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Redécouvrir le mythique site de Delphes (2/5). Que sait-on des monuments ?

Vue du gymnase.

Vue du gymnase. © A. Jacquemin

Delphes ! Ce lieu mythique fait surgir de la mémoire l’image de la prophétesse d’Apollon, la Pythie, et celle d’un sanctuaire dévolu au dieu, serti, au pied des monts du Parnasse, dans un majestueux paysage de montagne et de verdure. Sa particularité était aussi l’organisation des Pythia, concours comportant des épreuves gymniques, hippiques et musicales. 2022 marque le 130e anniversaire de la Grande Fouille de 1892, avec laquelle commença véritablement la mise au jour des vestiges de ce haut lieu du monde grec. Depuis la recherche archéologique n’a cessé de contribuer à une meilleure connaissance du site, avec, aujourd’hui, la reconstitution extraordinaire du décor de certains monuments et offrandes. Ce dossier d’Archéologia présente 130 années de découvertes.

Les auteurs de ce dossier sont : Anne Jacquemin, professeur émérite d’archéologie grecque, université de Strasbourg, UMR 7044 Archimède ; Didier Laroche, maître de conférence à l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, UMR CNRS 7044 Archimède ; Hélène Aurigny, maître de conférence d’histoire grecque, université d’Aix-Marseille, UMR 7299 Centre Camille Jullien ; Philippe Jockey, professeur d’histoire de l’art et d’archéologie du monde grec à l’université Paris Nanterre ; Jean-Luc Martinez, président-directeur honoraire du musée du Louvre. Tous les auteurs sont des anciens membres de l’École française d’Athènes.

Vestiges présents sur la terrasse de la Marmariá.

Vestiges présents sur la terrasse de la Marmariá. © A. Jacquemin

La connaissance actuelle des monuments de Delphes a été déterminée par la convention originelle de fouilles (le sanctuaire et son enceinte) et ses avenants (le gymnase et le sanctuaire de la Marmariá). Les travaux des archéologues ont donc porté sur les lieux de culte, l’autel et le temple d’Apollon, les monuments sur la terrasse de la Marmariá et les monuments liés aux concours. En revanche, peu de vestiges d’habitat ont été retrouvés et aucun édifice public n’a été identifié avec certitude.

L’autel et le culte d’Apollon

L’acte essentiel du culte grec polythéiste était le sacrifice sur l’autel en présence du dieu figuré sous la forme d’une statue. Après les sanctuaires mythiques dédiés à Apollon, trois temples en pierre ont laissé des vestiges. Du premier, datant du VIIe siècle avant notre ère et qui brûla en 548 avant notre ère, sont connus des blocs en remploi et des tuiles. Son successeur de la fin du VIe siècle a laissé un décor sculpté en marbre (fronton est figurant l’arrivée d’Apollon et lions-gargouilles) et en pierre tendre (gigantomachie). Le dernier temple, bâti au IV siècle avant notre ère, exalte les liens entre Apollon et Dionysos, le dieu qui séjourne à Delphes en hiver. Sa reconstruction est documentée par les comptes qui ont été gravés. C’est un temple dorique, entouré d’une colonnade de six colonnes en façade et de quinze sur les côtés. Il comprend un vestibule (pronaos) avec le célèbre E de Delphes et les maximes des Sept sages, une cella dont la partie postérieure était l’adyton où la pythie rendait les oracles et, à l’arrière, l’opisthodome qui abritait une grande statue connue par des monnaies d’époque impériale. L’autel, offert par la cité de Chios, se trouve au bord de la terrasse orientale ; il date du IIIe siècle avant notre ère, mais sa dédicace et son décor sculpté montrent qu’il copie un autel plus ancien vu par Hérodote au Ve siècle avant notre ère. Sa reconstruction actuelle correspond à ce que la fouille a trouvé en place. Les participants au sacrifice se plaçaient entre le temple et l’autel, sur la vaste terrasse orientale supérieure, dont la construction au VIe siècle avant notre ère a causé l’ensevelissement de structures cultuelles antérieures, visibles aujourd’hui par leurs fondations.

Plan des vestiges présents dans le sanctuaire de Delphes.

Plan des vestiges présents dans le sanctuaire de Delphes. © C. Voyer, d’après Didier Laroche, 2022

Les monuments de culte sur la terrasse de la Marmariá

Parmi les monuments détruits par la construction de la terrasse orientale, se trouvait le temple d’Athéna Pronaia « celle qui est devant le temple (d’Apollon) », déplacé à l’entrée est de la ville sur la terrasse de la Marmariá. Doté de six colonnes sur douze, il comprend un pronaos et une cella. Il fut, dans l’Antiquité, consolidé par des murs entre ses colonnes, ce qui lui permit d’être retrouvé en 1901 dans un état assez remarquable. Malheureusement, des chutes de rochers en 1905 le ruinèrent. En outre, quatre temples (naoi) alignés sont mentionnés par Pausanias. Deux petits édifices en marbre, richement ornés, l’un ionique, l’autre dorique, sont interprétés comme des temples ou des « trésors », soit des édifices consacrés servant au dépôt d’offrandes. Le troisième est une rotonde en marbre au beau décor sculpté de deux séries de métopes représentant entre autres des scènes d’amazonomachie et de centauromachie. Enfin, le dernier, en calcaire, qui a été longtemps pris pour le temple qui aurait succédé à celui d’Athéna, n’a pas les caractéristiques d’un lieu de culte, mais celles d’une salle de réunion et serait la salle du conseil de l’Amphictionie construite dans le dernier tiers du IVe siècle avant notre ère.

