Au nord-est du Liban, le site de Baalbek frappe par le gigantisme de ses monuments. Cette particularité n’a pas échappé à deux architectes, dessinateurs hors-pair comme savait les former le XIXe siècle, Achille Joyau (1831- 1873) et Gaston Redon (1859-1921), frère du peintre Odilon.
Pensionnaires de l’Académie de France à Rome, tous deux se rendent sur ce site antique, le premier en 1865 et le second une vingtaine d’années plus tard en 1887, pour le dessiner et en faire ainsi l’objet de leurs « Envois », exercice obligatoire de 4e année auquel se soumettent les lauréats du Prix de Rome. Outre leurs dessins, ils doivent également proposer une restitution (ou restauration), ici du sanctuaire d’Héliopolis, étayée d’un rapport justifiant leurs partis pris. Si d’ordinaire les jeunes candidats se tournent vers les monuments de Rome, voire de la Grèce, ces deux artistes surprennent par leur choix audacieux. Passionnés d’Orient, ils rendent compte, avec une fidélité scrupuleuse, de la beauté des ruines de ce sanctuaire d’époque augustéenne. Les vingt-cinq œuvres inédites regroupées dans cette exposition nous emportent dans une vision grandiose de ce site qui ne sera fouillé qu’à partir de 1898 et reste encore à ce jour un joyau archéologique du Liban.
Pour rejoindre le Liban au XIX e siècle, le voyage est long ; passant par la Grèce, l’Égypte et la côte syro-palestinienne, il se fait en caravane ou à cheval, le long de routes souvent difficiles et les séjours sont éprouvants. Mais, profondément séduit par l’originalité et la monumentalité de ces ruines, Joyau restera (malgré sa santé fragile) 10 mois à Baalbek. Sa démarche est proche de celle d’un archéologue restituant avec soin les nombreux édifices qui composent le sanctuaire et leurs différents éléments architecturaux. On voit dans cette aquarelle le soin qu’il apporte aux détails de l’appareillage des murs, des entablements et des chapiteaux des colonnes, où se mêlent architecture gréco-romaine et éléments sémitiques et orientaux. De petits personnages animent cet ensemble minéral et donnent par leur présence l’échelle monumentale de ces ruines.
Vingt ans après Joyau, Gaston Redon se rend également à Baalbek, où il est aussi profondément marqué par la monumentalité du site. S’il connaît les plans de son prédécesseur, il restitue l’ensemble dans une ambiance très différente : la végétation a disparu, les lieux sont désertiques, les tons plus bruns, le ciel est blanc et les pierres travaillées plus en relief. Dans son très personnel projet de restitution, il présente à gauche le temple de Bacchus et à droite le temple de Jupiter. Il introduit de nombreuses sculptures romaines qui donnent à sa vue un caractère assez fantaisiste. On trouve notamment sur les piliers de part et d’autre du grand escalier une réinterprétation des Dioscures qui dominent alors la place du Capitole à Rome. Cette proposition de restauration n’a pas empêché Redon de réaliser par ailleurs un plan du sanctuaire très fidèle, largement publié par la suite et utilisé par des générations d’architectes et d’archéologues.
Ces deux très grandes aquarelles baignées de soleil (voir la deuxième en ouverture de l’article) montrent deux des quatre façades en élévation. Sur la façade sud, on distingue, à gauche, la colonnade du temple de Jupiter, au centre, le temple de Bacchus, bordé de quatre colonnes et, sur toute la partie droite, la muraille d’époque musulmane. Sur la façade principale, on distingue les colonnes des temples de Jupiter et de Bacchus. L’architecte décrit avec précision les matériaux de construction utilisés, les différents décors ou encore les trous de boulin qui ont servi à monter les échafaudages. Fin aquarelliste, il joue avec une gamme chromatique en trois couleurs avec un ciel au bleu intense, sans nuages, une végétation envahissante et verdoyante, et une architecture aux couleurs ocrées.
« Baalbek, le grand voyage au Liban »
Jusqu’au 15 janvier 2023, à l’École des beaux-arts de Paris, Cabinet des dessins
14 rue Bonaparte, 75006 Paris
Tél. 01 47 03 50 00
www.beauxartsparis.fr
Catalogue, Baalbek. Le grand voyage au Liban, 2022, 120 p. – 25 €.
À commander sur : www.librairie-archeologique.com