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Bahreïn, au cœur du commerce antique

État du site en mars 2023. © Mission archéologique française à Bahreïn, David Duda
État du site en mars 2023. © Mission archéologique française à Bahreïn, David Duda

Depuis 2017, le CNRS et le musée du Louvre fouillent à Bahreïn une nécropole de l’époque du Tylos moyen (Ier siècle avant notre ère – Ier siècle de notre ère), période au cours de laquelle la culture de ce petit archipel du golfe Persique connaît un regain de prospérité grâce au boom des échanges entre le monde méditerranéen, l’Orient hellénisé, séleucide puis parthe, et le sous-continent indien. Sa culture locale, nourrie de nombreuses importations et imprégnée d’hellénisme, n’en garde pas moins de fortes spécificités, décelables dans ses pratiques funéraires que les fouilles actuelles permettent de préciser.

Au cœur du golfe Persique se trouve un petit archipel composé de 33 îles dont la plus importante, Bahreïn, a tiré sa prospérité de la présence d’abondantes sources artésiennes d’eau douce (la deuxième « mer » du nom arabe actuel du pays) et de sa position stratégique sur les voies maritimes en offrant aux bateaux ravitaillement et mouillage sûr.

Un pays aux deux mers

Dès la fin du IIIe millénaire avant notre ère, une riche civilisation s’y développe, tirant profit de ses capacités agricoles (avec notamment la culture du palmier-dattier) et des relations que ses marins tissent avec les régions voisines, l’Inde, la péninsule omanaise, le sud iranien et la Mésopotamie, qui la désigne sous le nom de « Dilmun ». Une royauté apparaît, ainsi qu’une ville portuaire, sur le site de l’actuel Qal’at al-Bahreïn. Tout au long de son histoire, le pays de Dilmun a maintenu un particularisme culturel affirmé, particulièrement visible dans ses coutumes funéraires. Pendant de nombreux siècles, les Dilmunites se font inhumer sous des tumuli individuels dont le nombre, évalué à près de 75 000, a laissé une très forte empreinte sur le paysage archéologique de l’île.

Une tombe avant ouverture : les interstices entre les quatre dalles principales étaient bouchés par de petites pierres, puis l’ensemble était scellé au mortier. © Mission archéologique française à Bahreïn
Une tombe avant ouverture : les interstices entre les quatre dalles principales étaient bouchés par de petites pierres, puis l’ensemble était scellé au mortier. © Mission archéologique française à Bahreïn

Tylos aux marges du monde hellénisé…

Vers 325 avant notre ère, Alexandre le Grand s’intéresse au golfe Persique que son amiral Néarque a parcouru à son retour d’Inde. Il envoie plusieurs expéditions de reconnaissance dont quelques auteurs antiques conservent le souvenir. Androsthénès de Thasos, en particulier, a décrit l’île de Tylos, nom qui n’est autre que la forme hellénisée de Dilmun. L’île est toujours prospère et se distingue par la culture d’un « arbre à laine », c’est-à-dire de coton. La mort prématurée d’Alexandre ne lui permet pas d’accomplir ses désirs de conquêtes de ce côté du monde, mais ses successeurs en Orient, les Séleucides, parviennent à mettre la main sur Tylos, qui devient un avant-poste de la défense maritime de leur royaume. Une garnison grecque s’y installe et la culture hellénistique commence à s’y faire connaître. Des inscriptions découvertes à Bahreïn attestent l’usage du grec, principalement pour l’administration, la population locale conservant sûrement sa langue sémitique. Les liens avec la Mésopotamie séleucide sont particulièrement forts, et une grande partie de la céramique à glaçure verte que l’on retrouve à Bahreïn en provient certainement. Vers 127 avant notre ère, au moment où le pouvoir séleucide s’effondre en Mésopotamie face à l’avancée des Parthes venus d’Iran, le satrape (gouverneur) séleucide du sud mésopotamien, Hyspaosinès, fonde le petit mais prospère royaume de Characène. Une inscription dédicatoire mentionnant Hyspaosinès permet maintenant de démontrer que son royaume s’étendait bien jusqu’à l’archipel de Bahreïn. C’est toujours le cas 300 ans plus tard d’après une inscription funéraire palmyrénienne datée de 131 de notre ère, après quoi Tylos passe probablement dans l’orbite parthe.

Stèle funéraire découverte sur le site de Shakhoura en 1992. © Bahrain Authority for Culture and Antiquities, George Mathew
Stèle funéraire découverte sur le site de Shakhoura en 1992. © Bahrain Authority for Culture and Antiquities, George Mathew

… mais au cœur des échanges maritimes

Aux IIIe et IIe siècles avant notre ère, les échanges transarabiques, motivés par la demande croissante en aromates en provenance de « l’Arabie heureuse » (Yémen), se font surtout par voie terrestre et laissent Tylos en marge des grands itinéraires. Mais à partir du tournant de l’ère, le commerce maritime connaît une vitalité accrue par la demande des élites romaines à la suite de l’extension de l’Empire en Méditerranée orientale et en Égypte. Le Ier siècle de notre ère voit un véritable boom des échanges maritimes par la mer Rouge mais également par le golfe Persique. Sa position stratégique et son insularité expliquent que Bahreïn développe alors une culture originale à l’interface de la Mésopotamie hellénisée, de l’Iran parthe et du monde arabe. Cette culture de Tylos est cependant principalement connue par la fouille de nécropoles et aucun habitat n’a été reconnu, à l’exception d’un niveau mal conservé à Qal’at al-Bahreïn.

Julien Cuny
Conservateur du patrimoine, département des Antiquités orientales, musée du Louvre

Dossier à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 621 (juin 2023)
Pour une archéologie de la Seconde Guerre mondiale

81 p., 11 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com

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