![Vue générale (depuis le sud) de la fouille de Piechegu-Ouest 2, réalisée en 2016 à Bellegarde, dans le Gard. Cinq fenêtres de fouilles sont réparties sur les 25 hectares du projet d’aménagement d’un écopôle (groupe Sita-Suez). © Walter Romand, Dronecast, Inrap](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Bellegarde-1.jpg)
À Piechegu, sur la commune de Bellegarde dans le Gard, entre Nîmes et Arles, l’Inrap a conduit en 2016 une fouille archéologique préventive sur un projet d’aménagement de 25 hectares. Près d’un millier de vestiges illustre la présence humaine depuis 22 000 ans, une longévité qui dénote un attrait particulier. Au pied du plateau des Costières qui domine la plaine de la Camargue, aux abords d’une source, des groupes humains se sont installés ponctuellement, mais de manière réitérée dès le Paléolithique supérieur. Jusqu’à l’époque moderne, ils ont petit à petit façonné le paysage et laissé derrière eux ces témoignages majeurs pour la connaissance du passé régional.
Remontant à la dernière ère glaciaire, les plus anciens témoignages permettent d’appréhender l’évolution régionale du Magdalénien (20 000-14 000 avant notre ère), dernière grande culture archéologique du Paléolithique. Les occupations s’échelonnent sur plusieurs millénaires, depuis l’éclosion de la période jusqu’à sa pleine maturité (14 000 ans).
Un site de plein air du Magdalénien
Les 25 épisodes magdaléniens successifs recensés à Piechegu sont essentiellement matérialisés par des foyers à pierres chauffées et des nappes de silex taillés. Parmi ceux-ci, des outils de la vie quotidienne et des éléments d’armes de chasse sont parfois réalisés sur des lamelles de toutes petites dimensions. L’évolution typologique de ces minuscules éléments permet de distinguer précisément la superposition des quatre premiers stades technologiques de cette période. Les ossements d’animaux révèlent que les groupes humains ciblaient deux grands herbivores des plaines froides : le renne et le cheval. La rigueur du climat peut aussi être appréciée grâce à deux espèces végétales dont les charbons ont été retrouvés dans les foyers : le pin et le bouleau. Toutefois, une évolution significative est observée dans la stratigraphie, sans que l’on sache si elle traduit une évolution du paysage ou des choix délibérés parmi les ressources disponibles. Au cours du Magdalénien inférieur ne sont exploités que le pin et le cheval, puis à partir du Magdalénien moyen, feuillus et résineux sont équitablement récoltés, et la chasse s’oriente exclusivement vers le renne.
![Évocation du gisement paléolithique de Piechegu à Bellegarde, durant le Magadalénien inférieur. Illustration de Fabrice Laliberté. © Inrap](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Bellegarde-2.jpg)
Des productions artistiques inédites
La fouille a permis d’apprécier une autre dimension du quotidien. Sur deux petites plaquettes de calcaire gréseux ont été découvertes des gravures représentant des têtes de chevaux, signes d’une expression graphique complexe. Ces œuvres gisaient à proximité des restes brisés d’une grande dalle autrefois dressée en bordure de l’espace d’habitation. Elle-même ornée de gravures, cette dalle devait être visible de toutes et tous ; nous ne savons pas si la symbolique de ce dispositif est comparable à celle des grottes ornées, lesquelles étaient sans doute moins accessibles quotidiennement à l’ensemble des groupes humains. Observée ici pour la toute première fois, la présence d’une telle dalle dressée et gravée au sein de l’espace domestique interroge sur la place des images au sein des sociétés paléolithiques. Totalement inattendues aux portes de la Camargue et rares en dehors des grottes, ces œuvres d’art datent du tout début du Magdalénien (20 000 ans). Elles figurent ainsi parmi les plus anciennes connues pour ce faciès culturel, au même titre que les peintures et gravures pariétales de la grotte de Lascaux. L’expression symbolique sur petite plaquette perdure à Piechegu jusqu’au cœur du Magdalénien moyen (16 000 ans) : elle y est représentée par un triangle pubien, thématique anthropomorphe déclinée à foison au Paléolithique supérieur.
Une séquence archéologique de référence du Magdalénien
Un autre type d’expression culturelle mérite d’être cité. Plusieurs épisodes d’occupation ont livré de petits coquillages récoltés sur les rives de la mer Méditerranée. Des traces d’usure spécifiques montrent qu’ils ont été d’abord percés, puis cousus sur des vêtements ou montés en accessoires. Ce gisement n’a pas encore livré tous ses secrets ; ces ensembles homogènes, représentatifs et bien datés, font que Piechegu est amené à devenir l’une des rares séquences archéologiques de référence du Magdalénien.
