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Les étudiants en archéologie maritime et côtière investissent l’archipel des Lérins

Fouille du potentiel angle formé par les pieux.

Fouille du potentiel angle formé par les pieux. © Lionel Roux-CNRS, CCJ, AMU

Pour la deuxième année consécutive, dans le cadre du master international d’archéologie maritime et côtière (MoMArch), les étudiants de première année et les professionnels les encadrant se sont installés dans l’anse Sainte-Anne de l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes. Durant trois semaines, ils y ont réalisé un chantier-école, révélant le dense passé antique des lieux.

L’île Sainte-Marguerite est sans doute fréquentée depuis le VIe siècle avant notre ère.

Une implantation humaine précoce

Sur son point culminant, dominé aujourd’hui par le Fort royal (bien connu pour avoir tenu prisonnier le Masque de fer), l’archéologie terrestre a fourni les premiers témoins d’un possible oppidum ligure. Cet établissement se réorganise à plusieurs reprises. Ces évolutions semblent s’articuler autour du développement d’un lieu de culte, un hérôon, dédié à Léro et Lérina, des divinités énigmatiques mais dont la notoriété est telle que l’île et son temple sont cités par les auteurs anciens comme Strabon, Ptolémée ou encore Pline l’Ancien. Dès le IIe siècle avant notre ère, un habitat secondaire voit le jour en bordure de l’étang du Batéguier ; puis, à l’époque impériale, une villa maritime ostentatoire y est érigée. L’occupation est toujours attestée dans l’Antiquité tardive mais semble se réduire au secteur du Fort, tandis qu’une nécropole s’implante sur le site de la villa du Batéguier, alors abandonnée. Il faut ensuite attendre le XVIIe siècle pour que l’île soit réinvestie par des militaires espagnols qui en reconstruisent le fort, dont le plan sera repris par Vauban à la fin de ce même siècle.

Le chantier de l’anse Sainte-Anne au nord‑ouest de l’île Sainte-Marguerite.

Le chantier de l’anse Sainte-Anne au nord‑ouest de l’île Sainte-Marguerite. © Lionel Roux-CNRS, CCJ, AMU

Des connexions avec le continent

Le mobilier retrouvé sur les différents sites insulaires montre, dès le VIe siècle avant notre ère, une île ouverte aux influences commerciales cosmopolites. Les indices d’une connexion entre les occupants et le continent se perçoivent également au niveau des épaves de navires découvertes au large et à travers les vestiges parsemant la rade nord-ouest, interprétée comme une zone de mouillage. Pour certains chercheurs, l’archipel des Lérins aurait, dans l’Antiquité, davantage constitué un abri pour les navires de passage qu’une véritable station dotée d’un port. C’est ce que laisse entendre l’Itinerarium maritimum d’Antonin qui ne précise pas portus dans la mention des îles, contrairement à Fréjus et l’antique Pomponiana, ni même positio (mouillage de pleine eau) ou encore plagia (comme à Nikaia).

Un possible complexe portuaire ?

Cependant, cette question de l’existence d’un complexe portuaire, ou tout du moins d’un aménagement côtier, reste encore ouverte. Dans les années 1970, lors de prospections sous-marines effectuées dans l’anse Sainte-Anne, l’archéologue Jean-Pierre Joncheray observe la présence de « substructions sous-marines » entre les deux débarcadères les plus à l’ouest de l’île, à 20 m du rivage et de «murs d’habitation de 0,80 m de large, immergés sous 1 m d’eau », ou encore «d’autres ruines typiquement romaines » à proximité de la passe ensablée de l’étang du Batéguier. Depuis 2022, le Drassm accompagné par l’institut Arkaia, le CCJ et Ipso Facto, a décidé de reprendre les recherches dans ce secteur. Les prospections et les petits sondages menés lors de deux campagnes ont livré plusieurs pieux en bois et d’importants indices de vestiges côtiers d’époque romaine, actuellement immergés. Ces résultats ont motivé l’organisation d’opérations de plus grande ampleur en 2024 et 2025, aboutissant au projet d’un chantier-école de fouille sous-marine accueillant les étudiants de première année du master MoMArch.

