Alors que le musée de l’Armée poursuit sa mue, son directeur le général Henry de Medlege et sa nouvelle directrice de la conservation, Sylvie Leluc, font un point d’étape pour L’Objet d’Art.
Propos recueillis par Nathalie d’Alincourt.
L’ambitieux projet MINERVE, qui a été annoncé en mai 2022, a pour but d’agrandir et de transformer le musée. La phase 1 de son déploiement s’achèvera cette année, en quoi consiste-t-elle ?
Général de Medlege. La première phase du projet MINERVE comprend tout d’abord une reconfiguration des espaces d’accueil. Nous souhaitons en effet un accueil du public beaucoup plus accrocheur : il a été baptisé « accueil en campagne ». Aujourd’hui, le public pénètre dans l’enceinte des Invalides, déambule dans les espaces extérieurs mais ne monte pas nécessairement visiter les collections et admirer le tombeau de l’Empereur. Plus de trois millions de visiteurs se font photographier dans la Cour d’honneur, centre de gravité du monument. Mais seulement un peu plus d’un million poursuit vers les collections permanentes, auxquelles on accède au sud par la place Vauban, à proximité du Dôme, et au nord par l’esplanade des Invalides, au 129 de la rue de Grenelle. Cet accueil en campagne est beaucoup plus offensif et le sas abritant la billetterie sera au plus près des œuvres.
À l’horizon 2030, quatre nouveaux parcours de visite verront le jour. Le premier d’entre eux, « L’Hôtel des Invalides : entre histoire et mémoires », sera inauguré cette année. Que proposera-t-il ?
G. de M. D’après les études réalisées, l’histoire du site est plébiscitée par nos visiteurs. L’hôtel national des Invalides, fondé en 1674 par le roi Louis XIV pour y accueillir ses soldats blessés ou âgés, sera évoqué à travers des œuvres emblématiques et parfois monumentales, au fil d’une médiation nouvelle au début et à la fin de la déambulation, de la monarchie à l’Empire et jusqu’à la période actuelle. Nous espérons inaugurer fin juin ce premier parcours permanent de 400 m2 au rez-de-chaussée. On y retrouvera des objets phares, à l’instar du fameux plan relief de l’hôtel des Invalides, datant du XVIIe siècle, qui avait bénéficié d’une souscription pour sa restauration. Une modélisation 3D enrichira sa présentation en mettant l’accent sur plusieurs points remarquables, avec tout un jeu de lumières. On pourra admirer aussi le magnifique carton de tapisserie commandé à Pierre Dulin (1669-1748), L’établissement de l’Hôtel royal des Invalides, achevé en 1715, qui témoigne de l’attachement de Louis XIV envers cette institution charitable. Salué par la trompette de la Renommée, on y voit le marquis de Louvois, Secrétaire d’État à la Guerre, présentant au Roi et au Dauphin un plan soutenu par les figures allégoriques de Minerve et de l’Architecture, tandis qu’une Victoire ailée guide un groupe de soldats invalides. Ce tableau a bénéficié d’une restauration fondamentale sous le Dôme entre 2020 et 2021. En guise d’introduction, dans la salle Vauban, ancien réfectoire des pensionnaires qui a conservé son somptueux décor peint, un dispositif immersif déploie une spectaculaire vue à 360° des Invalides, tandis qu’une animation met en avant les grandes dates clefs de l’histoire du monument, souvent confondues avec celles de l’Histoire de France.
