Ce sont les menhirs de la discorde. Un scandale de plus a éclaté sur Internet la semaine dernière alors que se tenaient les instructives Assises de l’archéologie à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Témoin de notre époque souvent quelque peu hyperbolique, cette « affaire » Carnac a surgi dans la presse par un dépôt de plainte contre l’État par l’association Koun Breizh pour « destructions volontaires aggravées par la circonstance qu’elles portent sur le patrimoine archéologique », relayé par un archéologue amateur militant Christian Obeltz. Sans langue de bois et avec rigueur, Olivier Agogué, directeur du musée de Préhistoire de Carnac et administrateur des Monuments nationaux de Bretagne, nous livre son point de vue.
Propos recueillis par Éléonore Fournié.
Pourriez-vous nous rappeler le déroulé des événements ?
Contrairement à ce que certaines photos ont montré, cette destruction n’a pas du tout eu lieu sur le site préhistorique des alignements de Carnac et ne porte pas sur un monument historique protégé ! Il s’agit d’un terrain privé situé dans une zone déjà en partie artificialisée, à plusieurs kilomètres du célèbre site néolithique ; même si, évidemment, on reste dans un territoire archéologiquement sensible. En 2014, à la suite d’une demande d’aménagement, un diagnostic a été réalisé : il a mis en évidence des blocs utilisés en remploi dans des murets parcellaires datant de l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle) ; aucun autre vestige archéologique enfoui dans le sous-sol n’a alors été découvert. À la suite de ce diagnostic, une prescription de fouille a été demandée par le SRA. Mais le permis de construire n’étant pas accordé (pour d’autres raisons), l’aménageur a finalement retiré son projet et la fouille n’a pas eu lieu. Cinq ans plus tard, un nouveau projet a émergé et un nouveau permis de construire demandé, par le même aménageur (pour la construction d’un magasin de bricolage). Ce permis a, malheureusement, été délivré sans prescription de fouille car entre-temps, le PLU ne l’a pas intégré en zone de présomption archéologique. Le permis n’est donc pas passé par le SRA. C’est cette faille qui a conduit à la destruction.
Qu’est-ce qui a été détruit exactement ?
Ce sont des murets parcellaires dans lesquels se trouvaient des blocs en remploi. Mais, comme seul un diagnostic a été mené, ces blocs n’ont pas été datés directement. Il s’agit de petites stèles, appelées menhirs dans la région, qui mesurent entre 80 centimètres et 1 mètre de haut, présentant des marques d’érosion sur leur sommet indiquant que ces pierres étaient auparavant dressées. Elles datent possiblement du Néolithique (VIe-IVe millénaire avant notre ère). La fouille complémentaire aurait permis d’affiner les datations et de préciser si certains de ces blocs étaient à leur place d’origine ou si tous ont été déplacés pour être intégrés dans les murets. En ne tenant pas compte de la prescription de fouille antérieure, l’aménageur a détruit ces murets sans prendre en compte ces éléments archéologiques.
Que doit nous apprendre cette affaire ?
Je ne suis pas partie prenante de ce dossier donc j’aurais beau jeu de vouloir donner des leçons ! Les services instructeurs ont fait leur travail mais le temps entre le premier permis et le second ont entraîné cet « oubli » de la prescription par l’aménageur. Cette « affaire » témoigne donc d’un dysfonctionnement du traitement des projets d’aménagement, un « trou dans la raquette », auquel il faut remédier afin d’éviter qu’une telle erreur ne se reproduise. Il est impératif d’assurer une continuité dans le temps de la prise en compte des actes réglementaires. Je tiens par ailleurs à souligner que le réseau des lanceurs d’alerte est absolument nécessaire mais on ne peut que regretter que cela ait ici été signalé si tard via un blog, une fois les travaux réalisés. À l’heure actuelle, je ne sais pas si les blocs ont juste été déplacés et si certains sont susceptibles d’être récupérés pour étude mais le mal est fait, l’observation de leur contexte d’implantation / de remploi n’étant plus possible. Enfin, cette histoire, même s’il faut la considérer à sa juste mesure (l’emballement médiatique et la confusion entretenue plus ou moins volontairement avec les alignements sont complètement disproportionnés et indécents), entache forcément, par le traitement qui en est fait, la demande d’inscription de l’association Paysages de mégalithes de Carnac et du Sud Morbihan sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco…
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