Découverte : la mosaïque peinte d’Alès

Travail de nettoyage avant dépose par l’équipe de l’Atelier de restauration des mosaïques du musée archéologique de Saint‑Romain-en-Gal. © Bertrand Houix, Inrap
À l’entrée des Cévennes et au débouché de la vallée du Gardon, Alès contrôle très tôt une importante voie reliant le Massif central au couloir rhodanien et à la Méditerranée. La ville actuelle semble occupée depuis le Ier siècle de notre ère, sans doute à la suite d’un « déperchement » de l’habitat auparavant situé sur la colline de l’Ermitage. Si des découvertes fortuites y sont effectuées dès 1840, il faut attendre le siècle suivant pour que soit admise l’existence d’un oppidum sur ce site de hauteur. C’est là qu’une fouille préventive a été menée par l’Inrap, de février à juin 2025, sur près de 3 750 m².
Déjà investi aux VIe et Ve siècles avant notre ère, l’oppidum de l’Ermitage renaît à la fin du IIe siècle pour être abandonné un siècle plus tard.
Un « oppidum-marché »
On considère aujourd’hui qu’il faisait partie de la confédération des Volques Arécomiques qui ont Nîmes pour capitale. Après la conquête romaine dans les années 125/118 avant notre ère, la région est incluse dans la Transalpine. L’oppidum se trouve alors en limite nord de cette province, qui coupe la partie encore indépendante de la Gaule de son accès à la façade méditerranéenne. Cette situation a pu contribuer au développement d’un « oppidum-marché » – hypothèse soutenue par le nombre et la diversité des monnaies trouvées sur le site.

La colline de l’Ermitage vue des berges du Gardon d’Alès. © Bertrand Houix, Inrap
Constructions et gestion de l’eau
Un rempart de 4 ha est connu mais sa datation reste à préciser. L’agglomération s’est étendue sur tout le flanc oriental de la colline, couvrant environ 9 ha au Ier siècle avant notre ère. S’adaptant à une forte pente (28 à 30 %), les maisons de ce quartier sont aménagées en excavant la roche et en créant des terrasses collectives entre lesquelles la trame viaire est mal connue. Les structures observées témoignent d’un savoir-faire avancé en matière de construction, mais aussi de gestion de l’eau par le biais de canalisations maçonnées. Pour limiter l’humidité des bancs calcaires, les parois intérieures étaient enduites d’argile et d’un mortier de chaux. Des vestiges de peinture murale, bien que rares et difficilement lisibles, subsistent parfois.
Une mosaïque aux teintes éclatantes
Un des bâtiments, en pierre et terre, paraît s’étendre sur 750 m2. Ses sols sont parfois décorés de tesselles noires. Mais l’une des pièces se distingue par une mosaïque polychrome au décor géométrique. Si en 2007, l’oppidum avait déjà livré une belle mosaïque de tradition hellénistique, cette nouvelle découverte se singularise par le traitement à la peinture du décor. Adossée à la colline, la salle n’a pas pu être entièrement dégagée pour des raisons de sécurité mais elle est presque entièrement connue (sa surface, assez modeste, est de 17 m2). Son entrée est marquée par un premier « tapis », de forme allongée. Assez sobre mais soigné, il présente un quadrillage de croisettes blanches (motif floral stylisé) disposées à l’oblique sur un fond noir. De larges espaces traités en tesselles blanches semblent prévus pour accueillir des lits de banquet sur deux côtés du tapis principal. Ce carré de 2,47 m de côté couvrant un tiers de la pièce figure un élégant méandre de quatre svastikas et autant de carrés autour d’un carré central. Ces deux tapis ont été rehaussés de peintures noire, rouge foncé et rouge écarlate.

Vue générale de la mosaïque découverte en juin 2025. © Flore Giraud, Inrap
Rehauts de peintures
La trame du tapis principal est dessinée en lignes de petits carrés faits de triangles isocèles noirs et blancs (tous orientés à l’identique et formant des « crémaillères ») et en traits bordeaux et blancs, la ligne centrale étant rehaussée de rouge. Cette teinte aurait été réalisée au cinabre, tiré du sulfure de mercure, et très estimé dans l’Antiquité, notamment pour son éclat. Des analyses à venir permettront de préciser la provenance des autres pigments utilisés. Le noir, le bordeaux et l’ocre jaune étaient sans doute plus vifs à l’origine. L’artisan a appliqué des rehauts de peinture immédiatement après la mise en place du tessellatum pour aviver la teinte naturelle des roches, plus terne et parfois différente. La composition géométrique prend ainsi un effet plus chatoyant. La peinture fait disparaître la discontinuité entre les tesselles de même couleur et donne un lustre aux roches d’aspect terne et mat. Les premiers exemples de mosaïques peintes se rencontrent dans le monde grec, au début de l’époque hellénistique, à la fin du IVe siècle avant notre ère. Si les motifs sont ici exclusivement géométriques, le méandre peut être considéré comme une allusion au labyrinthe de Cnossos et au mythe crétois du Minotaure.
Une présentation à venir au musée du Colombier d’Alès
Ces découvertes montrent à quel point l’oppidum de l’Ermitage tirait profit de l’ample réseau d’échanges qui s’intensifie à la fin du IIe siècle avant notre ère entre la Gaule et le monde romain. La mosaïque a peut-être été réalisée dans le courant du Ier siècle avant notre ère, datation provisoire que viendront préciser les travaux post-fouilles. Apparue en fin de chantier, elle a pu être déposée grâce à l’intervention de l’Atelier de restauration des mosaïques du musée archéologique de Saint-Romain-en-Gal et devrait, à terme, être exposée au musée du Colombier d’Alès, au côté de la mosaïque mise au jour en 2007 – d’un style assez différent malgré une datation voisine. Cette découverte aide en outre à mieux comprendre des observations des années 1960-1970 sur ce site, en particulier sur une mosaïque aujourd’hui détruite mais pour laquelle nos prédécesseurs indiquent qu’elle présentait des tracés préparatoires et que sa surface, recouverte par une couche de chaux pure, avait été ensuite peinte en noir ou en rouge…





