
C’est une succession de couches archéologiques insoupçonnées que vient de livrer le site de Bellegarde entre Nîmes et Avignon, dans le Gard. Fouillé pendant onze mois en 2016 par une équipe de l’Inrap puis minutieusement étudié, il a dévoilé un millier de structures allant du Paléolithique supérieur à l’époque moderne. C’est dans les couches les plus anciennes, à 7 mètres de profondeur, qu’ont surgi les plus belles surprises.
Des 25 hectares de parcelle ayant fait l’objet d’un diagnostic dans le cadre d’un projet d’extension d’un site d’enfouissement de déchets, 6 ont été fouillés. Sur cette vaste surface, 200 m2 ont été dévolus au Paléolithique, la plus ancienne période de la Préhistoire. Le Magdalénien (environ 20 000 à 14 000 avant notre ère), dernière période de ce long Paléolithique, y est particulièrement bien représentée, faisant du site, à terme, une référence régionale et nationale pour cette période. Cette dernière vit l’installation, à plusieurs reprises et sur des milliers d’années, de campements de chasseurs-cueilleurs attirés par la richesse du terroir (présence d’une source d’eau, de gisements de silex, de bois, d’argile ou de galets) et l’emplacement sans doute stratégique des lieux (passage du gibier). Or, première singularité de la fouille, ces campements en plein air sont rares en Languedoc.

Gravures du Paléolithique
Parmi les vestiges découverts figurent, outre de nombreuses pointes en silex taillées, des perles en coquillages présentant des traces d’usure (étaient-elles portées en pendentif ou cousues sur un vêtement ?) et surtout, exceptionnelles entre tous, deux plaquettes gravées de chevaux. Identifiées lors de la phase d’étude et de nettoyage (24 000 litres de sédiments ont été tamisés à l’eau… permettant de collecter de minuscules vestiges, armes, outils, ossements et charbons de bois), elles figurent, délicatement incisés dans le calcaire gréseux, des profils d’équidés avec leurs oreilles toutes droites (dites « en antennes » selon une convention que l’on retrouve aussi dans la grotte Cosquer ou à Lascaux), leurs naseaux, œil, crinière et ganache. Par qui et pourquoi ces « œuvres » tenant dans la paume d’une main ont-elles été réalisées ? Il est bien difficile de le savoir. Mais là encore le lieu de découverte et la date sont étonnants : le sud-est de la France actuelle n’a pas livré de semblables artefacts (ils sont plus fréquents dans le Bassin aquitain et les Pyrénées), et ces derniers ont plus souvent été mis au jour dans des grottes (et pas sur des sites de plein air, au cœur des espaces domestiques) ; enfin, la date du Magdalénien très ancien (dit aussi inférieur initial, autour de 20 000 avant notre ère) les font figurer parmi les plus anciennes œuvres connues pour cette culture du Paléolithique (elles seraient alors contemporaines des réalisations de Lascaux).

Mystérieuse dalle gravée
Du Magdalénien toujours (mais plus récent, moyen, vers 16 000-14 800 avant notre ère), une autre gravure, interprétée comme une vulve féminine, vient enrichir le corpus connu autour de ce motif iconographique. Cette représentation se détache cependant des autres par la présence de jambes (un seul autre exemple est connu sur une paroi de la grotte du Cazelle en Dordogne). De la même époque date une intrigante dalle gravée d’une cinquantaine de centimètres, sans doute fichée dans le sol (peu transportable, elle se serait brisée en chutant de sa hauteur). De fines incisions difficiles à interpréter y ont également été observées. Les relevés et études toujours en cours permettront d’en savoir plus dans les mois à venir. Mais là encore, cernée d’innombrables objets en silex taillé, la dalle se trouvait en contexte domestique.

Entre deux zones géoculturelles distinctes
Enfin, autre interrogation que soulève ce site (et pas des moindres quand on sait à quel point ces débats ont animé la recherche préhistorique) : le site se situe à l’interface entre deux zones géoculturelles très distinctes, séparées par la vallée du Rhône, avec à l’ouest la culture Magdalénienne, couvrant un vaste arc technique allant de la Cantabrie à la Pologne, et à l’est les Épigravettiens, sur les territoires actuels de l’Italie, des Balkans et des rivages de la mer Noire. Or les découvertes de Bellegarde (notamment les outils) viennent questionner cette sévère bipartition avec des éléments techniques et stylistiques qui seraient plus complexes et mélangés.

Du passé à interpréter
Quant à la période qui suit, le Néolithique, il n’est pas en reste de richesses. Le VIe millénaire avant notre ère a également révélé des vestiges de petits habitats saisonniers – et ce type de sites pour le Néolithique moyen est particulièrement rare dans le sud de la France. De nombreuses générations se sont succédé en ces lieux, creusant des fosses de stockages, servant ensuite de rejet pour les restes de faunes, de céramiques (à faciès dit cardial) et d’éléments d’architecture en terre crue brisés. Du Ve millénaire datent plusieurs sépultures dont une à crémation particulièrement bien dotée (vers 4250 avant notre ère) : céramiques, armatures en silex taillés et objet en bois (une coupelle en chêne ?) la propulsent parmi les plus belles de son époque.

De l’âge du Bronze à nos jours
Remontons le fil du temps. Le site a conservé la trace d’une présence à l’âge du Bronze (2100-500 avant notre ère), ce qui est, encore une fois, rare en Languedoc. L’occupation se fait toujours par intermittence, au fil des saisons et sur du très long terme, soulignant l’attractivité pérenne de cette région. Pendant l’Antiquité, des petites terrasses artificielles, agricoles, sont créées au moyen de haies et des vignes sont plantées. Un vaste fossé est aménagé en pied de la colline pour drainer l’eau. Deux fours de potiers (sans doute destinés à cuire des briques et des tuiles) ont été identifiés. L’espace est de plus en plus structuré et maîtrisé. Cette tendance perdure au Moyen Âge ; deux maisons (dont une comprenant une étable) ont été identifiées, témoins d’un habitat rural dispersé (mal connu dans la région et constituant à l’heure actuelle un unicum) sans doute à mettre en relation avec le tout proche prieuré Saint-Vincent. Au XVIe siècle, l’espace est planté de vergers, confirmant jusqu’à nos jours la vocation agricole de cette plaine. Le XXIe siècle a ajouté sa couche d’histoire avec l’enfouissement de ses déchets. Aux archéologues du futur de se questionner sur leurs identifications et usages…
Éléonore Fournié