
C’était la plus grande abbaye bénédictine de Touraine. Elle dormait sous le sol des anciennes casernes Beaumont, perdue des mémoires à l’aube du XIXe siècle. Or, à la faveur de la construction d’un nouveau quartier dans la métropole tourangelle, une opération d’archéologie préventive menée depuis 2019 par l’Inrap et le Service archéologique départemental d’Indre-et-Loire (Sadil), l’a fait sortir de terre.
Il faut imaginer le bruissement des robes et le glissement des pas silencieux qui dérangeaient à peine la quiétude de ces lieux entourés de vastes vergers. Pendant huit longs siècles (XIe-XVIIIe siècle), une communauté de religieuses bénédictines a vécu ici, entre ces murs dont nous percevons aujourd’hui les puissants vestiges. Physiquement effacée du paysage à la suite de la Révolution française, l’abbaye de Beaumont-lès-Tours fut la plus importante et durable communauté religieuse de Touraine, accueillant entre 25 et 35 sœurs (d’après les chiffres des XVIe-XVIIIe siècles), souvent issues de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, placées là pour parfaire leur remarquable éducation (leur statut social très privilégié est d’ailleurs confirmé par les morceaux brisés de coûteuses porcelaines provenant de Chine…) et entourées d’une dizaine de converses, au statut plus modeste et à qui revenaient les travaux agricoles et manuels (potager, ménage, cuisine, etc.).

Deux campagnes de fouilles
Les archives livrent des indices sur l’histoire des lieux, perceptible par les fouilles. Sur ce petit promontoire de terre, à l’abri des crues de la Loire et du Cher, s’implante un village carolingien (Belmons) évoqué en 845 puis en 966. Une chapelle dédiée à Notre-Dame-des-Miracles y est mentionnée, bientôt entourée par un cimetière paroissial. L’abbaye bénédictine s’y installe au début du XIe siècle, convertissant le riche terroir en terres cultivées, prairies et vignes. Divisée en deux temps, la fouille est d’autant plus intéressante qu’elle couvre l’intégralité de la parcelle sur 6 hectares : la campagne de 2019-2020 a touché environ 4 hectares de jardins et vergers ; celle menée de l’automne 2022 et l’automne 2023, les 2 hectares restants, chargés de vestiges car concernant la cour d’accueil et les bâtiments du monastère. Au sol se dessinent parfaitement les plans de l’église (55 sur 13 mètres) avec sa nef et son chœur (dont on perçoit deux états distincts), du cloître (dont les fondations remaniées trahissent un agrandissement des lieux), de la salle capitulaire et sans doute encore de la chapelle Notre-Dame-des-Miracles ; plus loin, c’est le vaste cellier et ses caves, les cuisines (au-dessus desquelles il faut sans doute imaginer le dortoir des converses), le réfectoire, la glacière ou la citerne – autant de lieux que les archéologues s’emploient mois après mois à dégager, à identifier et à décortiquer l’histoire.

Découvertes inattendues
Et cette dernière est parfois dense et surprenante. En témoigne d’une part la quantité impressionnante de sépultures mises au jour. Si certaines relèvent du cimetière carolingien (IXe-Xe siècles), d’autres sont proprement monastiques, implantées du XIe au XVIIIe siècle dans des lieux recherchés : l’église (nef, transepts, chœur ou devant le portail), la salle capitulaire et les galeries du cloître. Les modes d’inhumation variés changent selon les époques (simples planches de bois, coffrage en pierre calcaire, etc.) avec, dans certains cas, des vêtements liturgiques, des pots à encens, des objets de piété (perles de chapelets, petites croix en os, médailles, etc.). Les études ostéologiques aideront à déterminer le sexe des défunts (sans doute des religieuses et, pour les hommes, peut-être des membres bienfaiteurs du monastère), leurs âge et état de santé.

90 statuettes de dévotion
Plus inattendue, est apparue une série de 90 figurines polychromes (terre cuite, jais ou os) toutes fragmentées. Mesurant jusqu’en 30 centimètres, ces statuettes de dévotion, ramenées à l’occasion de pèlerinages (à Saint-Jacques-de-Compostelle par exemple) aux XVIIe et XVIIIe siècles, devaient initialement être présentées dans l’église. Endommagées, elles n’ont alors pas pu être jetées car toujours investies d’une certaine sacralité et furent enfouies dans une cache en terre consacrée, avant d’être découvertes lors de travaux au XIXe siècle et rejetées dans une tranchée. Jusqu’à un jour finir dans la main des archéologues…

Éléonore Fournié