
Dans le cadre des travaux d’agrandissement du port ouest de Dunkerque, les archéologues de l’Inrap ont mis au jour, dans l’ancien l’estuaire de la Denna, les traces d’une conquête progressive des marais littoraux à partir du Xe siècle. Le paysage porte la marque de cette poldérisation, notamment sous la forme de mares.
La fosse rectangulaire en gradins, où travaille encore la pelleteuse dans la plaine maritime flamande à Craywick, n’a, à première vue, rien d’impressionnant, si ce n’est sans doute ses vastes dimensions. Deux éléments de mobilier seulement ont été mis en évidence et sont encore présents, à l’emplacement de leur découverte, sous sac plastique : de simples tessons, l’un médiéval, l’autre gallo-romain – certainement rapporté là par la mer.
Rupture de digue
Il faut l’œil averti de l’archéologue pour distinguer sur les parois la trace de diverses couches de sédimentation et la présence de mottes d’argile. « Ces mottes ont pu servir à colmater ce qui semble bien être un ombilic de brèche, explique Samuel Dessouter, responsable scientifique de la fouille. Lors de la rupture d’une digue, une dépression se forme par un phénomène de vortex. On sait, par les exemples qui subsistent en Frise, en Zélande et en Allemagne sur la côte de la mer du Nord, que ce genre de dépression peut être surcreusé par l’homme pour en faire une réserve d’eau douce. »

Une mare antérieure au XIIe siècle
La mare, ici, mesure pas moins de 40 mètres de diamètre et 5 mètres de profondeur. C’est grâce à la réalisation d’une cartographie de conductivité électrique – qui distingue les zones de sable et d’argile inégalement conductrices et révèle ainsi les anomalies du sol – qu’elle a été repérée. La fouille elle-même a nécessité la mise en place d’un rabattement de nappe, consistant à enfoncer, autour de la zone, des tiges aspirant la nappe phréatique. « Nous espérons retrouver du charbon de bois pour dater les différentes séquences de comblements et aussi l’événement qui a cassé la digue, poursuit l’archéologue. Les foraminifères, ces micro-organismes qui réagissent à la salinité, permettront, eux, de caractériser les modifications environnementales. À ce stade, nous estimons que la mare a précédé le site d’habitat des XIIe-XIIIe siècles que nous fouillons à proximité. »

Cartographie de l’assèchement
Mares, digues et habitats sont autant de témoins d’une poldérisation qui a débuté ici – en l’état actuel des découvertes – dès le Xe siècle. Les diverses campagnes de diagnostics et de fouilles réalisées depuis 2015 ont permis d’établir une première cartographie. « Les traces d’occupation les plus anciennes se trouvent sur les bordures est et ouest de l’ancien estuaire, avec un site d’habitat tous les 800 mètres, précise Mathieu Lançon, responsable d’opération. Le front de digue a ensuite progressé, l’élevage du mouton permettant l’extension des prés salés et l’occupation humaine la bonification des terres. Les XIIe-XIIIe siècles sont marqués par un fort essor agricole, avant un net déclin au XVe. » Cette chronologie ne manquera pas d’être complétée par les résultats des prélèvements réalisés dans la mare, comme par la poursuite des fouilles dans l’estuaire, dès le printemps prochain.
Alice Tillier-Chevallier