Au sein de ce parcours permanent, un espace sera dédié aux « éditorialisations » permettant d’explorer des thèmes en lien avec vos collections…
Sylvie Leluc. En effet, depuis trois ans, dans le cadre du projet scientifique et culturel du musée de l’Armée, en plus des grandes expositions temporaires, nous avons mis en place des expositions éditorialisées qui permettent de mettre en exergue des thèmes spécifiques, voire de commémorer ou célébrer des événements oubliés. Ces expositions dossiers sont parfois intégrées dans les parcours permanents, comme ce fut le cas pour Jean Delpech (1916-1988), dessinateur, graveur et peintre dont nous possédons le fonds de plus de 800 œuvres. Le musée de l’Armée a bénéficié du soutien de la Fondation Getty « Paper project » pour étudier et valoriser ce fonds. L’étude scientifique réalisée par les équipes du département Beaux-Arts et Patrimoine a donné lieu à la publication d’un ouvrage de référence, sous le regard de l’un des élèves de Jean Delpech, Érik Desmazières, qui nous a fait l’honneur de créer une gravure ; celle-ci a été intégrée à une cinquantaine d’exemplaires. Nous aimerions que ce soit le premier d’une série sur nos collections d’arts graphiques encore méconnues. Dans le nouveau parcours permanent, une salle sera spécialement dédiée aux éditorialisations, la première d’entre elles, du 18 juin 2024 au 19 mai 2025, décryptera, à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques, les liens profonds qui unissent l’institution militaire et le domaine sportif. En effet, une grande partie des médailles décernées aux Jeux olympiques est obtenue par des sportifs issus du Centre national des sports de la défense (CNSD), une formation experte de la Défense qui accueille des champions comme Tony Estanguet. Lors des Jeux de Tokyo de 2020, 40 % des médaillés étaient des sportifs de haut niveau, sponsorisés et entraînés dans le milieu de la Défense. Cette présentation sera aussi l’occasion de mettre l’accent sur les Jeux paralympiques afin de montrer comment les militaires parviennent à se reconstruire à travers le sport ; certains sont même devenus de grands champions, comme Alain Mimoun, entré dans la légende du marathon aux Jeux de Melbourne, alors qu’il avait failli perdre une jambe pendant la Seconde Guerre mondiale. Nombre de nos jeunes soldats blessés en opérations extérieures se reconstruisent ici à l’Institution Nationale des Invalides. Il nous semblait donc intéressant de leur rendre hommage en cette année olympique à travers cette éditorialisation. Cette présentation patrimoniale sera accompagnée d’un catalogue enrichi d’essais de médecins militaires. En 2025, nous évoquerons le travail de notre première artiste en résidence photographique au musée de l’Armée, Anne-Lise Broyer, qui a été accueillie tout au long de l’année 2023.
Comment se poursuivra le projet MINERVE ? Quels seront les thèmes des trois parcours suivants ?
G. de M. Les trois prochains parcours seront dévolus aux : « Forces armées et engagements militaires de la France », à « l’Après 1945 : de la Guerre froide à nos jours » et à la «Colonisation, décolonisation : une histoire en partage ». Avec ces quatre parcours supplémentaires, la nouvelle expérience de visite et le déplacement de l’accueil, le musée de l’Armée aura fait un pas en avant supplémentaire dans sa modernisation depuis ATHENA.
En avril sera inaugurée la grande exposition « Duels. L’art du combat ». Pouvez-vous l’évoquer ?
S.L. C’est un très beau projet avec lequel nous espérons surprendre nos visiteurs. Nous avons obtenu le prêt de plusieurs chefs-d’œuvre. Avec cette exposition, le musée de l’Armée revient aux sources historiques du duel pour en explorer les grands principes et les évolutions, jusqu’aux fantasmes de notre imaginaire collectif. Présentée pendant les Jeux olympiques, elle sera comme un clin d’œil aux épreuves d’escrime qui se dérouleront au Grand Palais de l’autre côté de la Seine. Nous préparons ensuite pour 2025 une exposition d’envergure sur le thème de la France libre et des artistes, « Combattre, penser, créer, les artistes de la France libre », qui mettra en valeur le grand mobile à la Croix de Lorraine dit France Forever d’Alexander Calder, récemment acquis.
Ces différents projets d’expositions mobilisent bien sûr la conservation ; qu’en est-il de votre politique d’acquisitions ?
S.L. Nous avons réalisé une très belle acquisition à la veille de Noël dans une vente aux enchères, à Vienne, en Autriche. Il s’agit d’un drapeau de demi-brigade de 1797, une pièce tout à fait exceptionnelle, dans un état de conservation extraordinaire. Il préfigure par sa symbolique tous les drapeaux futurs de la République. On y voit déjà le tricolore : c’est le père des drapeaux français.
En décembre 2023 a été publié le numéro 1 de la Revue du Musée de l’Armée coéditée par les Éditions Faton…
S.L. Il s’agit d’une revue scientifique et luxueuse avec un numéro par an, vendue 22 €. Nous manquions d’une telle publication qui s’adresse aux passionnés, aux historiens, aux chercheurs, aux conservateurs. Elle fait le bilan des acquisitions, des restaurations, évoque la vie du musée… L’Écho du Dôme, notre bulletin semestriel, s’adresse lui plutôt au grand public.
Le musée de l’Armée a saisi l’occasion de la sortie du film Napoléon de Ridley Scott pour mettre tout particulièrement en avant ses collections Empire, notamment par la multiplication de publications sur X (ex-Twitter).
G. de M. Nous avons même posé une quinzaine de cartels dans les salles avec des photos extraites du film, afin que le public puisse confronter les uniformes portés par les acteurs avec ceux que nous exposons. Au moment de la sortie du film, notre équipe de communication a demandé à notre collègue responsable du département XIXe siècle, Émilie Robbe, de décrypter la bande-annonce afin de faire la part des choses entre les faits historiques et ceux inventés. Nous avons eu plus d’un million de vues sur YouTube, un record !
À lire :
Revue du musée de l’Armée n° 1
Le portrait de la comtesse de Lasalle
96 p., 22 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.com