![Sépulture en cours de fouille (datée entre 4650 et 4450 avant notre ère) avec des aménagements en pierres, répartis sur son pourtour, indiquant la présence probable d’une architecture (disparue) en lien avec l’inhumation. © Walter Romand, Dronecast, Inrap](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Bellegarde-3.jpg)
Agro-pastoralisme aux VIe-IVe millénaires avant notre ère
Après la dernière glaciation, le paysage subit de grandes transformations. Le niveau marin remonte et, du VIe au IVe millénaire avant notre ère, la côte se situe à seulement une dizaine de kilomètres. Non loin de zones lagunaires ou marécageuses riches en ressources, le secteur de Piechegu offre les conditions propices à l’installation de petites unités d’habitation pour des populations pratiquant l’élevage et l’agriculture, façonnant de la vaisselle en céramique. L’eau douce, le bois et l’argile sont disponibles sur place tandis que les galets et le grès le sont sur le plateau et le versant environnants ; les sols limoneux se révèlent favorables à la mise en culture.
Entre dix et quinze structures en creux
De telles installations sont attestées sur ce site de plein air à partir de 5400 avant notre ère et réitérées durant la majeure partie du Néolithique, jusque vers 3000 avant notre ère. Elles prennent la forme de petits pôles implantés sur le pied de versant ou dans la plaine. Constitués d’une dizaine à une quinzaine de structures en creux, ceux-ci comprennent des foyers, des fosses, parfois des structures de stockage (fosses-silos) qui, après abandon, sont utilisées comme dépotoirs et livrent de nombreux rejets domestiques : céramiques, ossements animaux, matériel de mouture ou outils en silex. Les sols et les structures peu profondes comme les trous de poteaux, bien souvent détruits par l’érosion, ne sont pas conservés. Quelles étaient les activités exercées, la fréquence, la densité et la durée de ces installations ? Si la fouille ne fournit pas toutes les réponses, l’analyse de la répartition des structures, l’étude de la vaisselle en céramique, ou encore de l’outillage lithique, illustrent la présence d’au moins huit phases et/ou pôles différents.
Décors aux Cardium
Les tout premiers groupes agro-pastoraux installés à Piechegu dans le courant de la seconde moitié du VIe millénaire ont utilisé un coquillage, le Cardium, pour créer des décors d’impression sur les céramiques. Au sein d’une petite unité domestique, ils ont construit de grandes structures de combustion à pierres chauffées, caractéristiques des implantations « cardiales », mais dont la fonction reste encore à définir (foyers collectifs ? fumage d’aliments carnés ?…).
Les auteurs de cet article sont : Marilyne Bovagne, Inrap Midi-Méditerranée, UMR 5140-ASM Montpellier ; Marie Bouchet, Inrap Midi-Méditerranée, UMR 5140-ASM Montpellier ; Vianney Forest, Inrap Midi-Méditerranée, UMR 5608-TRACES Toulouse ; Christophe Fourloubey, Inrap Nouvelle-Aquitaine-Outre-Mer, UMR 5199-PACEA Bordeaux, Oscar Fuentes, Centre national de la Préhistoire – Ministère de la Culture, Périgueux, UMR 8068 TEMPS ; Marion Gasnier, Inrap Midi-Méditerranée, UMR 7269-LAMPEA Aix-Marseille ; Thibault Lachenal, CNRS, UMR 5140-ASM Montpellier ; Claire Manen, CNRS, UMR 5608-TRACES Toulouse ; Vincent Mourre, Inrap Midi-Méditerranée, UMR 5608-TRACES Toulouse ; Mathieu Ott, Inrap Midi-Méditerranée, UMR 5140-ASM Montpellier ; Antoine Ratsimba, Inrap Midi-Méditerranée, UMR 5140-ASM Montpellier ; Réjane Roure, UPVM3, UMR 5140-ASM Montpellier ; Aurore Schmitt, CNRS, UMR 5140-ASM Montpellier ; Yaramila Tchérémissinoff, Inrap Midi-Méditerranée, UMR 7269-LAMPEA Aix-Marseille, Ghislain Vincent, Inrap Midi-Méditerranée, UMR 5140-ASM Montpellier
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Article à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 627 (janvier 2024)
Quand l’humanité était plurielle
81 p., 11 €.
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