Le média en ligne des Éditions Faton

Redécouvrir le Moyen Âge au musée de Cluny (2/2). Les fleurons de la collection

Devant d’autel de la cathédrale de Bâle (détail), 1ᵉʳ quart du XIᵉ siècle. Or et pierreries sur âme de chêne, 120 x 177,5 x 13 cm.

Devant d’autel de la cathédrale de Bâle (détail), 1ᵉʳ quart du XIᵉ siècle. Or et pierreries sur âme de chêne, 120 x 177,5 x 13 cm. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado

Totalement fermé depuis le 29 septembre 2020, le musée de Cluny rouvre enfin ses portes au public. Ces deux années de travaux auront été l’occasion de repenser entièrement le parcours de visite afin de rendre le Moyen Âge plus accessible aux visiteurs. Le cheminement à travers les salles a été transformé, la muséographie renouvelée, les œuvres restaurées et le propos clarifié, autant de facteurs qui font de la nouvelle présentation une véritable réussite. Nous vous proposons ici un tour d’horizon des chefs-d’œuvre présentés au fil du nouveau parcours.

L’Œuvre de Limoges

Aux XIIe et XIIIe siècles, la production des ateliers d’émailleurs limousins connaît une large diffusion à travers toute l’Europe. L’émail champlevé, qui consiste à disposer l’émail dans des alvéoles creusées dans une plaque de cuivre, est alors leur technique de prédilection. Les artistes réalisent à la fois des œuvres uniques pour des commanditaires renommés et une production plus sérielle. C’est le cas des nombreuses châsses destinées à abriter les reliques de saint Thomas Becket, distribuées dans toute l’Europe. Chancelier d’Angleterre et archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket fut assassiné dans sa cathédrale par les émissaires du roi en 1170. Son martyre, qui lui vaudra d’être canonisé dès 1173, et son inhumation sont représentés sur la châsse. Cette iconographie peut être lue comme une dénonciation des abus du pouvoir temporel sur le clergé. Les figures gravées et dorées, laissées en réserve sur un fond émaillé et agrémentées de têtes d’applique en relief sont caractéristiques du parti décoratif qui se développe à Limoges dès les années 1180-1190 et qui se généralise au siècle suivant.

Châsse de saint Thomas Becket, Limoges, début du XIIIᵉ siècle. Émail champlevé, orfèvrerie, 15,9 x 14,4 cm.

Châsse de saint Thomas Becket, Limoges, début du XIIIᵉ siècle. Émail champlevé, orfèvrerie, 15,9 x 14,4 cm. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi

Un somptueux devant d’autel

Entré dans les collections du musée en 1854 à l’initiative d’Edmond Du Sommerard, cet antependium ou devant d’autel témoigne du haut degré de qualité de l’orfèvrerie ottonienne. Au centre du panneau, on reconnaît le Christ bénissant. Il est entouré, à gauche, de Benoît de Nursie, fondateur de l’ordre bénédictin au VIe siècle et de saint Michel, et à droite des deux autres archanges, Gabriel et Raphaël. Le hiératisme des figures et les plis stylisés de leurs vêtements rappellent l’art byzantin. Un détail important attire l’attention du spectateur attentif : aux pieds du Christ sont prosternées deux petites figures. Il s’agit de l’empereur Henri II et de l’impératrice Cunégonde. Ce dernier est sans doute à l’initiative de cette commande et aurait offert l’antependium à la cathédrale de Bâle lors de la consécration de l’édifice le 11 octobre 1019. L’objet illustre à la fois la grande piété du couple impérial, mais aussi la volonté de faste et d’apparat de la dynastie ottonienne, qui se réclame de Charlemagne.

Devant d’autel de la cathédrale de Bâle, 1ᵉʳ quart du XIᵉ siècle. Or et pierreries sur âme de chêne, 120 x 177,5 x 13 cm.

