
Toutânkhamon, qui régna neuf ans (d’environ 1335 à 1327 avant notre ère), n’eut ni le temps de se détacher de l’image écrasante de son père Akhenaton, ni de tourner la page de la période amarnienne. Dès le lendemain de sa mort prématurée, située entre 18 et 20 ans, son successeur met tout en œuvre pour faire oublier son court règne. Des indices provenant de sa tombe – la première pillée dans la vallée des Rois – le soulignent avec acuité.
Peu de temps après son accession au trône, Toutânkhamon souhaite réhabiliter le clergé d’Amon dans ses prérogatives et soutenir à nouveau, et officiellement, les cultes des dieux un peu partout dans le pays, comme il l’indique d’ailleurs clairement dans la Stèle de la Restauration. Pourtant, son successeur, Aÿ II, usurpe son nom sur plusieurs monuments ainsi que le temple de millions d’années que le jeune souverain avait fait bâtir dans le secteur de Médinet Habou. Certains égyptologues pensent même qu’Aÿ II s’est approprié la tombe en cours de construction du jeune roi (WV23) et qu’il a relégué ce dernier dans une sépulture inachevée de la vallée des Rois.
Une tombe isolée
Rappelons-nous le contexte topographique d’alors. Dans la vallée de l’Est, qui concentre la majorité des tombes de la vallée des Rois, une douzaine de tombes a déjà été creusée et, pour moitié, elles accueillent les corps momifiés de membres de la famille royale ou de hauts fonctionnaires qui ont reçu l’insigne distinction de pouvoir être inhumés auprès des souverains d’Égypte. Si on a aujourd’hui l’impression, plutôt vraie, que la tombe de Toutânkhamon se trouve au cœur de la vallée des Rois, il faut bien avoir à l’esprit qu’après les funérailles du jeune pharaon, la seule tombe à proximité de la sienne est la fameuse KV55 qui a accueilli la dépouille de son père, Akhenaton (Toutânkhamon l’a en effet faite transférer depuis le cimetière royal de Tell el-Amarna jusqu’à la vallée des Rois).
Une tombe rapidement pillée
Si rien n’est dit sur la façon dont les tombes royales étaient surveillées, il est évident que les medjaÿs (policiers qui patrouillaient et surveillaient les sépultures royales) n’étaient pas postés devant chaque sépulture. En outre, il faut se souvenir que les entrées des tombes étaient soigneusement enfouies ou comblées sous des mètres de gravats pour que l’on oublie leurs localisations. Du fait de la configuration des lieux, les policiers occupaient nécessairement des postes d’observation en hauteur qui leur permettaient de dominer au mieux cette nécropole sacrée ; et ils devaient sans doute aussi opérer des rondes pour aller vérifier au plus près que rien n’était suspect. Or la tombe de Toutânkhamon se trouvait dans une zone éloignée d’au minimum 100 mètres des autres tombes royales (celle de son père exceptée). Sa localisation dans une zone mal ou moins bien surveillée a entraîné un premier pillage, quelques semaines ou quelques mois après les funérailles du roi. Il s’agit là du tout premier pillage de tombe royale dans la vallée des Rois.

L’attrait de biens précieux
On pourrait, bien sûr, se dire que le roi n’a simplement pas eu de chance et que l’intrusion dans sa tombe est seulement le fait du hasard. Sauf que la tombe est à nouveau la cible de voleurs très peu de temps après la première intrusion (comme le soulignent les deux traces d’effraction sur les portes). On le sait notamment grâce aux bouchons des (très lourds) vases en calcite et autres pots à huiles et onguents abandonnés un peu partout sur le sol de l’antichambre et retrouvés par Howard Carter. Lors de la première effraction, les lieux ont, plus ou moins rapidement, été rangés avant que la tombe ne soit refermée ; la présence des bouchons au sol montre que les voleurs se sont intéressés au contenu des vases lors de la seconde visite. Cette découverte fondamentale atteste que les voleurs se sont intéressés, quasi systématiquement et méthodiquement, aux contenus de ces récipients qu’ils ont reversés dans des contenants plus légers, certainement en terre cuite ou en cuir, et moins repérables lors d’éventuelles patrouilles de medjaÿs, afin de pouvoir revendre les délicats (et fort lucratifs) onguents et fragrances. Ce type de vol nous indique aussi que ce second pillage a eu lieu très peu de temps après les funérailles du roi, dans un délai de 5 mois maximum : en effet, en l’absence d’agents conservateurs, les produits cosmétiques se périment vite ; si les voleurs s’en sont emparés, c’est qu’ils étaient encore de bonne qualité. Ce second pillage souligne clairement que la surveillance de la sépulture de son prédécesseur n’est pas une priorité pour Aÿ II.

Amandine Marshall
Égyptologue

Article à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 617 (février 2023)
Mammouths, dernières découvertes
81 p., 11 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com