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Un objet à la loupe : le cadran solaire portatif de Domjulien

Cadran solaire portatif de Domjulien (Vosges), détail. Alliage cuivreux. H. 13 cm ; diam. 4,5 cm. Collection du Musée départemental d’art ancien et contemporain, Épinal (L.IV.D.5).

Cadran solaire portatif de Domjulien (Vosges), détail. Alliage cuivreux. H. 13 cm ; diam. 4,5 cm. Collection du Musée départemental d’art ancien et contemporain, Épinal (L.IV.D.5). © B. Prudhomme

Très importants dans la société romaine, les cadrans solaires aident à mesurer le temps. Les Anciens en utilisaient de différents types dont celui-ci, découvert dans les Vosges au XIXe siècle. Singulier, ce rare exemplaire en métal portatif a retrouvé son aiguille et nous dévoile une manière particulière de lire l’heure…

Très tôt, les humains ont cherché à suivre la course du Soleil afin d’évaluer la durée du jour et de se situer dans son déroulement. L’Antiquité marque une étape importante dans la manière de concevoir le temps.

Aux origines de la mesure de la course du Soleil

En permettant une mesure plus précise de celui-ci, les cadrans solaires ainsi que les horloges à eau (clepsydres) ont profondément modifié la relation des sociétés anciennes à cette notion. Un cadran solaire est généralement composé de deux éléments : une surface plane ou convexe et un gnomon, dont l’ombre aide à déterminer l’heure. L’historien grec Hérodote (vers 480‑425 avant notre ère), dans le livre II des Histoires consacré à l’Égypte, mentionne l’origine de ces dispositifs : « À l’égard du gnomon, du pôle, ou cadran solaire, et de la division du jour en douze parties, les Grecs les tiennent des Babyloniens. » Selon le naturaliste romain Pline l’Ancien (23-79), le premier cadran solaire aurait été introduit à Rome en 263 avant notre ère, au temple de Quirinus, puis transféré au sommet d’une colonne, sur le forum (Histoire naturelle, livre VII). Les Romains utilisent différents types de cadrans solaires, décrits en détail dans De architectura de l’architecte Vitruve (Ier siècle avant notre ère), parmi lesquels les cadrans solaires portatifs, appelés viatoria pensilia, c’est-à-dire des horloges suspendues ou de voyage (livre IX, chapitre 8). Dans cette catégorie, l’un des types les plus célèbres est celui en forme de jambon découvert à Herculanum en 1755. Provenant de la villa des Papyri, détruite par l’éruption du Vésuve en 79, cet objet présente une surface gravée de sept lignes dont les écartements varient de janvier à juin et de juillet à décembre. Comme sur d’autres types de cadrans portatifs, les heures sont représentées par des lignes plus ou moins courbes.

Cadran solaire portatif de Domjulien démonté dans le cadre de sa restauration. Collection du Musée départemental d’art ancien et contemporain, Épinal (L.IV.D.5).

Cadran solaire portatif de Domjulien démonté dans le cadre de sa restauration. Collection du Musée départemental d’art ancien et contemporain, Épinal (L.IV.D.5). © Laboratoire d’archéologie des métaux, Jarville-la-Malgrange

Le cadran solaire de Domjulien

Cet objet insolite a été mis au jour en 1826 par un bûcheron lors de la création d’un chemin dans le village de Domjulien (Vosges). Parmi les autres découvertes effectuées figurent deux squelettes, une bague en métal et des « débris d’armes », peut-être mérovingiens. La typologie de ce cadran permet toutefois de le rattacher à ceux de l’Antiquité. Ces objets portatifs sont beaucoup moins nombreux que les exemplaires fixes en pierre : seulement vingt-cinq sont connus à l’échelle de l’Empire romain. Les cadrans d’Amiens (Somme) et d’Este (Italie), bien qu’en os et de plus petites dimensions, présentent des caractéristiques très proches de celui de Domjulien.
Attachée à un cylindre en bronze, l’aiguille de ce cadran semblait avoir été perdue, et c’est à l’occasion de la restauration au Laboratoire d’archéologie des métaux de Jarville-la-Malgrange (Meurthe-et-Moselle) qu’elle a été retrouvée. En effet, le gnomon rétractable était plié et intégré à un second cylindre assurant la mobilité de cette partie de l’objet.
Deux types principaux peuvent être distingués au sein des instruments portatifs : les cadrans utilisables sous plusieurs latitudes, en particulier ceux en forme de disque, et ceux valables pour une latitude donnée, comme celui de Domjulien. Pour lire l’heure, il était nécessaire de faire pivoter la partie mobile du cylindre, afin qu’elle soit alignée avec le mois de l’année et le jour, puis de placer l’instrument à la verticale en l’orientant vers le Soleil, de manière à ce que l’ombre du gnomon soit elle-même verticale et donc la plus étroite possible. La mise en station pouvait être effectuée grâce à un fil à plomb. C’est la position de l’extrémité de l’ombre sur l’une des lignes qui permettait d’obtenir l’heure solaire. Bien que les lignes des heures et des mois ne soient pas toutes conservées, on distingue bien la gravure des calendes de janvier – IAN – et de février – FEB.

Cadran portatif du musée d’Este (Italie) (d’après M. Arnaldi et K. Schaldach, 1997, fig. 2).

Cadran portatif du musée d’Este (Italie) (d’après M. Arnaldi et K. Schaldach, 1997, fig. 2).

La fortune des cadrans solaires portatifs

Objets par définition fonctionnels, les cadrans solaires ont également une fonction ostentatoire. Qu’il s’agisse d’exemplaires portatifs ou fixes, ces instruments de conception savante symbolisent l’érudition et le statut social de leur propriétaire, tout en évoquant le temps qui passe. Ainsi, ils sont parfois représentés dans des scènes funéraires ou décoratives, comme la mosaïque des Saisons découverte au XIXe siècle à Saint-Romain-en-Gal (Rhône). Certains cadrans solaires, plus décoratifs que pratiques, ornent parfois les jardins de riches notables. Les cadrans solaires portatifs ne sont pas oubliés après l’Antiquité : ils réapparaissent régulièrement dans l’histoire jusqu’à l’époque moderne, où ils sont notamment utilisés dans les Pyrénées pour la transhumance, d’où leur surnom de « cadrans de berger ».

Cadran solaire portatif de Domjulien (Vosges). Alliage cuivreux. H. 13 cm ; diam. 4,5 cm. Collection du Musée départemental d’art ancien et contemporain, Épinal (L.IV.D.5).

Cadran solaire portatif de Domjulien (Vosges). Alliage cuivreux. H. 13 cm ; diam. 4,5 cm. Collection du Musée départemental d’art ancien et contemporain, Épinal (L.IV.D.5). © B. Prud’homme

Pour aller plus loin
ARNALDI M. et SCHALDACH K., 1997, « A roman cylinder dial: witness to a forgotten tradition », Journal of the History of Astronomy, 28, p. 107-131.
HOET-VAN CAUWENBERGHE Ch., BINET E., 2008 (2010), « Cadran solaire sur os découvert à Amiens (Samarobriva) », Cahiers du Centre G. Glotz, 19, p. 111-127.
JONES A. (dir.), 2016, Time and cosmos in greco-roman antiquity, catalogue de l’exposition de New York à l’Institute for the study of the Ancient World, Princeton University Press.