Devant d’autel de la cathédrale de Bâle, 1ᵉʳ quart du XIᵉ siècle. Or et pierreries sur âme de chêne, 120 x 177,5 x 13 cm. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado

Le travail virtuose de l’ivoire

L’empire byzantin, fondé en 330 par Constantin Ier, se voulait l’héritier de l’empire romain d’Occident et portait également en lui la mémoire de l’art grec. On reconnaît ainsi sur cette œuvre sculptée en haut-relief la figure d’Ariane, compagne de Dionysos, le dieu de la vigne et du vin. Tenant une coupe et un thyrse, elle est entourée d’une ménade et d’un satyre, figures incontournables du cortège bachique. La densité de la composition, la souplesse des drapés, la posture hanchée d’Ariane et la plénitude de son visage aux paupières tombantes caractéristiques illustrent la virtuosité des ivoiriers constantinopolitains. Retrouvée dans une sépulture de la vallée du Rhin, cette œuvre devait initialement décorer un meuble.

Ariane, Constantinople, première moitié du VIᵉ siècle. Ivoire, 40 x 14 x 7,5 cm.

Ariane, Constantinople, première moitié du VIᵉ siècle. Ivoire, 40 x 14 x 7,5 cm. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier

Une délicate rose d’orfèvrerie

Cette rose d’or est le fruit d’un travail d’une grande finesse. Les tiges, formées de rubans repliés, soutiennent des feuilles et de délicates roses, dont les pétales sont découpés dans une mince feuille d’or. Elle a été offerte en 1330 par le pape Jean XXII au comte de Neuchâtel Rodolphe de Nidau pour le récompenser de son soutien dans sa lutte contre l’empereur Louis de Bavière. Ce cadeau somptueux relève d’une tradition déjà ancienne. Chaque année, le quatrième dimanche de Carême, le pape offrait une rose d’or à un illustre fidèle dont il voulait souligner et honorer la piété. Symbole de la Passion du Christ et de sa Résurrection, elle n’arbore pas d’épines, à l’image des roses qui embaument le Paradis. La comptabilité pontificale a permis d’identifier l’artiste qui a réalisé celle-ci : il s’agit de Minucchio da Siena, orfèvre actif à Avignon, alors siège de la papauté, entre 1327 et 1347.

Rose d’or provenant de la cathédrale de Bâle, Minucchio da Siena, Avignon, 1330. Or, pierreries, H. 60 cm.

Rose d’or provenant de la cathédrale de Bâle, Minucchio da Siena, Avignon, 1330. Or, pierreries, H. 60 cm. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi

Des vitraux exceptionnels

Entre 1242 et 1248, Louis IX (le futur saint Louis) fait construire dans son palais de l’île de la Cité une somptueuse chapelle, destinée à abriter les reliques sacrées de la Passion qu’il vient d’acquérir. La possession de celles-ci désigne le roi de France comme le chef de la chrétienté occidentale. L’édifice doit donc être à la hauteur de cette réputation. La chapelle haute, ceinturée d’immenses verrières colorées, est ainsi baignée de couleurs chatoyantes. Les vitraux, composés de morceaux de verre densément colorés et assemblés par un réseau de plombs, racontent l’histoire de l’humanité, de la Genèse à la résurrection du Christ. Celui-ci représente le combat de Samson contre le lion, épisode qui révèle la force invincible du héros biblique, force qu’il mettra au service de son peuple dans sa lutte contre les Philistins.

Samson et le lion, vitrail provenant de la Sainte-Chapelle de Paris, vers 1250. Verre coloré, plomb.

Samson et le lion, vitrail provenant de la Sainte-Chapelle de Paris, vers 1250. Verre coloré, plomb. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais / Franck Raux

L’art de la guerre

Quoi de plus cohérent que de faire figurer sur un bouclier le combat mythique qui opposa le jeune David au géant Goliath ? Cette adéquation entre le décor et la fonction de l’objet permet de rappeler que le plus fort des deux adversaires n’est pas toujours le vainqueur. Ces grands boucliers de la fin du XV siècle, que l’on appelle des pavois, étaient portés essentiellement par les fantassins. Les chevaliers eux, préféraient des boucliers plus petits et plus légers : les targes. Les pavois étaient les seuls à pouvoir résister aux tirs d’arbalètes. La généralisation des armes à feu au siècle suivant les rendra toutefois obsolètes et entraînera leur disparition.

Pavois : David et Goliath, Bohème, vers 1480. Bois peint, 89 x 60 cm.

