
Hôtel d’Évreux, 18 novembre 2015. Un exceptionnel bureau livré par Oppenordt pour le Petit Cabinet du roi Louis XIV est la vedette de la dispersion par maître Fraysse de la collection du fondateur des laboratoires Servier. Préempté pour 1 497 200 € (frais inclus) par le château de Versailles, ce meuble insigne qui avait été transformé en bureau de pente au XIXe siècle vient enfin de retrouver son aspect initial à l’issue d’une spectaculaire restauration.
Ébéniste ordinaire du roi depuis 1684, Alexandre-Jean Oppenordt (1639-1715) livre à Versailles dès l’année suivante une paire de bureaux brisés destinés au Petit Cabinet du roi aménagé derrière la Grande Galerie, également connu sous le nom de Cabinet où le roi écrit. Alors en vogue, ce modèle est dit « brisé » en raison de son plateau de marqueterie en deux parties capable de s’ouvrir par le milieu. Vraisemblablement exécutée d’après un dessin de Jean Ier Berain (1640-1711), sa flamboyante composition faite de rinceaux et de volutes entrelacées s’organise autour du monogramme royal surmonté d’une couronne au-dessus de laquelle rayonne un soleil. Ce délicat décor fait de marqueterie d’écaille de tortue teintée en rouge écarlate et de laiton est exécuté « en première partie » sur le bureau où domine l’écaille, et « en contrepartie » sur celui où le laiton est majoritaire.
De Versailles à New York
À l’avènement de Louis XV, les meubles de son arrière-grand-père sont déjà singulièrement démodés. La paire quitte donc son royal écrin pour prendre le chemin du Garde-Meuble de la Couronne qui s’en sépare bientôt via une vente aux enchères orchestrée le 12 juillet 1751. Acquis par le marchand ébéniste Joubert, le bureau « en première partie » resurgira en 1984 chez Christie’s lors de la dispersion d’une collection texane. Acquis par la galerie Steinitz, il est vendu à Charles et Jayne Wrightsman qui en font don au Metropolitan Museum of Art de New York où il est exposé depuis 1986.

Témoin du « goût Rothschild »
Le destin de son jumeau « en contrepartie » sera plus mouvementé. Après avoir vraisemblablement quitté la France durant une période révolutionnaire peu favorable au mobilier royal, il se retrouve au siècle suivant dans les collections du baron Ferdinand de Rothschild (1839-1898), né à Paris, éduqué à Vienne et installé en Angleterre vers 1860. Comptant parmi les plus importants amateurs d’art de la seconde moitié du XIXe siècle, il fait bâtir par Hippolyte Destailleur (1822-1893) le désormais célèbre Waddesdon Manor qui servira d’écrin à ses collections. C’est certainement à cette époque que le bureau est remanié en bureau de pente à gradins, sans doute afin de correspondre aux usages du temps. Offert à la marquise de Rippon, amie du baron, ce meuble insigne passe ensuite en héritage à la fille de cette dernière avant de se retrouver sur le marché de l’art à la fin des années 1960.

Les enseignements d’une analyse minutieuse
Dès l’entrée du bureau dans les collections nationales en 2015 se pose la question de sa restauration. Deux années d’études et une observation minutieuse de son jumeau désormais américain ont été nécessaires afin de pouvoir trancher en faveur d’un retour à sa forme originelle de bureau brisé, un choix qui conduisait à revenir intégralement sur la transformation opérée du temps des Rothschild. Ces analyses préalables ont mis en évidence l’homogénéité des bois composant le meuble, à l’exception de ceux datant du XIXe siècle. Elles ont par ailleurs montré qu’une large part des caissons du gradin consistait en une réutilisation des tiroirs intérieurs du bureau brisé. Il a enfin été constaté que la marqueterie ornant le troisième niveau des tiroirs de face que présentait le meuble à l’origine avait été assez maladroitement découpée afin d’habiller les côtés du gradin.
Une restauration fondamentale
Conduite au C2RMF sous la direction de Frédéric Leblanc, restaurateur de la filière des Arts décoratifs, la transformation du meuble a consisté en un repositionnement à plat de la pente afin de reconstituer le plateau originellement séparé en deux parties. Entièrement déposées, les marqueteries d’écaille et de laiton ont été nettoyées afin de supprimer la colle époxy datant d’une précédente restauration vraisemblablement conduite au siècle dernier ; elles ont été repositionnées à l’aide de colle de poisson. Occupant 10 à 15 % du décor, les lacunes ont enfin été comblées à l’aide de pièces de marqueterie neuves découpées au laser d’après celles ornant le pendant américain du bureau.

En majesté dans le salon de l’Abondance
Après avoir été restauré dans sa forme initiale, le bureau a trouvé place hier dans le salon de l’Abondance ouvrant l’enfilade des Grands Appartements. Vestibule du cabinet des Médailles et des Raretés au temps de Louis XIV, il évoque aujourd’hui par le biais de son mobilier la splendeur de cette pièce mythique où le Roi-Soleil conservait ses trésors : le bureau y dialogue désormais avec les médaillers livrés par André-Charles Boulle et les commodes exécutées par le célèbre ébéniste pour la chambre du roi à Trianon. L’extrême rareté des meubles ayant incontestablement fait partie de l’aménagement du château sous le règne de Louis XIV rend cette réunion tout à fait exceptionnelle. Elle devrait pourtant s’enrichir encore dans les prochaines semaines grâce à la présentation de deux scabellons du Grand Dauphin livrés par André-Charles Boulle pour son fameux cabinet des Glaces, récemment acquis par Versailles chez Sotheby’s au sein de la vente de l’hôtel Lambert.

Olivier Paze-Mazzi