Frontière ou lieu de passage : les fleuves et les cours d’eau ont assumé ces deux fonctions depuis la Préhistoire. Il est rare cependant que l’archéologie puisse le mettre en évidence. De nouvelles recherches soulignent toutefois la rencontre de deux cultures dans la vallée de la Seine, à l’âge du Bronze.
C’est en empruntant les vallées de la Loire et du Rhône que les hommes préhistoriques ont commencé à explorer notre territoire, entre 1,5 et 1 million d’années. Durant le dernier maximum glaciaire, le Rhône a servi de frontière entre les populations solutréennes et celles épigravettiennes, même si de nouvelles découvertes ont démontré qu’elles ont parfois osé franchir l’étendue aqueuse. Bien plus tard, les Néolithiques de culture rubanée sont arrivés depuis le Proche-Orient en suivant le Danube. Ainsi, les fleuves ont sans cesse guidé les déplacements et les rencontres humaines.
De nouveaux venus à identifier
La vallée de la Seine (en particulier sa confluence avec l’Yonne) fut l’épicentre d’un boom économique, à la fin de l’âge du Bronze, entre le nord-est et le sud de l’Europe. Les archéologues interprètent en général cela comme la conséquence de l’apparition de nouveaux arrivants, autour du XIVe siècle avant notre ère. En effet, les tombes et leurs mobiliers, qui relevaient auparavant d’une tradition « atlantique », sont concurrencés par de nouvelles inhumations d’influence « nord-alpine » : les défunts sont enterrés avec des objets précieux, sous des tumuli. Est-il possible d’aller plus loin que cette simple constatation et de conférer une identité culturelle plus précise à ces groupes ? De nouvelles recherches (portant sur dix-sept sites) ont permis de mieux connaître leurs déplacements ainsi que leurs habitudes alimentaires. Les nouveaux venus semblent peu se mélanger avec la population des résidents ; ils s’orientent vers la polyculture, en travaillant un plus grand nombre de plantes, dont des céréales de printemps à cycle court, comme le millet, ce qui sécurise la production et évite la disette. L’accent mis sur les céréales rustiques (orge et blé vêtus), en parallèle avec le développement des légumineuses, permet un apport régulier d’azote qui, complété par le fumier d’élevage, maintient la fertilité des sols ; ils ont également davantage recours aux protéines animales, en particulier celles du porc, abondamment consommé. Ces « colons » semblent par ailleurs s’être beaucoup déplacés (pour des échanges commerciaux ?). Nous assistons ici au développement de réseaux qui mèneront à une occupation densifiée du territoire et, plus tard, au développement des premières cités.
Les limites de l’incinération
Un obstacle de taille se dresse cependant devant les paléogénéticiens : le développement des incinérations qui réduisent les chairs et les os en cendres, et donc l’essentiel de l’ADN disponible. À la fin du Bronze moyen, dans le Midi et en Picardie, la crémation apparaît depuis le nord de l’Italie puis gagne en importance, s’insinuant dans la vallée de la Seine, jusqu’à devenir exclusive à l’est du Rhône à partir du Xe siècle avant notre ère. Le contenant va progressivement s’adapter aux seules dimensions de l’urne. Les grandes chambres funéraires se raréfient, puis disparaissent. C’est la période dite autrefois des « Champs d’Urnes », grandes nécropoles de la culture « Rhin-Suisse-France orientale » de l’âge du Bronze final. De quoi compliquer les analyses…
Jacques Daniel
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Archéologia n° 619 (avril 2023)
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Pour aller plus loin :
VARALLI A. et al., 2023, « Insights into the frontier zone of Upper Seine Valley (France) during the Bronze Age through subsistence strategies and dietary patterns », Archaeological and Anthropological Sciences, 15:26. Doi :10.1007/s12520-023-01721-8v