Pavois : David et Goliath, Bohème, vers 1480. Bois peint, 89 x 60 cm. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais/ Michel Urtado

Parure et soin du corps

Sur un fond de millefleurs peuplé d’oiseaux se détachent six personnages. Au centre, une jeune femme noble, portant pour toute parure une coiffe et un collier de perles, prend un bain. Elle est entourée de musiciens et de serviteurs élégamment vêtus qui lui apportent friandises et bijoux. Si le jardin luxuriant qui sert de cadre à la scène relève davantage des poncifs de l’iconographie courtoise que de la réalité, cette composition prouve néanmoins que, contrairement à une idée tenace, les hommes et les femmes du Moyen Âge prêtaient une grande attention à leur hygiène corporelle. On a par ailleurs retrouvé de nombreux miroirs, peignes, flacons ou boîtes contenant des produits de beauté ou encore bijoux, qui témoignent d’un intérêt certain pour les soins du corps. Cette tapisserie fait partie d’un ensemble de six pièces, qui dépeint la vie en plein air des élites aristocratiques de l’époque : la lecture, la promenade, la broderie, des scènes galantes.

Le Bain, tenture de la Vie seigneuriale, Pays-Bas du Sud, vers 1520. Tapisserie en laine et soie, 287 x 365 cm.

Le Bain, tenture de la Vie seigneuriale, Pays-Bas du Sud, vers 1520. Tapisserie en laine et soie, 287 x 365 cm. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais / Franck Raux

Un chef-d’œuvre de plus au musée national du Moyen Âge ?

La souscription du musée de Cluny pour l’achat du Christ de Giovanni Pisano.

Les visiteurs de l’exposition « D’or et d’ivoire » au Louvre-Lens en 2015 se souviennent sans doute du saisissant petit Christ en croix en ivoire de Giovanni Pisano (vers 1250 – avant 1319) prêté par le Victoria & Albert Museum. Avec son visage souffrant, que l’épuisement incline vers le bas, son buste barré de côtes saillantes, l’œuvre illustrait l’admirable expressivité d’un sculpteur considéré comme le plus gothique des Toscans, fils du grand Nicola Pisano qu’il égala, à défaut de le surpasser, sur le chantier de la cathédrale de Sienne (à partir de 1284) puis comme maître d’œuvre de la cathédrale de Pise (dès 1302). Les pièces en ivoire de Giovanni Pisano, connu pour des œuvres plus monumentales, sont extrêmement rares, et c’est pourquoi la mise en vente chez Stuart Lochhead à Londres de ce Christ crucifié, qui lui est attribué depuis 1984, constitue un événement. Notons que l’œuvre est lacunaire : tout comme celui du V&A, ce Christ n’a ni croix ni bras, et ses jambes sont coupées au genou. Curieusement il en tire – car c’est un pur chef-d’œuvre – un surcroît de force. Cela n’a pas échappé au musée national du Moyen Âge, qui a déjà réuni les deux tiers de la somme demandée (2 450 000 €), en combinant fonds propres, fonds publics et mécénat. Les Amis du musée de Cluny ont lancé une souscription pour deux mois, espérant contribuer à l’achat à hauteur de 100 000 €. L’acquisition de cette œuvre reconnue « d’intérêt patrimonial majeur » par le musée national du Moyen Âge, qui s’apprête à rouvrir ses portes après sept années de rénovation, ne saurait mieux tomber. Première sculpture de Giovanni Pisano à entrer dans une collection publique française, elle viendrait illustrer, aux côtés des précieux ivoires gothiques parisiens du musée, l’un des dialogues les plus féconds de toute l’histoire des arts du Moyen Âge. Pour participer à cette souscription, rendez-vous sur le site du musée ou directement sur www.helloasso.com. A.F.

Giovanni Pisano (attribué à), Christ crucifié, vers 1270 ? Ivoire.

Giovanni Pisano (attribué à), Christ crucifié, vers 1270 ? Ivoire. Photo service de presse. © droits réservés

Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, 28 rue Du Sommerard, 75005 Paris. Tél. 01 53 73 78 00. www.musee-moyenage.fr

Sommaire

Redécouvrir le Moyen Âge au musée de Cluny

2/2. Les fleurons de la collection