« Le rayonnement du temple de Delphes était tel dès l’époque archaïque que de nombreuses cités grecques y font construire des “trésors”. »

Les monuments liés aux concours : le gymnase, le stade et le théâtre

Le gymnase de Delphes, dont on suit la construction dans les comptes du IVe siècle, se trouve à l’emplacement du bois où Ulysse aurait été blessé par un sanglier (et en aurait gardé la cicatrice qui lui permettra d’être reconnu). Il comprend une terrasse supérieure avec deux pistes de course, l’une, le xyste, couverte, refaite à l’époque d’Hadrien avec un changement de l’ordre de la colonnade, l’autre, la paradromis, découverte ; la terrasse inférieure regroupe des bains qui furent agrandis à l’époque impériale, des installations hydrauliques et une piscine en plein air, ainsi qu’une palestre avec des salles donnant sur une cour péristyle. Au Ve siècle avant notre ère, le stade, comme l’hippodrome, se trouvait dans la plaine. L’époque de construction du stade au nord-est du sanctuaire est débattue entre les partisans du IVe siècle avant notre ère, après les travaux du temple, et ceux qui lient l’édifice à la fondation des Sotèria étoliennes au milieu du IIIe siècle avant notre ère. Vers 100 avant notre ère, un talus est aménagé au sud pour accueillir de nouveaux spectateurs. À l’époque impériale, des gradins de pierre sont ajoutés, ainsi qu’une porte monumentale. Enfin, au IIe siècle avant notre ère, grâce à la générosité du roi Eumène II de Pergame, Delphes est doté d’un théâtre, pourvu ensuite d’une tribune officielle et d’un pulpitum (sorte d’estrade) pour les acteurs, orné d’une frise représentant les travaux d’Héraklès, car la singularité des concours pythiques (par rapport aux concours olympiques) est d’accueillir des épreuves musicales. C’est dans ce théâtre que se déroulent les épreuves musicales et dramatiques des fêtes, mais aussi certaines réunions de l’assemblée. Avant sa construction, une simple tribune en bois et un odéon en bois accueillaient ces épreuves musicales.

Lexique

Les Sotèria étoliennes sont une fête fondée par les Étoliens vers 250 avant notre ère pour rappeller la victoire sur les Galates qui sauva le sanctuaire de Delphes et la Grèce.

Bâtiments politiques et administratifs

D’autres constructions du sanctuaire sont plus directement en relation avec les aspects politiques et administratifs du site, que ce soit le bouleutèrion, salle du conseil de la cité qui se trouvait au sud du temple, ou le prytanée, le foyer de la cité, à l’est, près du mur d’enceinte. L’assemblée, avant d’utiliser le théâtre, se réunissait au pied de la terrasse du temple. Outre l’exposition des pièces de butin et des offrandes, les quatre portiques du sanctuaire ont aussi pu accueillir des réunions plus ou moins importantes. Le premier se trouve à l’entrée sud-est ; le second, celui des Athéniens, en dessous du temple, et le portique ouest et le portique d’Attale sont de part et d’autre du secteur central du temple.

Trésor des Athéniens.

Trésor des Athéniens. © Bridgeman Images

Offrandes et fontaines

Le rayonnement du temple de Delphes était tel dès l’époque archaïque que de nombreuses cités grecques y font construire des « trésors » consacrés pour abriter des offrandes précieuses. La plupart d’entre eux sont de simples pièces dont les toits forment l’ornement principal. D’autres se présentent comme de petits temples avec deux colonnes en façade entre les murs. Les plus remarquables sont en marbre et se signalent par leurs sculptures, comme les trésors des Siphniens et des Athéniens (offert par la cité pour remercier Apollon de la victoire à la bataille de Marathon). Le trésor des Thébains se distingue par l’usage du seul calcaire dur. Certaines offrandes monumentales sont des présentoirs de statues comme la colonne de la Sphinge des Naxiens, les piliers triangulaires des Messéniens, la base allongée de Marathon ou celles semi-circulaires des monuments argiens. À l’époque hellénistique, des supports en hauteur accueillent les effigies des rois ou des généraux romains. Enfin, plusieurs fontaines sont visibles à Delphes : celles de Castalie à l’est du sanctuaire (l’une archaïque et l’autre rupestre et tardive), celle du sanctuaire d’Asclépios, où il est interdit d’entrer dans le bassin, celle de la terrasse du temple et, sur le chemin du stade, la fontaine connue sous le nom moderne de Kerna qui a longtemps alimenté le village de Castri.

La Sphinge des Naxiens. Vers 580 avant notre ère. Delphes, musée archéologique.

La Sphinge des Naxiens. Vers 580 avant notre ère. Delphes, musée archéologique. © Luisa Ricciarini / Bridgeman Images