![Restitution virtuelle du réseau de remparts dans la partie nord de l’oasis de Khaybar. © Khaybar LDAP, CNRS, Afalula, RCU, K. Guadagnini](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/02/Arabie-1.jpg)
Bien avant l’essor des royaumes caravaniers au Ier millénaire avant notre ère, le désert d’Arabie septentrionale, en particulier le Hijaz saoudien, hébergeait déjà des populations sédentaires à l’Âge du bronze (fin du IVe-IIe millénaire avant notre ère). Contrairement à ce que les chercheurs ont longtemps pris pour acquis, à savoir des étendues désertiques uniquement peuplées de groupes de pasteurs nomades, nous savons désormais que la présence humaine dans plusieurs oasis du nord-ouest de l’Arabie se matérialisait alors par d’immenses fortifications entourant un vaste territoire agricole et des zones d’habitat sédentaire.
L’étude des deux oasis fortifiées (walled oasis en anglais) de Tayma et Qurayyah, connues de longue date, avait précédemment montré la présence de ces murs de clôture monumentaux, pouvant atteindre 3 à 4 mètres d’épaisseur et jusqu’à environ 19 kilomètres de longueur (à Tayma). En 2021, l’examen d’images satellites a permis de reconnaître quatre autres oasis fortifiées (Dumat al-Jandal, al-Huwayyit, al-Hait, Khaybar), puis trois nouvelles plus récemment (al-Wadi, al-Ayn et al-Tibq). Ces localités ont ainsi été les témoins d’un processus de développement régional qui commence dès le IIIe millénaire avant notre ère, possiblement inspiré par la première urbanisation contemporaine au sud du Levant, et qui se poursuit au moins jusque dans la deuxième moitié du Ier millénaire avant notre ère.
Une oasis fortifiée
L’étude, par une équipe internationale du CNRS et de la Royal Commission for AlUla (RCU) avec le soutien de l’Agence française pour le développement d’AlUla (Afalula), de l’oasis de Khaybar (célèbre pour avoir été le lieu d’une victoire majeure du prophète Muhammad en 628) a montré que celle-ci était effectivement entourée par un rempart extérieur d’environ 14,5 kilomètres (à l’origine). Conservé sur seulement 6 kilomètres aujourd’hui, il encerclait un espace d’environ 1100 hectares. Mesurant 1,7 à 2,4 mètres d’épaisseur, il s’élevait à 5 mètres de haut seulement. Les archéologues ont toutefois identifié 78 petits bastions quadrangulaires (environ 180 à l’origine) butant contre son parement extérieur. Daté entre 2250 et 1950 avant notre ère, ce rempart avait surtout un rôle ostentatoire et défensif face aux populations nomades du désert, dont les razzias dans les oasis sont bien connues au XIXe siècle. Ce système défensif monumental autochtone semble témoigner de l’émergence d’une trajectoire urbaine locale et d’une volonté de protection et de délimitation du territoire par une entité sociopolitique faiblement hiérarchisée mais capable de travaux collectifs monumentaux. Plus tard à l’Âge du fer, les fortifications sont réaménagées ou construites à part entière dans d’autres oasis : ce réseau fortifié tient alors un rôle majeur dans le développement du commerce caravanier au Ier millénaire avant notre ère.
Guillaume Charloux
CNRS, UMR 8167 Orient & Méditerranée
Pour aller plus loin :
CHARLOUX G. et al., 2024, « The ramparts of Khaybar. Multiproxy investigation for reconstructing a Bronze Age walled oasis in Northwest Arabia », Journal of Archaeological Science: Reports. Doi : 10.1016/j.jasrep.2023.104355
CHARLOUX G., THAMER A., ALQAEED A., 2021, « The “walled oases” phenomenon. A study of the ramparts in Dūmat al-Jandal and other pre-Islamic sites in north-western Arabia », Arabian Archaeology and Epigraphy. Doi : 10.1111/aae.12177