Et si Homo sapiens n’avait pas été le premier homme en Europe à s’aventurer sur les vagues ? De nouvelles études suggèrent qu’Homo heidelbergensis ou d’autres humanités archaïques auraient pu coloniser par bateau des îles de la mer Égée. Ce qui ouvre des perspectives quant à d’anciennes controverses.
Nous connaissions déjà l’Homme de Florès, descendant d’Homo erectus, venu on ne sait comment sur cette île d’Asie du Sud-Est ; peut-être sur un esquif aménagé, des bouts de bois ou à dos d’éléphants (qui sont de très bons nageurs), comme le pratiquent certains singes ? Le problème d’accessibilité, croyait-on, ne se posait pas dans le bassin méditerranéen : les humains (Homo heidelbergensis, Néandertal et Sapiens) n’avaient accédé aux îles que lors des périodes glaciaires, quand le niveau des mers était plus bas : on les repère dès 200 000 ans à Naxos, par exemple. Oui, mais l’analyse bathymétrique des fonds marins du chapelet d’îles de la mer Égée vient de démontrer qu’à l’époque des sites acheuléens, autour de 450 000 ans, retrouvés dans les Cyclades, celles-ci étaient inaccessibles par la terre ferme : il fallait franchir des espaces marins distants de 3 à 40 km ; idem pour l’île de Gavdos, éloignée de 36 km des autres terres émergées. Il a donc fallu s’y rendre avec une embarcation. Un voyage expérimental réalisé en pirogue a d’ailleurs prouvé qu’il était possible de parcourir les 330 km de l’archipel des Cyclades en dix jours, à la vitesse moyenne de 4 km/h. Homo heidelbergensis était donc un navigateur, capable de s’aventurer en haute mer. Nos paléo-Ulysse l’ont-ils fait exprès ou se sont-ils laissés emporter par les courants ?
Au-delà du détroit de Gibraltar
Cela ouvre en tout cas de nouvelles perspectives. Il existe en effet une vieille controverse : les hommes préhistoriques furent-ils capables de franchir le détroit de Gibraltar ? Il existe un bizarre différentiel autour de l’arrivée de l’Homme en Europe : nous connaissons des fossiles en Géorgie, autour d’1,8 million d’années (Dmanissi, Homo georgicus), et d’autres autour d’1,4 million d’années en Espagne (Sima del Elefante, Homo antecessor). Rien n’indique un lien entre les deux : et si les fossiles espagnols descendaient de populations d’Homo antecessor venues directement d’Afrique ? Le problème se posera plus tard avec la culture solutréenne, que certains voient venir du Maghreb. S’il était avéré que des Hominines primitifs furent capables de naviguer avant Homo sapiens, pourquoi cela n’aurait-il pas été possible ? De bien belles discussions en perspective…
Jacques Daniel
Pour aller plus loin :
FERENTINOS G. et al., 2012, « Early seafaring activity in the southern ionian islands, Mediterranean Sea », Journal of Archaeological Science, 39, p. 2167-2176.
FERENTINOS G. et al., 2023, « Archaic hominins maiden voyage in the Mediterranean Sea », Quaternary International, 10, p. 11-21.
TICHÝ R., 2016, « The earliest maritime voyaging in the mediterranean: view from sea », Živá Archeologie – Rea, 18, p. 26-36.