Antique ne rime pas toujours avec homérique. Estimé entre 4 et 6 millions d’euros et adjugé 4,6 millions d’euros au marteau le 22 novembre dernier, le si séduisant Sacrifice au Minotaure de Fragonard que proposait Artcurial ne rejoindra pas au Louvre Renaud dans les jardins d’Armide, dont la facture est pourtant si proche : il a été emporté par un collectionneur américain. C’est également le cas d’une très gourmande nature morte aux pêches, abricots et prunes de Louyse Moillon, trouvée chez un brocanteur de Beaune en 1975 et adjugée 656 000 € (frais inclus). Un mois avant Noël, plusieurs institutions se sont également manifestées durant la vacation afin d’enrichir leurs collections : le Nationalmuseum de Stockholm s’est ainsi offert pour 196 800 € (frais inclus) le ravissant Triomphe de Flore de Jean-Jacques Le Barbier (1738-1826) qui fit partie des collections de Nicolas Beaujon à l’hôtel d’Évreux, actuel palais de l’Élysée, tandis que le Palais des Beaux-Arts de Lille a acquis pour 7 872 € (frais inclus), grâce à sa société d’amis, le dessin préparatoire à La Remise des clés à saint Pierre de Charles de La Fosse (1636-1716) que conserve le musée. La vente a par ailleurs donné lieu à plusieurs préemptions.
Une muse en route pour Dijon
Correspondant à la description qu’en donne l’Iconologia de Cesare Ripa, cette sculpturale Euterpe, muse de la Musique, ornait avec trois de ses sœurs les murs de la Chambre des Muses du château de la Motte-Ternant (Côte d’Or). Leur auteur n’est pas mentionné dans l’inventaire de l’époque, mais l’on considère aujourd’hui comme certaine leur attribution au Dijonnais Philippe Quantin (vers 1600-1636), peintre encore mal connu qui œuvra pour des églises et exécuta plusieurs décors pour des châteaux bourguignons. Les œuvres sont acquises au XIXe siècle par le prince de Beauvau et gagnent les murs du château de Thoisy-la-Berchère, avant d’être dispersées au siècle suivant. Le musée des Beaux-Arts de Dijon avait acquis en vente publique dès 1977 la toile correspondant à la muse Uranie et une deuxième dont l’identité demeure incertaine. L’institution bourguignonne a donc judicieusement exercé son droit de préemption afin de s’offrir cette Euterpe pour 36 736 € (frais inclus).
Les terres de Colbert vues du ciel pour le musée du Grand Siècle
La Bourgogne était décidément à l’honneur puisque quelques minutes plus tard était soumise au feu des enchères une grande vue cavalière représentant le château et le village de Seignelay (Yonne). Acquises par Jean-Baptiste Colbert en 1657, qui y conduit de vastes travaux et l’agrandit, la seigneurie est immortalisée par Adam van der Meulen (1632-1690), une toile qui disparaît après la mort des fils du ministre. Le tableau présenté chez Artcurial est possiblement une reprise de cette composition par un peintre flamand. Il n’a pas échappé au musée du Grand Siècle qui l’a préempté pour 91 840 €.
Le musée Fabre jette son dévolu sur une toile de Gleyre
Symbolisant à merveille l’académisme pictural hérité d’Hersent et d’Ingres auquel resta fidèle l’artiste, cette belle composition de Charles Gleyre (1806-1874), narre l’épisode biblique de l’histoire de Ruth. Il était initialement présenté avec son pendant, Ulysse et Nausicaa, passé en vente chez Sotheby’s en 2018. Inédite sur le marché, cette toile a été préemptée pour 98 400 € (frais inclus) par le musée Fabre. L’institution montpelliéraine complète ainsi judicieusement ses collections qui ne conservaient jusqu’à présent qu’un portrait.
Olivier Paze-Mazzi