
Une équipe internationale d’archéologues, comprenant cinq chercheurs basés à l’université de Bordeaux, vient de publier la découverte des plus anciens outils en os d’Afrique australe. En se fondant sur de nouvelles techniques d’analyse, elle suggère que ces derniers étaient utilisés pour écorcer les arbres et creuser dans le sol. Ces outils ont été découverts dans le fameux abri de Sibudu, dans la région du Kwa Zulu-Natal, au sein de plusieurs couches archéologiques datées de 80 000 à 60 000 ans.
Nos ancêtres utilisaient des fragments d’os comme outils il y a déjà deux millions d’années et des preuves de taille des os avec des techniques similaires à la taille de la pierre existent depuis 1,8 million d’années. Mais à partir de quand sont apparus des outils en os entièrement travaillés avec des gestes adaptés à la matière osseuse, tels que l’abrasion, le raclage, le rainurage ? L’application de ces procédés permet de déterminer la forme et la taille finales des objets avec un haut degré de précision, d’en faciliter l’emmanchement, mais aussi de leur imposer un style en les rendant ainsi emblématiques d’un groupe humain. Jusqu’au début de ce siècle on considérait l’application de ces techniques comme une innovation introduite en Europe il y a environ 40 000 ans par les hommes modernes. Les recherches menées au cours des deux dernières décennies ont conduit à la mise au jour d’outils en os entièrement façonnés dans plusieurs régions d’Afrique, et l’âge de certains d’entre eux pourrait remonter jusqu’à 100 000 ans. Si les objets connus jusqu’à présent étaient rares ou de forme non standardisée, une nouvelle découverte, qui vient d’être publiée, change la donne. L’étude décrit en effet 23 outils en os retrouvés à Sibudu, un abri sous roche dans la province du Kwa Zulu-Natal, en Afrique du Sud, au sein de couches archéologiques vieilles de 80 000 à 60 000 ans. Tous ces objets présentent une forme similaire, avec en particulier une extrémité aplatie et ogivale.
Une analyse des traces d’usure avec des nouvelles techniques
Les chercheurs ne se sont pas limités à reconstituer la manière dont les outils ont été façonnés. Ils ont mesuré avec un microscope confocal, en trois dimensions, la rugosité des zones usées par le travail, aussi bien sur les outils archéologiques que sur des outils ethnographiques et, surtout, sur des reproductions de ces outils utilisées expérimentalement. Plusieurs sessions ont été menées à des fins de comparaison, comme écorcer des arbres (l’écorce est toujours utilisée aujourd’hui en Afrique dans la pharmacopée traditionnelle), traiter des peaux avec et sans ocre, ou encore creuser dans des sédiments à l’intérieur et à l’extérieur de la grotte. Après analyse, ils sont parvenus à la conclusion que l’écorçage des arbres et le creusement dans un sol riche en humus sont les activités qui correspondent le plus à celles enregistrées sur la plupart des outils de Sibudu. Les chercheurs ont aussi remarqué que ce type d’outil continue à être utilisé sur ce site pendant 20 000 ans – et cela en dépit du fait que les occupants changent radicalement, au cours de cette période, leur manière de produire des outils en pierre. Ces résultats semblent soutenir un scénario selon lequel plusieurs groupes humains d’Afrique australe ont développé et maintenu localement certains traits culturels spécifiques et standardisés, alors que d’autres ont été partagés très largement, à l’échelle du sous-continent.
Francesco d’Errico et Luc Doyon,
CNRS, université de Bordeaux et université de Bergen