Le roman des momies (3/4). Questions d’éthique : des patients à respecter…

Xin Zhui, ou la marquise de Dai, momie de tombeau à Mawangdui. © Dennis Cox / Alamy Stock Photo
Les plus vielles datent de 7 000 ans, bien avant l’âge d’or de la civilisation égyptienne à laquelle on les associe habituellement. Leur étude a fait des progrès considérables ces dernières années, grâce aux avancées de la médecine, notamment celles de l’imagerie 3D ainsi que des analyses biomoléculaires. Selon le vieux précepte de l’anatomie clinique Mortui vivos docent, « les morts enseignent aux vivants », et par le biais de la bio-archéologie, elles sont venues enrichir les connaissances médicales dans leur profondeur historique. Mais qui sont ces momies, fascinantes et envoûtantes, devenues pour certaines des stars ? Réponse, dans ce dossier, au fil d’exemples saisissants.

Momie d’Irthorru. Basse Époque, XVIᵉ dynastie, vers 600 avant notre ère, EA 20745. © The Trustees of the British Museum
Trésors hérités du passé, les momies doivent être traitées comme des patients, avec les mêmes soucis éthiques, en termes de respect et de dignité, que pour des sujets vivants, et en leur infligeant le moins de dégâts possibles.
Des règles à respecter
Si les sujets momifiés n’ont évidemment pas choisi de finir entre les mains des médecins et des anthropologues, les règles médicolégales et bioéthiques doivent, au nom des progrès de la science, leur être appliquées. Le premier devoir est de conserver correctement les momies, en assurant des conditions thermiques et hygrométriques adéquates, et en évitant des investigations trop invasives. À cet égard, les conservateurs de collections optent systématiquement pour la virtopsie. Dans le cas de la momie de Ramsès II qui commençait à moisir au musée du Caire, un traitement, basé sur l’irradiation afin de stériliser les micro-organismes qui se développaient, a été appliqué lors de son « hospitalisation » au musée de l’Homme en 1976. On hésiterait aujourd’hui à pratiquer cette intervention, en raison des dégâts que provoquent les rayons ionisants sur l’ADN ancien. Pour Xin Zhui, dite la marquise de Dai, une noble chinoise décédée en 163 avant notre ère dont le corps était encore quasi intact et remarquablement souple à l’ouverture de la tombe, les scientifiques ont mis au point un liquide qui lui a été injecté dans les vaisseaux sanguins afin de bloquer sa décomposition.

Momie du pharaon Ramsès II (1289-1224 avant notre ère). Nouvel Empire, XIXᵉ dynastie. Le Caire, musée égyptien. © DeAgostini / Leemage
Quel corps regarder ?
La stabilisation des tissus atteint des sommets de réalisme avec la technique de plastination inventée par l’anatomiste Gunther von Hagens : le cadavre subit un traitement par le formol (pour fixer les protéines) et l’acétone (pour dissoudre les graisses) avant d’être imprégné de silicone. Des mises en scène à visée commerciale de ces cadavres ont déclenché de célèbres controverses, car elles posent le problème du voyeurisme morbide. Les musées d’histoire naturelle exposent assez souvent des corps naturalisés, tels les écorchés de Honoré Fragonard (1732-1799) au sein du musée de l’École nationale vétérinaire d’Alfort ; mais la gêne liée à l’exhibition du cadavre d’un hors-la-loi américain, Elmer McCurdy (1880-1911) présenté dans divers spectacles sous le nom de L’homme qui refusa de se rendre, ou celui d’un chasseur africain connu comme El Negro de Banyoles, mis en vitrine dans un musée espagnol, a fini par déclencher leur inhumation. En avril dernier, la chaîne Discovery Channel, dans son émission spéciale Expedition unknown : Egypt live, a proposé aux téléspectateurs d’assister en direct à l’ouverture de trois sarcophages. Choquée, la philosophe Sylvie Dallet, de l’université de Versailles, a dénoncé « un voyeurisme obscène et un dévoilement de l’intimité moralement très choquant. Nous empiétons sur la relation des vivants aux morts en les traitant comme de simples objets de curiosité. C’est comme si nous ouvrions la tombe de nos grands-parents ». En fait, le principe moral universel « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse » doit s’appliquer. En tant qu’archéologues et anthropologues, nous ouvrons sans cesse les tombes de nos propres ancêtres…

Écorché de Honoré Fragonard. Musée Fragonard de l’École vétérinaire d’Alfort. © VIARD M. / HorizonFeatures / Leemage
Des faux et des peurs
Il faut aussi inclure, dans ces considérations éthiques, la fabrication de faux, qui existe depuis l’Antiquité en Égypte, et leurs avatars modernes, qui font la fortune des aventuriers en trompant la crédulité des amateurs de paranormal, comme dans l’affaire des momies de Nazca, dont l’une était une authentique momie ancienne mais mutilée, et les autres des petits mannequins fabriqués avec des os d’animaux. Par ailleurs, la crainte qu’inspirent les momies est à l’origine de nombreuses croyances concernant des malédictions (que l’on songe à celles touchant Toutânkhamon, Ötzi ou Rascar Capac, la momie péruvienne nommée ainsi par Hergé dans Tintin), sans qu’aucun élément objectif ne vienne les appuyer. Elles illustrent en tout cas la fascination que nous inspirent ces singulières messagères, qu’il faut considérer comme de précieuses archives de l’humanité, témoins silencieux de peuples disparus, que la science moderne réussit néanmoins à rendre très prolixes.
Pour aller plus loin :
AUFDERHEIDE A. C., 2003, The Scientific Study of Mummies. Cambridge University Press.
DAVID R. (dir.), 2008, Egyptian Mummies and Modern Science, Cambridge University Press.
DEMIEVILLE P., 1965, « Momies d’Extrême-Orient », Journal des savants, pp. 144-170.
GUILLEN S. E., 2004, « Artificial mummies from the Andes », Collegium Antropol, 28, pp. 141-157.
JONES J. et al., 2018, « A prehistoric Egyptian mummy: Evidence for an “embalming recipe” and the evolution of early formative funerary treatments », Journal of Archaeological Science, pp. 191-200.
LYNNERUP N., 2007, Mummies. Yearbook of Physical Anthropology, 50, pp. 162-190.
NYSTROM K. C., 2019, The Bioarchaeology of Mummies. Routledge.
RAVEN M. J. & TACONIS W. K. (dir.), 2005, Egyptian Mummies, Brepols.
SHIN D. H. et al., 2018, « Mummification in Korea and China: Mawangdui, Song, Ming and Joseon Dynasty Mummies », BioMed Research International.
Sommaire
Le roman des momies
3/4. Question d’éthique : des patients à respecter





