En 2015, une fouille menée par l’Inrap à Vénissieux, dans le Rhône, a mis au jour une partie des aménagements défensifs de Lyon réalisés à partir des années 1880. Entre 1927 et 1930, des milliers d’objets, poteries et verres sont ensuite déversés dans l’ancien fossé militaire, alors abandonné et transformé en dépotoir. Véritables morceaux choisis du quotidien en Lyonnais de la fin du XIXe siècle aux Années folles, ces vestiges constituent une documentation archéologique inédite sur la culture matérielle au début du XXe siècle.
Dans le cadre de la création de la zone d’aménagement Grand Parilly au lieu-dit site du Puisoz, une fouille archéologique a été réalisée par l’Inrap sur prescription de l’État (Drac Auvergne- Rhône-Alpes) à Vénissieux, au sud-est de Lyon. L’opération a mis au jour un vaste dépotoir d’une superficie de 400 m2 environ, qui correspond à une zone de rejet collective. Déchets industriels issus de verreries voisines et déchets domestiques ont été déversés dans l’ancien fossé militaire associé au mur d’enceinte de la fin du XIXe siècle. Entassés sur près de 4 m d’épaisseur, ils représentent un volume d’environ 1600 m3. Bien que le dépotoir soit localisé sur la commune de Vénissieux, il semble que l’essentiel des rejets provient de la ville de Lyon, ce que confirment par ailleurs les sources anciennes.
Céramiques, verres et huîtres : les prémices du tri des déchets
Très vite, il est apparu au cours de la fouille que le comblement était composé exclusivement de fragments de poteries, de verres, de vaisselles en métal émaillé et de coquillages. Cette composition témoigne assurément d’opérations sélectives, sans doute en lien avec la politique de gestion des déchets mis en place en France sur influence des grands mouvements hygiénistes, et mise en œuvre à Lyon à la fin du XIXe siècle. Pour rappel, ce traitement est institué en 1883 par le préfet de Paris, Eugène Poubelle, et l’article 6 de l’arrêté préfectoral traduit parfaitement cette volonté de prise en considération des encombrants. Le comblement du dépotoir de Vénissieux constitue donc en quelque sorte une illustration matérielle de ce texte officiel.
Des objets par milliers
La phase d’étude à l’issue de la fouille a mis en évidence une extrême diversité de produits céramiques et verres au sein de très nombreuses catégories d’usage. Un échantillon représentatif de mobilier archéologique a été prélevé lors de la fouille, soit près de 34 000 tessons de céramique et plus de 3 000 fragments d’objets en verre répartis entre vaisselles domestiques, emballages et objets divers. La variété des productions, locales, régionales ou exotiques, évoque la circulation sur de longues distances, qui bénéficie bien sûr de l’essor du chemin de fer. Les objets et fragments rejetés entre 1927 et 1930, puis exhumés dans le dépotoir, éclairent finalement une large période comprise entre les années 1870 et 1930 car une part non négligeable a été conservée sur la longue durée dans les intérieurs. Ils sont l’illustration de la vie domestique (cuisine, alimentation, boisson, manières de table, jeu, hygiène, santé…), artistique (Art Nouveau, Art-Déco, japonisme), commerciale (brasseries lyonnaises, restaurants, pharmacies…) ou spirituelle (piété et culte domestique). Ils constituent de véritables morceaux choisis du quotidien en Lyonnais et l’étude de cet assemblage singulier permet d’avoir une approche à la fois sociale, culturelle et économique d’une société de consommation en plein développement.
De la cuisine à la table
L’étude de ces milliers d’objets a mis en évidence deux domaines essentiels du quotidien : la cuisine et la table. La première est encore, en ce début de XXe siècle, équipée de vaisselles en terre comme l’attestent les pots culinaires de Vallauris, dont les poêlons, casseroles et marmites sont très appréciés. Sur la table, la faïence fine constitue de loin le groupe le plus représenté. Les marques présentes sous les récipients évoquent les origines des services aux décors imprimés alors très en vogue. On citera pêle-mêle Arboras, Grigny, Badonviller, Choisy-le- Roi, Creil-Montereau, Gien, Lunéville, Pexonne, Sarreguemines, célèbres manufactures qui contribuent largement à équiper tous les foyers. Ces milliers d’assiettes, plats, bols, tasses, sous- tasses, pichets, soupières, saucières, coupes, saladiers, partagent la table avec la porcelaine, les poteries de Saint-Uze et le verre.
Alban Horry, ingénieur chargé de recherches, Inrap Auvergne-Rhône-Alpes, ARAR (UMR 5138), Alain Belmont, professeur d’histoire moderne, université Grenoble-Alpes, LARHRA (UMR CNRS 5190), et Stéphane Brouillaud, responsable de recherches archéologiques, Inrap Auvergne-Rhône-Alpes, ARAR (UMR 5138)
Article à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 626 (décembre 2023)
Splendeur des collections antiques du Louvre
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