Les grandes ventes orchestrées à New York par Christie’s et Sotheby’s suscitent – hélas – rarement l’intérêt des musées français. L’annonce majeure faite directement par Christophe Leribault, président du musée d’Orsay, sur son compte Instagram, constitue donc un événement : la coupe Hope, véritable star de l’Exposition universelle de 1855, vient d’être acquise le 2 février dernier chez Sotheby’s pour 2 117 000 $ (frais inclus). Chef-d’œuvre absolu du romantisme signé Jean-Valentin Morel, cette création unique dans l’art lapidaire du XIXe siècle s’inspire des gemmes de la Couronne de France ainsi que des précieuses collections de pierres dures montées qui fleurirent aux XVIe et XVIIe siècles.
L’art raffiné de Jean-Valentin Morel (1794-1860) est décidément plébiscité par les musées français : en 2022, le MAD Paris s’offrait pour 75 600 € (frais inclus) un important service à thé de provenance royale parmi les trésors des collections Al Thani rassemblées à l’hôtel Lambert. La coupe Hope qui entre aujourd’hui à Orsay occupe cependant une place particulière dans la carrière de l’orfèvre joaillier : il s’agit incontestablement de son plus grand chef-d’œuvre.
Une mythologie de jaspe, d’or et d’émail
Ajustant sa lance d’une main et arborant de l’autre l’égide, bouclier d’Athéna orné du gorgóneion, le héros Persée, juché sur Pégase, s’apprête à terrasser l’ignoble monstre marin qui retient captive Andromède. Enchaînée au centre de la composition, contre un rocher taillé dans le jaspe, la princesse attend sa délivrance, entourée d’un foisonnant parterre végétal en or repoussé et émaillé. Sur le pied de la coupe tournoient les six Néréides jalouses, responsables de la captivité de la jeune fille, dont la mère Cassiopée avait bien imprudemment vanté la beauté. Couvert d’un cartouche en or émaillé, le bec de la coupe arbore en guise de figure de proue une imposante tête de Méduse en jaspe à la chevelure d’or émaillé, une représentation que l’on retrouve brandie par le Persée figuré en pendant d’Andromède de l’autre côté de la coupe. Perchés sur les bords de celle-ci, deux génies tiennent des globes fendus et des phylactères évoquant les armes et la devise du commanditaire de l’œuvre : Henry Thomas Hope (1808-1862).
Triomphe aux Expositions universelles
C’est en effet au député et homme d’affaires britannique que l’on doit la commande de cette œuvre spectaculaire, vraisemblablement après la toute première Exposition universelle organisée à Londres en 1851. Alors membre du jury de la spécialité joaillerie, Hope a sans doute pu y admirer le travail de Jean-Valentin Morel, largement plébiscité par de nombreux amateurs ainsi que par le Museum of ornamental art. Exposé quatre ans plus tard à l’Exposition universelle de Paris, ce chef-d’œuvre de l’art lapidaire, haut de 65 centimètres et pesant 16 kilos, suscite l’enthousiasme des critiques et offre à l’orfèvre joaillier, alors au sommet de sa carrière, la grande médaille d’honneur.
Jean-Valentin Morel, gloire de la génération romantique
Fils d’un lapidaire qui l’initie à l’art exigeant de la taille de pierres dures, Jean-Valentin Morel se forme à l’orfèvrerie avec Adrien Vachette (1753-1839), dont les nombreuses boîtes ciselées en or, notamment pour l’Empereur, firent la réputation. Installé à son compte dès 1827, Morel se retrouve bientôt à la tête d’un commerce florissant réunissant plusieurs dizaines d’employés. En 1842, il s’associe au décorateur et orfèvre Henri Duponchel (1794-1868) et remporte deux ans plus tard une médaille d’or à l’Exposition des produits de l’industrie française. Des dissensions éclatent bientôt entre eux, suivies d’un procès : en 1848, Morel quitte Paris pour Londres, sous le coup d’une interdiction d’exercer. Il ne rentre en France qu’en 1852 et s’installe à Sèvres : c’est là qu’il réalise la plus grande partie du travail sur la coupe Hope qui au total dura trois ans.
Un admirable travail d’équipe
Incontestable maître d’œuvre, Jean-Valentin Morel livre ici un véritable travail d’équipe. S’il est l’auteur de l’extraordinaire sculpture du jaspe sanguin, réputé particulièrement difficile à manier, et peut-être le travail sur le repoussé, il faut ainsi rendre à Louis-Constant Sévin (1821-1888) le dessin du modèle de la coupe, comme en témoigne une aquarelle vraisemblablement de sa main aujourd’hui conservée chez Chaumet, héritière de la maison Morel par le mariage de la petite-fille de l’orfèvre avec Joseph Chaumet. Pierre-Alexandre Schoenewerk (1820-1885) est, peut-être avec Albert Willms, l’auteur des sculptures de la monture, tandis que l’on doit au graveur en pierre fines Jean-Baptiste Salmson (1799-1859) le camée figurant le masque de Méduse. Un peintre à la manufacture de Sèvres est de son côté l’auteur des émaux.
Olivier Paze-Mazzi