Un chantier-école pour de futurs archéologues

Les deux campagnes du chantier-école ont permis d’ouvrir de larges sondages dans l’anse Sainte-Anne et d’en clarifier la stratigraphie, d’en préciser la datation et de mettre au jour un ensemble de pieux considérable. Les plus anciens niveaux présentent un environnement naturel marin et conservaient de la céramique de la période républicaine (fin IIe – première moitié du Ier siècle avant notre ère), cassée en place, typique des faciès rencontrés sur plusieurs sites côtiers du Sud de la Gaule (tels Lattes, Marseille, Olbia et plus tardivement Fréjus) mais également dans les cargaisons et dotations de bord retrouvées sur les épaves de la même période en Méditerranée occidentale. Devait ainsi appartenir à un marin la grande assiette à vernis noir avec inscription de propriété, « PILONI », jetée en mer probablement à la suite d’une cassure. Cette phase de fréquentation serait donc à mettre en lien avec une zone de mouillage et pourrait être associée au début de l’occupation du site du Batéguier tout proche.

Assiette Lamboglia 5 avec l’inscription « PILONI ».

Assiette Lamboglia 5 avec l’inscription « PILONI ». © Lionel Roux-CNRS, CCJ, AMU

Un ensemble considérable de pieux

À partir de la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère, des travaux d’aménagement semblent avoir eu lieu. Ces niveaux d’époque impériale sont constitués d’une série de pieux en bois et de couches de remblais de destruction contenant un mobilier abondant couplé à une grande quantité d’éléments architecturaux (moellons, blocs, tuiles, mortier…). Certaines pièces, comme une antéfixe richement décorée, sans doute originaires du territoire de Fréjus, évoquent la présence d’un bâtiment de prestige à proximité de la côte. Ces niveaux de la fin du Ier et du IIe siècle avaient probablement pour but de former ou de consolider une structure. La campagne de 2025 a conduit à cartographier plus de 80 pieux et a fait apparaître pour la première fois ce qui serait un angle de structure. L’étude dendrologique et la datation radiocarbone de ces pieux, ainsi que l’analyse des deux carottes géomorphologiques effectuées cette année, sont en cours.

Vers une analyse archéologique globale

Les prochaines campagnes s’attacheront à caractériser et à dater la potentielle construction mise au jour. Ces recherches pluridisciplinaires seront en outre élargies à d’autres sites de l’île Sainte-Marguerite. Les structures immergées à l’ouest, à La Partègue, feront ainsi l’objet d’investigations. À terme, étudiants et encadrants espèrent pouvoir proposer une analyse archéologique globale de ces occupations et clarifier l’évolution géomorphologique dans cette partie occidentale de Sainte-Marguerite.

Le master MoMArch

La fouille du master MoMArch (ou Master of Maritime and Coastal Archaeology) a été coorganisée par Aix-Marseille Université (AMU) et le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm, ministère de la Culture), en collaboration avec le Centre Camille Jullian (CCJ, UMR 7299, CNRS-AMU), l’institut Arkaia et la scop Ipso Facto. Né en 2013, ce master prépare sur deux ans les futurs cadres de l’archéologie maritime et côtière, en accueillant chaque année une nouvelle promotion internationale de huit étudiants. Après plus de treize ans d’activité, il cumule près de 100 diplômés provenant de 19 pays. Le cursus fait la part belle à la pratique en intégrant les étudiants à des fouilles archéologiques sous-marines aux problématiques scientifiques fortes, dirigées par des professionnels. En 2025, le chantier-école proposé aux étudiants de première année a mis l’accent sur la documentation et l’étude des structures côtières antiques immergées (chantier de l’île Sainte-Marguerite, Cannes) tandis que celui des deuxième année était axé sur les méthodes de l’architecture navale, à l’honneur avec la fouille de l’épave d’un navire du XVIe siècle (chantier de Laurons 11, Martigues). L’équipe MoMArch