Quelque 270 galeries originaires de 22 pays ont convergé cette année encore vers Maastricht afin de célébrer la 37e édition du rendez-vous annuel le plus prestigieux du marché de l’art international. La très prisée section Showcase, qui depuis 2008 met en lumière de prometteurs talents émergents, a cette année sélectionné 10 exposants ayant entre 3 et 10 ans d’existence : galerie Louis & Sack (France) ; Thomas Deprez Fine Arts, Pelgrims de Bigard, Edouard Simoens Gallery (Belgique) ; Cavagnis Lacerenza Fine Art, Tommaso Calabro, Reve Art (Italie) ; Dürst Britt & Mayhew (Pays-Bas) ; Flavio Gianassi – FG Fine Art (Royaume-Uni) ; Olszewski | Ciacek (Pologne). Gageons que dans quelques années ils entreront à la TEFAF par la grande porte. En 2024, le salon innove en lançant la TEFAF Focus : elle propose à différentes galeries de donner à voir, au fil des siècles, l’œuvre d’artistes ou de concepts précurseurs. Sur les 10 participants, on dénombre 5 galeries françaises : Ceysson & Bénétière, Mitterrand, Pascal Lansberg, Ketabi Bourdet et Pauline Pavec. Comme à l’accoutumée, la peinture est reine dans les allées du salon : après avoir consacré un premier focus au sublime Subleyras dévoilé chez Benappi Fine Art, sans doute le dernier de cette importance encore en mains privées, L’Objet d’Art vous propose de découvrir sa sélection de peintures incontournables.
Madeleine de France, reine d’un été
« Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin… » Les vers de François de Malherbe à son ami Du Périer pour le consoler de la mort de sa fille auraient pu s’appliquer à la brève destinée de Madeleine de France (1520-1537), cinquième enfant et troisième fille de François 1er. Venu à la cour de France pour épouser Marie de Bourbon-Vendôme, qui lui avait été promise par le traité de Rouen (1517), le roi d’Écosse Jacques V (1512-1542) tomba amoureux de Madeleine – un coup de foudre partagé par la jeune femme. François 1er accepta alors de lui donner la main de sa fille préférée, non sans réticence car la petite princesse était déjà atteinte de tuberculose. Le mariage fut célébré à Notre-Dame de Paris le 1er janvier 1537, et le couple royal arriva en Écosse le 19 mai suivant. La santé de la princesse se détériora rapidement et elle mourut le 7 juillet de la même année, à l’âge de 17 ans – ce qui lui valut son surnom de « James’ Summer Queen ». Plusieurs versions de ce portrait existent, mais la qualité et la délicatesse du petit panneau de la Weiss Gallery semblent indiquer qu’il s’agirait ici de l’original de Corneille de Lyon (vers 1500-1575) et non de variantes ultérieures d’atelier ; la réflectographie infrarouge a, en outre, révélé la présence d’un dessin sous-jacent librement exécuté, corroborant l’idée d’une peinture exécutée d’après un modèle vivant. J.F.
Touchante icône de la Renaissance
Le portrait de cette petite fille atteinte d’hypertrichose, une rare maladie génétique provoquant une importante pilosité faciale, avait fait sensation en juin dernier chez Rouillac en culminant à 1 550 000 € (frais inclus), soit près de treize fois son estimation haute. On déplorait alors l’absence d’intérêt manifesté par le Louvre. La toile resurgit à Maastricht sur le stand de la Rob Smeets Gallery de Genève, désormais proposée à 4,5 millions d’euros. Elle figure la jeune Antonietta Gonsalvus, alors âgée d’une dizaine d’années, qui grandit à la cour de Catherine de Médicis avant de se rendre à celle de Parme. Originaire des îles Canaries et atteint de la même maladie, son père avait été offert à Henri II à l’occasion de son sacre en 1547. Il se maria en 1559 avec une certaine Catherine Raffelin, une union qui aurait inspiré l’histoire de La Belle et la Bête. Une célèbre version de cette œuvre, également de la main de Lavinia Fontana (1552-1614), élève de Sophonisba Anguissola, orne les cimaises du château de Blois. L’artiste débuta sa carrière à Bologne avant de remporter un vif succès dans le domaine du portrait, notamment à Rome, où elle passa les dernières années de sa vie. Ce tableau fit précédemment partie des collections du docteur Edgar Bérillon, auteur d’une étude psychologique et sociologique sur les femmes à barbe (1905). Prix demandé : 4,5 millions d’euros. O.P.-M.
