Spalla est datée de 1808, date à laquelle l’artiste piémontais vient d’être nommé sculpteur de Napoléon Ier et directeur du musée impérial de Sculpture de Turin. Une autre personnalité du Premier Empire a attiré l’attention du musée Napoléon de Fontainebleau, il s’agit de Nicolas-Charles Oudinot que Robert Lefèvre immortalise en 1810 tenant le bâton de maréchal remis par Napoléon (12 800 €).
Quand Degas copiait Michel-Ange
Si le musée du Louvre a préempté le buste du fringant Alexandre Dumas âgé d’une vingtaine d’années, signé par Jacques Auguste Fauginet et exposé au Salon de 1831 (57 600 €), il a acquis pour le même montant un superbe dessin d’Edgar Degas d’après L’Esclave de Michel-Ange, l’une des nombreuses copies que l’artiste a réalisées d’après les grands maîtres entre les murs mêmes de l’institution parisienne.
Orsay barricadé
Il est vrai que la sélection d’arts graphiques offerte au feu des enchères était tout particulièrement remarquable. Le musée d’Orsay ne s’y est pas trompé en faisant valoir son droit de préemption pour acquérir deux gravures, deux dessins préparatoires et une huile de Louis-Adolphe Hervier sur le thème de la barricade en juin 1848 à Paris (les trois lots 15 104 €). Encore fort méconnu, ce singulier peintre et graveur parisien qui s’est plus souvent adonné au genre du paysage qu’à celui de l’Histoire, saisit ici avec réalisme le drame humain qu’il a observé sur le vif, se distinguant des triomphales visions allégoriques conçues par la plupart de ses confrères.
Un dessin pour Ajaccio
La maison Bonaparte à Ajaccio s’est quant à elle enrichie d’un dessin de Carle Vernet immortalisant la délivrance de la Corse, le 29 Vendémiaire An 5 (3 840 €), étude préparatoire à l’une des eaux-fortes publiées en 1806 pour commémorer les campagnes d’Italie. Précisons pour finir qu’avec 5,765 M€, le produit total des ventes dépasse largement l’estimation globale, un succès qui devrait permettre à la galerie de prendre un nouveau départ.
Raphaël Buisson-Rozensztrauch