Dans la lumière du Sud d’un peintre du Nord
« Un seul des tableaux de ce brillant artiste peut tenir lieu […] d’un cours complet de pratique », écrivait en 1752 Jean-Baptiste Oudry à propos de l’exceptionnelle maîtrise de l’art du paysage atteinte, un siècle plus tôt, par le peintre néerlandais Nicolaes Berchem (1620-1683) ; une appréciation confirmée quelques années plus tard sous la plume du naturaliste, collectionneur et historien d’art Antoine Joseph Dezallier d’Argenville : « rien n’est plus recherché aujourd’hui que les tableaux de Nicolaes Berchem ». La haute estime dans laquelle le siècle des Lumières tenait son art explique la présence de cette remarquable Enfance de Jupiter, proposée par la galerie Adam Williams Fine Art, au sein de la collection du peintre Joseph Aved (1702-1766), membre de l’Académie et fidèle ami de Chardin. Fils du maître de la nature morte Pieter Claesz (1597-1661), Berchem forge sa notoriété par la peinture de paysages idylliques, baignés de lumière méditerranéenne après un séjour déterminant en Italie. Mettant en scène l’enfance du jeune Jupiter recueilli par la chèvre Amalthée, cette composition est datable du milieu de la décennie 1660, correspondant à l’apothéose de la carrière de l’artiste. S’imposant désormais par leur taille sur le paysage, les personnages séduisent par le raffinement maniériste de leurs corps, la grâce de leurs traits et la beauté des étoffes qui les drapent. Colonnes, urnes, statue et rideau complètent la composition, lui conférant l’aspect d’un décor de théâtre. On admirera la grâce de certains détails – les trois fleurs tombant du nuage – ainsi que le soin accordé par l’artiste à sa signature, preuve manifeste de sa satisfaction. Prix demandé : 365 000 euros. O.P.-M.
Un somptueux Jean-François de Troy
Fils du peintre François de Troy (1645-1730), dont il fut l’élève, Jean-François de Troy (1679-1752) séjourna en Italie de 1699 à 1706 où il fut particulièrement impressionné par l’art des grands coloristes vénitiens. Reçu à l’Académie en 1708 avec Apollon et Diane perçant de leurs flèches les enfants de Niobé (Montpellier, musée Fabre), il s’affirma tout au long de sa carrière comme un peintre d’histoire. Avant sa redécouverte dans une collection italienne, cette Judith et Holopherne apparue en novembre dernier sur le marché de l’art et désormais exposée par la galerie Aaron n’était connue que par deux mentions : sa vente chez un certain Bossu, rue Saint-Denis à Paris, en 1782, avec deux autres compositions du même format, Esther et Assuérus et Samson et Dalila, puis son passage en vente publique à l’hôtel de Bullion, ancêtre de l’hôtel Drouot, le 30 novembre de la même année. Elle illustre un thème cher aux peintres baroques, celui de la riche veuve de Béthulie qui, pour sauver sa ville assiégée par les troupes assyriennes de Nabuchodonosor II (605-562 av. J.-C.), trancha la tête de son général Holopherne, après l’avoir séduit et enivré. Mais loin de montrer l’horreur de la décapitation, à l’instar d’un Caravage ou d’une Artemisia Gentileschi, de Troy tempère la violence du drame et joue sur les effets décoratifs. Dans une composition pyramidale, de virtuoses effets de draperies viennent à la fois théâtraliser la scène et occulter toute trace de sang de la vue du spectateur, tandis que dans le clair-obscur des visages se lit la complicité admirative de la fidèle servante et l’implacable détermination de sa maîtresse. Prix demandé : 450 000 euros. J.F.
Quand la peinture moque la photographie
« Les tableaux de M. Schlesinger attirent tous les regards : celui de la Ressemblance garantie est en effet une délicieuse création ; il règne dans cette peinture une gaieté, un brillant, une fraîcheur de ton vraiment séduisante », s’enthousiasmait le peintre Simon Horsin-Déon (1812-1882) dans sa recension du Salon de 1853. Présenté par la galerie londonienne Dickinson, cet étonnant panneau récemment rendu à Henri-Guillaume Schlesinger (1814-1893) met en scène un jeune garçon passant sa tête hilare à travers une toile. La mention manuscrite « Ressemblance garantie » apposée sur celle-ci fait référence à l’argument commercial mis en avant par les photographes portraitistes dont le marché est alors en pleine expansion. L’objectivité supposée de leur science était alors ostensiblement opposée à la subjectivité de la peinture. Prenant le parti de cette dernière, l’artiste taquine le concept de mimêsis en nous montrant un artiste, pinceau en main, imitant une photographie à travers une toile, qui elle-même n’est pas réelle puisque ce trompe-l’œil est exécuté sur panneau ! Prix demandé : 120 000 euros. O.P.-M.
Très cher Kandinsky
Chef-d’œuvre du Van Abbemuseum d’Eindhoven (Pays-Bas), jusqu’à sa restitution en 2022 aux héritiers de la famille Stern de Berlin qui en avait été spoliée durant la Seconde Guerre mondiale, ce beau Kandinsky faisait irruption il y a tout juste un an sur le marché : proposé chez Sotheby’s à Londres, il avait affolé les enchères jusqu’à près de 42 millions d’euros, offrant à l’artiste un record mondial en salle des ventes. Il refait cette année surface à Maastricht, présenté en majesté et immédiatement admiré sur le stand de la galerie canadienne Landau Fine Art. On ignore le prix demandé, mais Robert Landau déclarait il y a peu à l’AFP que l’œuvre avait récemment fait l’objet d’une estimation de près de « 100 millions d’euros ». Exécuté en 1910, année de la percée de l’artiste vers l’expressionnisme abstrait, ce paysage donne à voir les montagnes environnant la résidence estivale de Kandinsky à Murnau, près de Munich : à travers elles, ce sont les expériences intérieures de l’artiste qui s’expriment. O.P.-M.
Jeanne Faton et Olivier Paze-Mazzi
37e édition de la TEFAF Maastricht
Jusqu’au 14 mars 2024 au MECC
Forum 100, 6229 GV Maastricht, Pays-Bas
www.tefaf.com